Françoise fait un cauchemar effrayant, où un défilé d’images violentes l’amène à penser que la nuit qui va suivre sera sa dernière. Elle n’entend pas finir son existence prisonnière du pensionnat religieux où elle est interne. Elle décide sa meilleure amie, Delphine, à faire le mur avec elle et de passer la soirée à une fête déguisée qui a lieu dans les alentours. Mais personne ne se présente au rendez-vous qui leur avait été fixé, au bar des environs. Les deux jeunes femmes abordent donc un homme qui boit seul, et arrivent à le convaincre de leur servir de chauffeur.
La Morsure est le premier film de Romain de Saint-Blanquat, qui a jusque-là officié en tant qu’accessoiriste et décorateur. On lui doit néanmoins un court-métrage, Pin Ups, sorti en 2014. Pour La Morsure, le réalisateur se tourne vers le cinéma de genre, tout an ancrant son propos dans la France de février 1967. L’ombre de la guerre d’Algérie plane encore, alors que mai 1968 n’aura lieu que près d’un an plus tard. On est loin du film d’action, de Saint-Blanquat faisant de son métrage le récit d’un passage de l’enfance à l’âge adulte. Le cheminement du film est aussi celui de Françoise, et de la construction de son identité. La question du choix est notamment centrale, avec le recours régulier du personnage à son pendule : elle paraît incapable de décider par elle-même. La Morsure dénote d’une recherche sur les ambiances, par les jeux de lumière, l’esthétisme et la musique. L’ensemble est porté par une équipe d’acteurs qui se coulent avec justesse dans leur rôle, sans tomber dans la surenchère.
Le film suit le parcours de Françoise, dont le mauvais rêve épileptique ouvre le récit. C’est déjà l’idée d’un enfermement, avec le carcan de ce pensionnat religieux, de la séparation entre garçons et filles, et le désir de vivre. Une envie exacerbée par cette impression d’être arrivé au terme de sa vie. La soirée où elle pensait laisser enfin libre cours à sa soif d’exister tourne néanmoins au cauchemar : elle manque de se faire violer, le jeune homme qu’elle convoite lui préfère Delphine…), Françoise fait la rencontre de Christophe. Christophe, qui dit être un vampire, donc condamné à vivre dans le corps d’un enfant qui ne grandit plus (l’acteur est troublant, toujours sur la corde raide). Comme un écho aux hantises de Françoise, qui s’attache rapidement à lui. Le film joue beaucoup sur ces mises en parallèle. À l’image de la messe à laquelle assistent les François et Delphine au début du métrage, qui semble en résonnance de la scène qui se déroule dans la chapelle perdue, matérialisation du cauchemar initial de l’héroïne.
Christophe incarne ainsi la part vampirique du film. De lui, on sait qu’il habite dans la maison vide où la fête est organisée. Le personnage paraît plus jeune que les autres protagonistes, et à part. Lorsque le petit groupe se retrouvera en présence d’un premier cadavre, sa réaction face au sang qui s’écoule est équivoque : il est fasciné. À Françoise, il explique que la lumière du soleil risque aussi d’avoir raison de son existence. Il dit également être beaucoup plus vieux qu’il n’en a l’air, qu’être un vampire est comme une maladie. Quand la jeune femme le touche pour la première fois, elle trouve que sa peau est glacée. Pour autant, le personnage ne montre aucune capacité surnaturelle particulière. Son costume prêterait presque à sourire, tant il paraît ancré dans une représentation caricaturale de la figure du vampire.
La Morsure de Romain de Saint-Blanquat est une œuvre toute en ambiance, qui s’installe progressivement, et oscille continuellement entre fantastique et onirisme. Un long-métrage axé sur le passage à l’âge adulte, qui n’en oublie pas pour autant de travailler son cadre, que ce soit la maison vide ou la forêt, omniprésente. Un film nonchalant, qui vous hante encore une fois la projection terminée. Une très belle surprise, en tout cas. A noter que pour le moment (décembre 2023), le film a uniquement été montré en festival. En France, la sortie est prévue en salle pour le 15/05/2024.