Eggers, Robert. Nosferatu. 2024

Thomas Hutter vient tout juste de convoler en justes noces avec Ellen. Le jeune homme, qui aspire à évoluer au sein de l’étude où il travaille, se voit missionné par Knock, son employeur, pour une tâche de première importance. Il doit se rendre en Transylvanie, auprès du comte Orlok, pour faire signer à celui-ci l’acte d’achat d’une vieille demeure de la ville. Car Orlok, décrit comme un original, voudrait finir ses jours à Wisborg. N’écoutant pas les imprécations de son épouse, Hutter confie celle-ci à un couple d’amis, Friedrich — un riche armateur — et Anna. Après des semaines à travers la campagne, Hutter entre enfin dans les murs du château d’Orlok.

Difficile d’envisager un remake du Nosferatu de 1922, jalon du cinéma fantastique, voire du cinéma tout court. Pourtant, en 1979, Werner Herzog s’était déjà essayé à l’exercice, offrant le rôle initialement joué par Max Schreck à Klaus Kinski. Herzog se livrait à une adaptation en couleur du métrage de 1922. Il est très proche du film de 1922 tout en assumant le matériau de départ : les personnages retrouvent leurs noms d’origines, tirés du Dracula de Bram Stoker. Enfin, il conserve pour partie la représentation du vampire imaginé par son prédécesseur, mais la puissance de Kinski devant la caméra renvoie davantage que la fragilité originale de Nosferatu. Le casting de Nosferatu : Phantom der Nacht est complété par Isabelle Adjani (Ellen) et Roland Topor (Knock), et bénéficie d’une musique signée par le groupe de krautrock allemand Popol Vuh. S’il reste fidèle, il n’en imprime pas moins assez sa marque pour s’imposer dans la longue suite des adaptations du roman de Stoker.

Les premières annonces concernant le Nosferatu de Robert Eggers remontent à 2015, alors que le réalisateur n’a encore que The Witch (2015) à son actif. Il faudra de fait attendre que The Lighthouse (2019) et The Northman (2022) ne voient le jour avant que le projet ne passe au premier plan. Et que le casting principal ne se stabilise autour (notamment) de Bill Skarsgård, Lily-Rose Depp, Nicholas Hoult et Willem Dafoe.

Dès les premières images du film, Eggers montre qu’il ne va pas se borner à proposer un remake plan par plan du Nosferatu de 1922 ou de son successeur. L’idée d’un lien entre Ellen et Nosferatu émerge dès là première scène, ce qui permet déjà au réalisateur d’offrir des raisons tangibles à l’arrivée du vampire à Wisborg. Avec cette ouverture, il fait de la place des femmes dans la société patriarcale du XIXe un fil rouge de son métrage. D’un côté avec Ellen, dont la « mélancolie » est rejetée par son père, et qui trouve finalement une porte de sortie en épousant Hutter. De l’autre avec Anna, la femme de Friedrich, à la fois amie et confidente d’Ellen, mais dont la vie paraît totalement réglée par celle de son mari.

Si l’on prend le film dans son ensemble, difficile de ne pas trouver remarquable le travail mené par Eggers sur l’approche visuelle de son Nosferatu. Les couleurs froides renvoient d’emblée au Nosferatu de Herzog, mais aussi au Possession de Żuławski, et contribuent à une superposition entre Lily-Rose Depp et Isabelle Adjani. Mais la jeune actrice n’est pas uniquement un décalque de son ainée : elle s’empare de son personnage, de ses angoisses et d’un corps qui paraît bien souvent ne plus lui appartenir. J’ai lu des reproches quant à l’approche très The Exorcist du protagoniste. Je ne trouve pas que cela soit très prégnant : les enjeux ne sont pas les mêmes ni les époques. Et quand bien même : le vampire n’est-il pas toujours dans une relation d’emprise vis-à-vis de sa victime ?

Eggers revient — il le dit en interview et la mention est également en exergue du film — autant au métrage de 1922 qu’au roman de Stoker. Si à la différence de Herzog, il garde les noms des personnages imaginés par Murnau et Grau pour éviter la censure, il n’en réalise pas moins des ajustements qui rapprochent son récit de celui du texte original. Ainsi Sivers, Hutter, Von Franz et Harding finissent-ils par devenir un trio de chasseurs de vampires, à l’image de celui qui se construit autour de Van Helsing dans le livre. Si ces personnages sont déjà pour partie dans le Nosferatu de 1922, Eggers leur offre une place plus importante dans l’histoire. Il y a également la mise en scène du vampire, entre sa moustache (généralement laissée de côté par les adaptateurs, mais présente chez Stoker), et son habit de soldat. Une façon de souligner le passé militaire du protagoniste ? Lequel reste dans l’ombre la majeure partie du film : on le devine plus qu’on ne le voit réellement, et c’est sa voix qui en est la manifestation la plus tangible. Là aussi, on revient au roman, où Dracula est celui qui s’efface devant le récit des autres personnages. Eggers n’en occulte pas les spécificités du métrage de Murnau : le château de ce dernier ne cesse de rappeler l’architecture d’Orava, où il a été tourné. Et plusieurs passages sont des échos évidents du film original, notamment celles où l’épidémie s’étend dans la ville. Sans oublier les références occultes, qui se cristallisent dans les échanges épistolaires entre Knock et Orlok.

De mon point de vue, il y a aussi une certaine volonté de revenir aux sources de la figure du vampire. La scène à laquelle assiste Hutter, quand il est chez les Tsziganes, est à ce titre inattendue. Elle n’existe pas dans les deux Nosferatu passés, mais on voit des scènes similaires dans Leptirica (1973) et Ceremonia sangrienta (1973). L’utilisation d’une jeune femme nubile juchée sur un étalon pour détecter la tombe d’un vampire est une pratique qui renvoie à une créature dont la fortune littéraire ne s’est pas encore construite. Un temps considéré comme un acte insensé par Hutter, il n’en comprendra que bien plus tard la réalité. Eggers rajoute le pacte avec le démon entre Ellen et Nosferatu, l’invitation au vampire constituant l’étape finale à ce contrat. Et si l’usage d’un pieu en plein cœur pour venir à bout du monstre est un élément puisé dans le roman, la mort de ce dernier au chant du coq est en résonance directe avec le film original.

Visuellement, difficile de ne pas être bluffé par le travail d’Eggers, qui transforme Nosferatu en une luxueuse ghost story de Noël. Pour autant, je dois avouer ne pas être totalement convaincu. Il y a un côté grand-guignol dans le personnage de Nosferatu qu’Eggers mâtine ici de gore. Son vampire ne disparaît plus au chant du coq : il saigne par tous les pores de sa peau et son corps difforme et monstrueux continue de s’imposer à l’écran. Defoe (qui avait déjà approché le sujet dans Shadow of the Vampire) campe quant à lui un Van Helsing de circonstance qui renvoie dans les cordes les outrances de celui interprété par Hopkins chez Coppola. Et j’ai tendance à souvent juger les adaptations de Dracula en fonction de qui et comment est incarné Knock/Renfield. Ici, Simon McBurney ne me fait oublier ni Roland Topor (Nosferatu, 1979), ni Tom Waits (Dracula, 1992), voire même Klaus Kinski (Nachts, wenn Dracula erwacht, 1973).

Un remake visuellement bluffant, donc, doté d’une photographie remarquable, marque de fabrique du réalisateur. Mais cette puissance ne me paraît pas suffire à aller au-delà du remake, et à faire de ce Nosferatu un game changer. Il n’en demeure pas moins que le long-métrage d’Eggers est très efficace, et qu’il propose plusieurs scènes mémorables qui s’impriment durablement sur la rétine des spectateurs.

Note de l’auteur : film vu le samedi 04 janvier 2025, en VF.

Eggers, Robert. Nosferatu. 2024Eggers, Robert. Nosferatu. 2024Eggers, Robert. Nosferatu. 2024

 

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