En 1966, après avoir placé avec succès un programme de golf chez ABC, Dan Curtis parvient à convaincre les responsables du réseau câblé qu’il est en mesure de remplir le créneau de fin d’après-midi avec le soap opera tant attendu. Ce projet, il en a vu les premières images en rêve : celles d’une jeune femme seule, dans un train, qui arrive à la porte d’une étrange demeure. Dark Shadows commence sa diffusion le 27/06/1966, pour 13 semaines. Mais les audiences ne suivent pas d’emblée, et la série est menacée d’annulation. Dan Curtis décide donc d’aller encore plus loin dans l’approche gothique du projet, et intègre des personnages surnaturels à l’ensemble, à commencer par un fantôme. Le 18/04/1967, c’est au tour du vampire Barnabas Collins de faire son apparition, faisant d’emblée exploser les audiences.
Je lorgnais sur le documentaire Master of Dark Shadows depuis les premières annonces le concernant, qui remontent à début 2019. La série, qui n’a jamais été diffusée en France, est en effet un objet culturel incontournable quand on s’intéresse à l’évolution du vampire au cours du vingtième siècle. Ce documentaire permet de comprendre à la fois la genèse du soap opera, son impact (encore aujourd’hui) ainsi que de mieux cerner Dan Curtis, maître d’ouvrage à qui on doit également d’autres œuvres cinématographiques d’ampleur. Pour autant, c’est bien Dark Shadows qui est le projet au cœur de ce documentaire, que ce soit la série mère, les adaptations cinéma et le remake de 1991. Dommage pour Burnt Offering, les films consacrés à Kolchak ou encore le Dracula avec Jack Palance, qui auraient à mon sens mérité qu’on les remette un peu en lumière.
Mais ne boudons pas notre plaisir. Pour ceux que la série intéresse, le documentaire est de bonne tenue, propose des interviews d’une large part des intervenants, se basant aussi bien sur des entretiens récents que sur des images d’archives (essentiellement pour Jonathan Frid – AKA Barnabas Collins – et Dan Curtis, décédés tous deux depuis quelques années au moment du tournage). D’autres personnalités extérieurs au projet, comme Barbara Steele (qui a joué pour Curtis dans le remake de Dark Shadows et dans Winds of War), Whoopi Goldberg ou Alan Ball (le showrunner de True Blood) permettent également de mesurer l’impact qu’à pu avoir la série à son époque, impact qu’on serait en droit de comparer à celui de Buffy contre les vampires, pour un équivalent plus contemporain.
Pour autant, le documentaire ne se limite pas à jouer la corde nostalgique. Les intervenants (et le réalisateur) ne cachent pas les difficultés de tournage. Les épisodes étaient en effet tournés en une seule prise, à un rythme effréné, les acteurs découvrant au jour le jour leurs dialogues. On sent aussi que le show a fini par devenir pesant pour son mastermind, qui a vu avec soulagement la chaîne annuler la série en 1967, après 1225 épisodes, alors que lui-même était désormais engagé dans d’autres projets (à commencer par les deux films qui se basaient sur les arcs emblématiques de DS).
Concernant la place du vampire dans Dark Shadows, difficile d’occulter l’influence de Barnabas Collins sur l’évolution qu’a connue le buveur de sang en tant que créature de fiction depuis les années 70. Pour la première fois (si on laisse de côté quelques nouvelles parues dans les pulps), le vampire était présenté comme victime d’une malédiction, et dévoilait un visage plus contrasté. Dark Shadows est également l’une des premières (sinon la première) à avoir été accompagnée par une série de romans originaux, et son mélange d’époque contemporaine et de créatures surnaturelles de tous genres en fait une des sources de ce qu’on appelle aujourd’hui l’Urban Fantasy.
Un documentaire passionnant sur une série TV malheureusement introuvable par chez nous : il n’existe pas de coffrets DVD dont la zone correspond à la nôtre, ni de version proposant des sous-titres. Pour autant, au vu du nombre de romanciers qui ont contribué à remodeler le visage du vampire à partir de la deuxième partie des années 70, Dark Shadows est un jalon de premier ordre. Petit bémol, cependant, concernant la visibilité qui aurait pu être donné aux autres projets fantastiques du réalisateur.