En 1881, quelque part en Roumanie, Van Helsing exhume le corps de Dracula et le fait revenir à la vie. Sa famille ayant été décimée par l’Ordre du Dragon, le médecin et scientifique envisage de faire du vampire son allié. Car la femme de Vlad Tepes a été tuée sous ses yeux, et ce sont les membres de l’Ordre qui ont fait de lui le monstre assoiffé de sang qu’il est devenu. Dix ans passent, jusqu’à ce que le vampire ne fasse sa réapparition dans la société londonienne. Sous le nom d’Alexander Grayson, il se présente comme un riche magnat venu des États-Unis. Son but : imposer un procédé électrique révolutionnaire sur le marché des énergies. Grayson et Van Helsing savent que, ce faisant, ils peuvent mettre un coup d’arrêt aux rentrées financières de l’Ordre. Ce dernier s’est modernisé, et évolue désormais entre les mondes de la finance, de l’industrie et de la politique. Rapidement, Grayson fait également la rencontre de Lucy Westenra, Jonathan Harker, et Mina Murray. La ressemblance entre celle-ci et Ilona, la femme défunte de Dracula, trouble celui-ci. Entre son attirance pour la jeune femme et ses projets de vengeance, Dracula devra-t-il fait un choix ?
Dracula est une série TV imaginée par Cole Haddon et Daniel Knauff. Si le premier a un CV relativement mince, le second, qui jouera le rôle de showrunner, est l’un des artisans de la série Carnivale. De quoi espérer le meilleur pour cette adaptation de Dracula sur le petit écran. La dernière en date remontait à 2006, sous la forme d’un téléfilm réalisé par Bill Eagles pour la BBC. De fait, il s’agissait davantage d’un projet basé sur la pièce de théâtre que sur le roman. Il y avait donc toute latitude, pour le duo de créateur, de revenir au texte d’origine.
Pour autant, dès le pilote, on comprend que Haddon et Knauff envisagent tout autre chose. Ils choisissent de tracer leur propre voie, ne collant ni au roman ni à la pièce. Ce qui explose à l’écran dans la première scène : Van Helsing découvre le corps momifié de Dracula et sacrifie un de ses assistants pour ressusciter le vampire. Les deux antagonistes deviennent donc des alliés contre un ennemi unique : l’Ordre du Dragon, dont ils ont tous les deux été victimes. La série bascule ensuite sur le Londres victorien, 10 ans plus tard. À partir de là, le récit va s’articuler autour du bras de fer qui va se nouer entre Dracula/Grayson et l’Ordre. Ces derniers vont devoir lutter contre ce qu’ils pensent être une hydre bicéphale. D’un côté l’industriel américain Alexander Grayson, qui pourrait bien mettre un frein à leurs revenus financiers. De l’autre, stopper la progression des vampires qui refont leur apparition en ville, après des années.
On retrouve beaucoup l’héritage de Dark Shadows et du Dracula de Coppola au fil de la série. Le lien avec Vlad Tepes, avec l’idée que Dracula apprécie le supplice du pal, revient plusieurs fois dans le récit. Le fait que sa femme défunte se nomme Ilona, son appartenance passée à l’ordre du Dragon, tout ça penche fortement vers le long métrage de 1992. Sans même parler de l’introduction, dont le parti-pris ombre chinoise rappelle celle du film de Coppola. Quant à Dark Shadows, l’idée que Mina puisse être la réincarnation d’Ilona, et l’usage de la science pour permettre à Dracula de marcher au soleil, y fait sans nul doute référence. Une fois de plus, on a donc la démonstration que Dracula est un personnage somme, et que chacune de ses nouvelles incarnations puise dans celles qui l’ont précédé.
La série de Knauff et Haddon fait de Dracula un antihéros : elle met sur le devant de la scène un être ambigu, déchiré entre son humanité (représenté par son attirance pour Mina) et sa condition de vampire. ment, depuis Van Helsing qui prononce dès le pilote la phrase « Le sang c’est la vie », habituellement attribuée à Dracula. La galerie de personnages est également malmenée : ne subsistent que Mina, Lucy, Jonathan, Van Helsing, Renfield et Dracula. Les protagonistes féminins sont davantage mis en lumière, à l’image de Mina qui est ici une étudiante en médecine. Dracula trouvera quant à lui une opposante à sa mesure en la personne de Lady Jane, chasseuse au service de l’Ordre. Mention spéciale pour Renfield, qui n’est plus le fou obsédé par le sang que le texte de Stoker faisait de lui. Sous les traits de Nonso Anozie, il devient un homme de loi allié de son plein gré à Grayson/Dracula. Quant à Dracula, il avance ses pions au grand jour, quand ses ennemis tirent les ficelles dans l’ombre.
Très clinquante, la série joue sur le registre du steampunk – ou pour être précis du teslapunk – avec une grande place accordée à la technologie et la science. Quelque part, il y a l’idée de l’opposition entre l’ancien monde et le nouveau monde, et une certaine cristallisation du basculement représenté par la révolution industrielle. Pour autant, ici c’est Dracula qui incarne l’avenir technologique, quand l’Ordre s’accroche aux énergies fossiles. Dans le même temps, on sent que True Blood est passé par là. Les vampires ne se dissimulent plus, la morsure n’est plus qu’une métaphore de la tension sexuelle. Cette dernière s’exprime sans fard, avec en son centre Dracula (notamment avec Lady Jane).
Annulée après une saison, Dracula n’aura au final pas convaincu grand monde. Portés par un Jonathan Rhys-Meyer sulfureux, encore auréolé du succès des Tudors, les 10 épisodes semblent se chercher sans jamais se trouver. L’ensemble montre que la série porte l’héritage autant du petit que du grand écran, mais elle se perd en s’éloignement radicalement du matériau d’origine. Si on y revient toujours pas petites touches (jusqu’à la transformation de Lucy), difficile de retrouver autant le fond que la forme du roman de Bram Stoker.