Jonathan Harker est envoyé par son employeur en Transylvanie afin de faire signer au comte Dracula l’achat d’une vieille demeure de Wismar. Alors qu’il peut espérer une compensation financière non négligeable pour le déplacement, la femme d’Harker est prise d’un mauvais pressentiment. Pour autant, Jonathan part dans la journée pour le château du comte. Alors qu’il considère tout d’abord les réticences des villageois comme un résidu de superstitions, le jeune clerc de notaire va rapidement être pris dans la toile du comte.
Remake du film de Murnau, le Nosferatu de Herzog s’impose rapidement comme un véritable hommage au cinéma muet. Les déplacements très théâtraux des personnages (Dracula en tête), le jeu impressionnant sur la lumière, l’aspect intimiste de l’ensemble, sans compter les nombreux effets de miroir avec le film d’origine, tous ces éléments contribuent à faire de ce Nosferatu une révérence aux débuts du cinéma allemand. Comme si le cinéma des années 70 – 80 retournait, par le déplacement de l’intrigue de la ville au château du comte, à ses origines.
Ce déplacement entre la ville de Wismar et le col de Borgo permet également au réalisateur d’insuffler une importante dimension onirique à son œuvre. La nuit et la brume tombent alors que Jonathan approche du château, qui sera conduit auprès du comte dans une calèche aux airs appuyés de corbillard. Un choix bien senti, d’autant que tout, dans la demeure du comte, suinte le macabre et la mort, depuis les chambres poussiéreuses et sans dessus dessous qui émaillent la bâtisse en passant par les animaux empaillés qui décorent la bibliothèque. Ou cette étrange horloge qui met en scène la mort, armée de sa faux. Dès qu’il pénètre la demeure de Dracula, Jonathan se retrouve pris dans un tourbillon où rêve et réalité ne cessent de s’entremêler, créant chez lui une inextricable confusion. Cette difficulté à se repérer est également présente au niveau des repères spatiaux, entre les momies mexicaines de l’introduction (les fameuses momies de Guanajuato), la Transylvanie, l’Allemagne (le comte reliant l’une à l’autre en bateau)
L’ambiance mortifère qui règne dans le château du comte semble pour autant attachée au personnage, qui va entraîner la mort dans son sillage, alors qu’il fait route vers Wismar. Le maître des rats (comme Renfield le nomme) instaurera en effet une atmosphère qui lui sied davantage que celle de la cité vivante et insouciante, semant le désespoir parmi la population qui se résigne rapidement à une fin inéluctable. L’imagerie macabre contamine donc la ville, entraînée malgré elle dans un ballet macabre.
Esthétiquement, le film est une vraie réussite. Autant par les clins d’œils à son prédécesseur que par le rendu très école flamande de certaines scènes, autant par la luminosité et les couleurs que par la mise en scène. Les différentes apparitions du comte, depuis le moment où il ouvre la porte pour accueillir Harker jusqu’à son tête à tête fatal avec Lucy donnent à Kinski tout le loisir pour donner l’image d’une créature apparaissant et disparaissant à loisir. Une créature qui de fait se joue des conventions sociales mais n’aspire qu’à être aimée, malgré sa laideur.
Remake du film de Murnau oblige, lui-même inspiré du roman de Stoker, Nosferatu respecte les caractéristiques habituelles des vampires. Soumis à un rythme de vie nocturne, car ils craignent le soleil, les vampires sont des créatures qui ont besoin de se nourrir de sang. Ils peuvent être repoussés par les symboles religieux (crucifix, hostie), et être finalement détruits si on leur enfonce un pieu en plein cœur. Leur morsure peut enfin entraîner la mort ou la transformation en créature de la nuit.
Un film complexe, car regorgeant de références esthétiques qui finissent par voir l’ensemble flirter avec le surréalisme (la thématique onirique n’y étant pas pour rien). Le trio Kinski – Adjani – Ganz campe à merveille les personnages principaux, sans oublier certains rôles secondaires, comme ce Renfield rendu complètement hystérique par Roland Topor. A la fois hommage à son modèle et œuvre indépendante, ce Nosferatu possède en outre une bande-son parfaitement maitrisée, qui semble elle aussi jouer sur la rencontre entre deux mondes (des chants grégoriens côtoyant par exemple la partition de Popol Vuh). Seul bémol pour l’édition actuelle du DVD chez Gaumont : l’absence de piste VO, pour des raisons de droits. Ce qui ne devrait déranger que les puristes, malgré quelques passages ou les doublages sont moins convaincants (notamment au début du film).
Magnifique film, ultra gothique, que je n’ai découvert que très récemment. J’ai été hypnotisée par les clairs-obscurs, les scènes sur la plage, et par l’intemporalité des personnages – sublimes et pâles dans cette atmosphère oppressante. Ça n’a pas vieilli, hormis le charme suranné qui fait partie de l’ADN du film – je ne suis pas sûre qu’on réussirait à faire aussi beau, aussi poétique avec si peu aujourd’hui.
Du coup, je me demande ce que vaut le Nosferatu de Murnau ? Et si le film de Herzog en a été une bon remake ?