L’Allemagne des années trente est encore sous le choc de la défaite. La crise économique de 1929 n’arrange pas les choses; le taux de chômage est au plus fort, et une large partie de la population peine à trouver de quoi se nourrir. La république de Weimar ne parvient pas à contrôler la situation : la criminalité explose, alors que dans le même temps les SA agissent au grand jour. C’est dans ce contexte qu’à Düsseldorf, deuxième ville du Land de Rhénanie, des meurtres de femmes défraient la chronique. La violence du tueur lui vaut rapidement le nom de « Vampire ». Ce dernier, Peter Kürten, est un ouvrier qui peine comme tout un chacun à gagner sa vie. Si le jour il est un employé taiseux, la nuit, il met ses plus beaux habits et écume les cabarets, à la recherche de ses victimes. C’est là qu’il rencontre Anna, une chanteuse dont il s’entiche.
Sorti en 1965, Le Vampire de Düsseldorf trouve son origine dans l’intérêt de son réalisateur pour M le Maudit. De multiples visionnages du film de Fritz Lang titillent en effet Robert Hossein, qui décide de se rapprocher de la vérité historique, quand le film de Lang n’est que partiellement inspiré des faits (et puise dans d’autres affaires de l’époque). De fait, Le Vampire de Düsseldorf revendique dès son titre le lien direct à Peter Kürten (le nom du Vampire). Le métrage s’ouvre sur des images d’archives, qui posent le contexte historique, entre chômage galopant et montée en puissance du crime (notamment les exactions des SA d’Adolf Hitler). Pour autant, la fidélité n’est que relative, et le film de Hossein n’est pas un documentaire, et ne colle pas totalement à la réalité. Comme le signalent les bonus, Kürten était marié, il a fait plusieurs séjours en prison (la première fois pour un meurtre commis lors d’un braquage).
Le film se focalise sur une période où Kürten a déjà commencé à faire parler de lui, et s’achève sur une voix off qui raconte sommairement son arrestation, son procès et son exécution. L’intérêt d’Hossein va au personnage, qui est le point central du film, et qu’il choisit lui-même d’incarner. Si l’enquête se poursuit autour de ses exactions, c’est en effet la solitude et la dualité du protagoniste que le réalisateur-acteur décide de souligner. Timoré et taiseux le jour, Kürten est une créature de la nuit, qui troque sa tenue d’ouvrir pour un costume avant de se couler dans le monde de la nuit. Cabarets et clubs sont ses lieux de prédilection, où son apparente gentillesse et sa nonchalance lui permettent de séduire ses victimes. Une fois seul avec elles, il suffit que ces derniers fassent montre d’un soupçon de peur à son égard pour que ses pulsions prennent le dessus. Les liens qui se tissent entre le tueur à Anna, cette jeune chanteuse-danseuse dont il s’éprend, est finalement assez emblématique de l’attitude du personnage. Sûre d’elle, aguicheuse, il semble apprécier la relation dominant-dominé qu’elle lui impose. Quelque part, on pourrait voir un elle une vamp, ces beautés vénéneuses inventées par le cinéma américain des années 1930 qui séduisent et manipulent les hommes. Et qui d’autres qu’une vamp pour prendre l’ascendant – même si temporairement – sur un vampire ?
Visuellement, le film – tourné en noir et blanc – intègre l’influence de l’expressionnisme, par ses jeux d’ombres permanents (d’autant que la majeure partie du récit se déroule de nuit). La photo comme les cadrages ne cessent de mettre en opposition le destin de cet homme seul, son ambiguïté, et le tumulte de l’époque où il évolue. L’ensemble dénote d’un grand souci esthétique, particulièrement prégnant lors des scènes qui se déroulent dans la chambre de Kürten, où chaque objet semble là à escient.
Avec son Vampire de Düsseldorf, Hossein propose un film centré autour de sa vision de Peter Kürten, la relation que celui-ci noue avec Anna prenant progressivement plus de place. Le bluray de Sidonis offre de nombreuses interviews en bonus, notamment de Robert Hossein, de Marie-France Pisier (Anna) et de l’écrivain Marcel Schneider (qui m’a plus intéressé quand il détaille le cas de Kürten que quand il parle de la figure du vampire). Deux présentations du film sont également présentes, l’une par Patrick Brion (historien du cinéma, il a également participé à la programmation de l’émission La Dernière Séance), l’autre par François Guérif (créateur de la librairie le Troisième Oeil, également critique de cinéma et éditeur).