Les exactions d’un tueur en série défraient depuis plusieurs mois l’actualité de la ville de Berlin. Le meurtrier, qui s’attaque exclusivement à des petites filles, semble insaisissable, malgré la pression policière. Quand Elsie Beckmann est à son tour victime du criminel, l’hystérie s’empare des habitants. Chaque comportement suspect, chaque adulte surpris en compagnie d’un enfant attire sur lui la vindicte et les dénonciations. D’autant que l’assassin a prévenu la population par voie de presse : il récidivera. Les principaux dirigeants du crime organisé commencent à s’agacer de la situation, car la police paraît persuadée qu’elle va trouver le coupable dans leurs rangs. Ils décident donc de mettre la main eux-mêmes sur le meurtrier.
Le M de Fritz Lang est un des chefs d’œuvre du cinéma, que son réalisateur lui-même considère comme son film le plus abouti. Sorti en 1931, le long-métrage est le fruit de la collaboration entre Lang et Théa von Harbou, une autrice devenue sa femme en 1922. Si le nom du meurtrier, Beckert, n’a aucun lien avec le réel, le métrage est indubitablement inspiré par des affaires alors récentes, notamment celles du Vampire de Düsseldorf (Peter Kürten), du Vampire de Hanovre (Fritz Haarmann) et du Boucher de Berlin (Carl Großmann). A l’occasion d’une interview ultérieure, Lang a néanmoins tenu à nier une influence prédominante, citant d’autres tueurs de l’époque, tels que Karl Denke. Mais le cas Kürten résonne de manière différente avec le film : ses crimes s’étalent entre 1929 et 1930, et son procès débute en avril 1931 (il sera décapité en juillet de la même année), M sortant un mois plus tard. Sachant que Lang a rencontré Kürten alors qu’il travaillait sur le film, comme le révèle Paul Jensen dans son livre The Cinema of Fritz Lang.
Pour autant, il n’y a rien de vampirique dans le métrage de Lang. À aucun moment il n’est dit que Beckert s’abreuve du sang de ses victimes. Il est uniquement décrit en meurtrier d’enfant, et aucune scène de crime n’apparaît frontalement à l’écran, laissant le spectateur se faire sa propre idée de ce qui se passe à l’arrière-plan. La pulsion sexuelle n’en est pas moins plus que suggérée, le réalisateur montrant Beckert tenter — en vain — d’y résister. Si le film n’est pas de facto à considérer comme expressionniste, l’héritage en est bien là, avec l’importance accordée aux jeux d’ombres, et la présence d’une certaine poétique visuelle. Mais l’ensemble possède un ancrage fort dans le réel, que ce soit dans la description des méthodes policières que celle de l’existence du crime organisé. C’est clairement l’acte de naissance du film noir.
Si le contexte social n’apparaît que de façon ténue dans le métrage (à la différence du Vampire de Dusseldorf de Robert Hossein), certains éléments épars permettent de se faire une idée de l’état de l’Allemagne à cette époque. Ainsi le nombre de mendiants, la puissance accrue des criminels face à une police souvent dépassée. Durant la dernière scène du film, l’une des mères relève la tête, comme pour un échange avec le spectateur, arguant que le procès ne ramènera par les enfants morts, et qu’il faut mieux les protéger. Pour moi, on peut aussi voir dans ce final un moyen pour le réalisateur de dire ce qu’il ne pouvait dire ouvertement : la menace du nazisme qui corrompt tout autour de lui, à commencer par la jeunesse.
Un très grand métrage, d’un réalisateur dont la filmographie s’étale de 1919 à 1960. M est sans doute le point culminant de sa période allemande, Lang étant obligé de fuir à la prise de pouvoir des nazis (sa mère étant juive de naissance, même si convertie bien avant 1933). Une vraie œuvre de cinéma, où se confrontent l’influence expressionniste et une approche quasi documentariste, n’hésitant pas à faire appel à des criminels comme figurants. J’ai vu le film dans l’édition Blu-ray éditée par Films sans Frontières. Je recommande davantage celle sortie chez Tamasa, qui propose un livre et plusieurs bonus documentaires.