En juin 2017, on apprenait que Steven Moffat et Mark Gatiss, les deux créateurs derrière Jekyll, les dernières saisons de Dr Who et Sherlock, travaillaient à une adaptation du Dracula de Bram Stoker. Un peu plus d’un an plus tard, la BBC donne le feu vert au projet, rapidement annoncé pour une diffusion début janvier 2020. À l’image de ce que le duo avait pu faire avec Sherlock, la minisérie est prévue en trois épisodes d’1 h 30 chacun. Les deux créateurs, dans leurs premières communications sur la série, disent à la fois vouloir être fidèles au roman, mais aussi s’en éloigner quand bon leur semble, piochant ça et là des éléments, en réintégrant d’autres, abandonnant enfin certains personnages, scènes ou rebondissements. Chaque épisode se présentant comme une oeuvre autonome, il me semble judicieux, dans la chronique qui va suivre, de les aborder ainsi.
The Rules of the Beast est le premier épisode de ce Dracula cuvée 2020. D’emblée, les scénaristes donnent l’impression de rompre avec le matériau d’origine, et imposent un fil rouge inattendu. On se retrouve aux côtés d’un individu qu’on comprend rapidement être Jonathan Harker, passablement diminué et confiné dans une cellule. Deux nonnes viennent à son chevet, bien décidées à recueillir son témoignage. Car si Harker a passé ses premières heures à recenser fiévreusement ce qui lui est arrivé depuis sa rencontre avec le Comte Dracula, Agatha, l’une des deux sœurs, a conscience qu’il a sans nul doute tu certaines choses.
Cette première partie corrobore les déclarations de Moffat et Gatiss. Si la relation que fait Harker de son arrivée et de son séjour au château de Dracula est relativement fidèle à ce qu’on trouve dans le roman, l’ouverture du récit est toute autre. De même, le duo malmène certains éléments attendus (les trois fiancées de Dracula) tout en rajoutant des découvertes de leur cru (les caisses que dissimulent les profondeurs de la forteresse). Ajout majeur, le personnage d’Agatha, qui révélera dans la dernière partie de l’épisode sa filiation (le nom de famille est le même) avec l’un des antagonistes principaux du vampire. De même, la destinée de Harker semble bien différente de ce à quoi on pouvait s’attendre. Au cœur de ces ajouts, c’est le thème de la corruption qui prend le dessus sur cette première partie. Dracula est un vampire dans tous les sens du terme : au fur et à mesure des jours que Jonathan passe à ses côtés, ce dernier devient maladif, alors que le comte se transforme. D’un vieillard possédant un lourd accent quand il prend la parole en anglais, il se mue en un homme plein de vie et en pleine maîtrise de la langue de Shakespeare.
Moffat et Gatiss intègrent à ce premier volet de nombreuses allusions aux adaptations passées du texte. Ainsi les jeux sur les ombres renvoient à Nosferatu (sans même parler du décor, la production ayant choisi le château d’Orava, où Murnau a tourné son film), ainsi la scène du miroir ne peut que faire penser à son équivalent chez Coppola, ainsi les poses de Claes Bang (qui incarne le comte) renvoient tour à tour à Christopher Lee et Bela Lugosi (qui est aussi convoqué par sa célèbre phrase « Je ne bois jamais… de vin »). L’approche historique, par ses couleurs et ses jeux de lumière en appelle également à la Hammer et à son cycle des vampires. Mais le résultat à l’écran diffère. On est loin tout autant du baroque du Bram Stoker’s Dracula avec Oldman. Dracula n’est pas ici, un immortel en quête de rédemption et d’amour. Au contraire, il apparaît comme un sadique avide d’expérimenter sur sa propre descendance. De fait, la sexualité, si elle peut être vue comme un moyen, n’est finalement que peu centrale à l’écran. Dracula n’est ni hétérosexuel ni homosexuel : il cherche avant tout à assurer sa survie. Agatha, son opposante principale, est aussi riche en contraste. Si elle évolue sous l’apparence d’une bonne sœur (tout en admettant ne plus forcément croire en Dieu), elle n’en est pas moins versée dans les arts obscurs. On la verra également capable de jouer le rôle de la tentatrice avec Dracula.
Oui certains ajouts vont faire grincer des dents. Oui, les deux têtes pensantes du projet injectent à l’ensemble une touche d’humour noir qui rappelle leurs travaux passés. Mais ce premier volet montre avant tout une connaissance aussi bien de la matière de base (le roman) que de sa fortune cinématographique. De quoi proposer une relecture moderne et personnelle au premier tiers du livre, avec ce premier épisode. Lequel remet Dracula au cœur de l’histoire, ce qui est une trahison complète du texte de Stoker (mais un parti pris réussi, de mon point de vue).
Blood Vessel est le deuxième épisode de la série. Le fil rouge se noue cette fois-ci autour d’une joute verbale entre Dracula et Agatha, alors que tous deux disputent une partie d’échecs. Le récit de Dracula va se concentrer sur la traversée du Déméter, un passage du roman qui a déjà connu beaucoup d’adaptations, mais très rarement à l’écran (un projet est cependant en pré-production, avec André Øvredal derrière la caméra). On a entre-temps eu droit au comics Bram Stoker’s Death Ship de Gary Gerani et Stuart Sayger, et au non moins intéressant La Glace et le Sel de José Luis Zarate. Moffat et Gatiss sont pour autant dans un registre bien différent. On retrouve les hommes d’équipage sous les noms que Stoker leur avait donnés, Abramoff, Olgaren, Petrofksy. Mais le duo enrichit la liste des personnages présents à bord par une poignée de passagers et par Dracula lui-même, qui fait ici le voyage à visage découvert. Ce parti pris donne un côté whodunit à l’ensemble : une intrigue policière se met en place autour des disparitions successives des passagers, chacun ayant ses petits secrets. Sachant que ce qu’il y a ici à découvrir, ce n’est pas le meurtrier, mais bien qui se dissimule dans une des cabines du bateau.
L’ensemble a de fait un côté très british par son humour grinçant, personnalisé par Dracula qui manipule tout ce petit monde avec jouissance. Au fur et à mesure de la traversée, il puise à même le sang de ses victimes les connaissances nécessaires pour s’intégrer dans la société anglaise. Mais il en appelle dans le même temps aux désirs de ceux sur lesquels il jette son dévolu, femmes comme hommes, montrant par là qu’il est au-dessus de toute orientation sexuelle : seul le sang l’attire. A l’image du premier épisode, le recours à des effets gore ne manque pas, soulignant la bestialité du personnage et les difficultés qu’il éprouve à se contenir. On retrouve également dans ce deuxième opus les nombreuses allusions que font les deux créateurs à ceux qui les ont précédés. Les amateurs auront ainsi la surprise de voir monter à bord du Déméter un couple composé d’un certain Lord Ruthwen et de sa jeune femme, Dorabella.
Ce deuxième épisode victorien de la série est à mon sens un cran au-dessus de son prédécesseur : Moffat et Gatiss utilisent le roman comme cadre, mais savent s’en éloigner drastiquement, proposant une relecture dynamique et surprenante du livre de Stoker. Dans le même temps, ils montrent une vraie connaissance de la fiction vampirique (cinématographique, mais pas que), achevant de faire de leur projet une œuvre composite, comme avait pu l’être le film de Coppola.
Puis arrive The Dark Compass, troisième et dernier épisode de la série. Si les premières images nous ramènent à la fin du premier volet, l’histoire ne se déroule plus à l’époque victorienne, mais bien à l’ère moderne. Le duo de showrunner a donc choisi d’appliquer à la dernière partie du roman de Stoker un traitement similaire à celui de leur Sherlock : Dracula se remet en mouvement plus d’un siècle après le naufrage du Déméter et met enfin le pied en Angleterre. Là, il se confrontera à Zoé, descendante d’une vieille connaissance et parfaitement consciente de qui il est et du danger qu’il représente.
Moffat et Gatiss continuent ici leur jeu sur le texte d’origine et convoquent dans leur escarcelle des noms connus (Van Helsing, Jonathan Harker, Jack Seward, Lucy Westenra, Renfield, Quincey Morris). S’ils respectent certains liens entre eux (le trio Morris/Seward/Westenra, la relation entre Seward et Van Helsing), plusieurs des personnages sont traités de manière drastiquement différente. Lucy est ainsi présentée (jusqu’à ses dernières scènes) comme quelqu’un de relativement insupportable pour le spectateur. Quincey et Seward sont quant à eux à peine esquissés. Et si Renfield endosse le rôle de l’avocat de Dracula, force est de constater que Gatiss en fait un peu trop : la part comique du personnage prend le pas sur la « possession » (même si cette dernière a déjà été partiellement incarnée par Jonathan Harker dans le premier épisode). Certaines ficelles scénaristiques semblent également mal exploitées, comme cet Institut Jonathan Harker, dont on apprendra finalement peu de choses.
Pour autant, cette dernière partie ne manque pas d’intérêt, notamment dans la réflexion qu’elle apporte sur l’origine des « limites » du vampire, personnifiée par sa peur du soleil et de la croix, dans une perspective pour le moins jungienne. Les clins d’œil aux errances londoniennes de Dracula fourmillent (la cellule où il est enfermé porte le code AD 72, référence au Dracula 72 de la Hammer), et la relation qui se noue entre Dracula et Lucy est à n’en pas douter un des points d’orgue de l’épisode. Aussi détestable soit-il dans ses premières apparitions, le personnage porte en lui matière à clore la trilogie, et à donner un indice de plus à Zoé. Le personnage de cette dernière est également une des figures de proue de l’épisode, rappelant (de manière dévoyée) l’habituel twist de réincarnation qui échoit en règle générale à Mina. Je suis néanmoins quelque peu dubitatif devant les derniers instants de l’épisode, qui offrent un ultime retournement de situation un peu difficile à croire, compte tenu de ce que vient d’expliquer Zoé à Dracula.
Adaptation de Dracula oblige, les tropes utilisés sont aussi attendus que nombreux. Au rang des ajouts, on retiendra essentiellement l’idée que le sang des victimes puisse être canalisé par Dracula pour en extraire leurs connaissances, et ainsi parfaire les siennes. On verra également que si une personne tuée après la morsure d’un vampire revient en vampire, ce dernier est imparfait, comparé à Dracula. Aucun ne semble totalement en contrôle de ses capacités mentales. Le thème du miroir sera lui aussi utilisé plusieurs fois, les créatures voyant se refléter dans ces derniers la réalité de leur décrépitude (tout en pouvant influer sur ce qu’ils y projettent). À côté de ça, on assistera plusieurs fois à la transformation du personnage en animal (chauve-souris), l’impossibilité pour lui de pénétrer un lieu sans y avoir été invité étant un des autres tropes utilisés à maintes reprises. Reste que le plus intéressant, à mon sens, réside dans la recherche de Zoé/Agatha des raisons pour lesquelles certains éléments sont en mesure de repousser les vampires. Ce faisant, les auteurs explorent ce qu’il y a derrière l’idée du rituel apotropaïque, dans une perspective psychologique.
Au final, ce remodelage du livre de Stoker ne manque pas d’intérêt, si on le considère dans son ensemble. Moffat et Gatiss s’emparent autant de la fortune du roman (les allusions sont nombreuses, de Coppola à la Hammer à Browning en passant par Nosferatu) et proposent dans le même temps de réfléchir au personnage en lui-même, les codes qui lui sont rattachés et ce qu’il représente. Certains protagonistes sont fabuleux (Van Helsing), le deuxième épisode est un remodelage jouissif de la traversée du Déméter. Le duo a pour lui de faire plus que bêtement adapter à la lettre le roman : il en explore la richesse sur le fond comme sur la forme.
Déception.
Trois mots : bon, passable, mauvais.
Dans l’ordre chronologique des épisodes.
Comment d’aussi talentueux auteurs que Moffat et Gatiss ont-il pu autant passer à côté de leur sujet ?
La peur de ne pas répondre au souhait du grand public ?
Amateurs de classicisme passez votre chemin.
Prendre certaines libéralités vis-à-vis d’une oeuvre, fut-elle majeure est une chose.
Pondre un « Dracula » à la limite du grand-guignolesque en est une autre.
Claes Bang nous déroule toute la panoplie du one-man-show d’outre-manche.
Plus britannique dans l’esprit tu meurs (un comble pour un vampire originaire de Valachie).
Pourtant, l’interprétation de Claes Bang ne prête pas à de vives critiques.
Il se montre même remarquable parfois.
Mais s’égare aussitôt la seconde d’après.
Toutefois, son vampire m’est vraiment sympathique : il me rappelle roger Moore dans 007 ou le Saint.
Vous avez dit archétype ?
Sa Gracieuse Majesté m’en est témoin…
Plus sérieusement, a l’image de l’ensemble, tout cela est fort inégal.
Bon, si l’on a jamais lu le roman c’est plus facile à digérer.
Dans le cas contraire, il est difficile de faire abstraction d’un tel embrouillamini scénaristique.
L’utilisation du gore et de l’hémoglobine « à gogo » fait même un peu tâche (mais quoi de plus normal me direz-vous) pour une production qui est envisagée et destinée dès le départ (tout au moins je l’espère) comme étant autre chose qu’une simple réalisation de série B.
Non, encore une fois le premier épisode est plutôt réussi.
L’ambiance gothique est restituée à merveille.
Les clins d’œil à bela Lugosi et christopher Lee ont particulièrement bien amadoué et dompté le puriste que je suis.
Quant au second, l’affaire se gâte.
Consacrer un épisode d’une heure trente pour un huit-clos sur un bateau, fût-ce le Demeter, quel intérêt ?
Il ne manquait plus que hercule Poirot au milieu pour faire un remake maritime du Crime de l’Orient-express.
Le troisième…je n’ose même pas l’aborder.
XXI eme siècle ? Et tutti quanti ?
Je ne m’en suis toujours pas remis.
Le médecin m’a prescris un repos sévère et un traitement de cheval sans possibilité de tractation : Nosferatu de Murnau, Dracula de tod Browning, Nosferatu de werner Herzog et l’intégrale des films de vampire de la Hammer à revisionner d’ici la fin du mois.
Bon, j’avoue que je vais me plier sans rouspéter à une si heureuse ordonnance.
Faut dire que je reviens de loin avec le Dracula de messieurs Moffat et Gatiss.
Avis aux téméraires.
Et voilà, alors qu’on l’attendait tous, Dracula sur Netflix est enfin sortie. Mais du coup, que vaut cette version que nous offre Steven Moffat et Mark Gatiss ?
Adaptation du roman éponyme, les créateurs nous font ici une version sombre et hostile de Dracula à ne pas mettre entre toutes les mains.
Le premier épisode nous emmène directement dans le château du comte où Jonathan Harker arrive pour le fameux achat du grand domaine anglais Carfax.
Harker se rend alors rapidement compte que quelque chose chez cet homme qui rajeunit au fur et à mesure des jours.
Le second épisode se focalise sur la traversé vers les côtes anglaises à bord du Demeter. On y voit alors un Dracula qui, visiblement, à tout planifié jusqu’au moindre détail.
Le troisième épisode, complètement différent se passe ensuite à notre époque, 123 ans après les premiers événements.
Cette version nous présente un Dracula moderne gardant le côté authentique du livre. Claes Bang, l’interprète, le joue à la perfection, tantôt manipulateur, tantôt joueur, avec un charisme qui en séduira plus d’un. Les créateurs ont cependant opéré quelques changements qui collent finalement très bien à la version proposée.
Seul petit bémol notable, le format qui peut en déroute plus d’un, mais qui reste un format récurrent des créateurs de la série Sherlock.
En conclusion, âme sensible s’abstenir, mais pour ceux qui attendaient enfin une série où les lettres de noblesse du vampirisme sont de nouveau prises au sérieux, foncez !