Azmi, un homme de loi turc qui réside à Istanbul, est envoyé en mission auprès du comte Drakula, en Transylvanie. Dès son arrivé à Bistric, le village le plus proche du château, le jeune homme fait face à la défiance des habitants, qui ne veulent rien avoir à faire avec l’aristocrate. Le notaire finit par arriver au château, et fait la connaissance de son hôte. Les jours se succèdent, et celui-ci ne fait que de brèves apparitions, une fois la nuit tombée. Peu à peu, Azmi comprend que la bâtisse recèle moults mystères, notamment des passages secrets qui le mèneront dans les caves du château. Là, dans une caisse de terre destinée à être expédiée à Istanbul, il découvrira que Drakula n’est pas humain.
Sorti en 1953, Drakula Istanbul’da est l’adaptation du roman Kazıklı Voyvoda (Vlad l’Empaleur) de Ali Riza Seyfi. Celui-ci est, à l’image de Powers of Darkness, davantage qu’une traduction du Dracula de Bram Stoker. L’auteur a changé de nombreux éléments du livre original, pour autant il respecte une bonne partie de la trame initiale et ses temps forts. Écrit par un Turc à destination d’un public de même origine, le texte est un des premiers à rattacher le Dracula historique et son avatar de fiction, tout en remplaçant l’Angleterre par Istanbul (d’où le titre). Le réalisateur Mehmet Muhtar n’en est pas à son premier long-métrage. Il officie depuis le début des années 1950, et a à son actif des films d’espionnage (Ankara casusu Çiçero, 1951), de la romance (Tanri sahidimdir, 1951), des films sur le sport (Istanbul Yildizlari, 1952), de la comédie (Zit kardesler polis hafiyesi, 1953)… Atif Kaplan, qui incarne Drakula, est quant à lui l’acteur le plus connu de Drakula Istanbul’da. Sa carrière s’étend de 1929 à 1977, pour plus de 300 films. C’était une des figures du cinéma de genre turc, tels que le montrent des longs-métrages comme Ninja Killer (1974), la saga d’aventure historique des Tarkan ou encore Görünmeyen adam Istanbul’da, qui flirte avec la science-fiction (et est une variation autour de L’homme Invisible).
Si Kazıklı Voyvoda est une adaptation (plus qu’une traduction) du roman de Stoker, force est de constater que les apports du texte ont fondu dans ce portage à l’écran. Celui-ci est en effet davantage à mi-chemin du livre de Ali Riza Seyfi et du Dracula de 1931. On y suit Azmi (le Harker de circonstance), qui prend la route de la Transylvanie, en partant d’Istanbul. Il y a donc là l’idée d’un trajet différent, qui permet d’intégrer quelques changements d’ordre culturel. Ainsi, Azmi et l’essentiel des humains qui interviennent sont de confession musulmane. De même, Drakula se revendique être un descendant du voïévode éponyme, tissant un lien entre le comte de fiction et son homonyme historique, tout en soulignant une différenciation entre les deux. À l’image du film de Browning, l’intrigue est séparée en deux lieux. Déjà le château du comte, en Transylvanie, puis Istanbul, qui remplace le couple Londres/Whitby. Le métrage a enfin de nombreux aspects plus modernes que celui de Stoker. Ainsi Azmi est conduit à Borgo dans une automobile. Guzin (l’équivalent de Mina) est une danseuse de cabaret, ce qui permet l’inclusion de scènes de danse (plutôt incongrues, et qui ont tendance à casser la dynamique).
Dans le film, ce n’est pas le professeur qui se substitue à Van Helsing qui apprend aux protagonistes l’essentiel de ce qu’il y a à savoir sur les vampires. Par exemple, que Drakula engendre des créatures qui lui sont similaires, et qui sont présentées comme des fantômes. En effet, durant de son exploration du château, Azmi déniche un livre qui décrit certaines capacités des vampires. Les créatures mordent ainsi exclusivement leurs victimes à l’aorte, des crocs leur poussant au moment de la morsure. Drakula peut se transformer — notamment en animal — grâce à sa cape. On comprend également, lors des premières confrontations entre l’homme de loi et Drakula, que ce dernier ne peut pas être tué simplement. Les coups de tranchant de pelle que lui assène Azmi n’ont pas d’effet. Reste que le comte paraît avoir besoin de se reposer dans la terre de son pays, une fois le jour levé. Enfin, une scène où il semble se laisser surprendre par le chant du coq à de lourdes réminiscences du Nosferatu de Murnau. À terme, Sadan (la Lucy du ilm) et Drakula seront détruits de la même façon. Repoussés par des colliers d’ails, ils auront un pieu enfoncé en plein cœur et seront décapités.
Un film important dans l’histoire de la construction du vampire au cinéma. C’est en effet le premier long-métrage à faire état du lien entre Drakula et son homonyme historique. C’est également la première fois que l’on voit les crocs du vampire à l’écran. Et la première fois que le comte est surpris alors qu’il se déplace sur les murs de son château, tel un insecte. Reste que cela n’en fait pas pour autant un film passionnant à regarder. À noter qu’il n’existe pas aujourd’hui pas d’édition digne de ce nom du métrage, et il faut passer par Youtube ou Archive.org pour le voir. La bande n’est pas parfaite (certaines parties sont surexposées et la piste son saute en plusieurs endroits). Les traductions sont également incomplètes, ce qui n’aide pas le non-turcophone à suivre dans le détail ce qui est dit dans les dialogues.