Le 6 août 1897, le Demeter s’échoue en pleine tempête sur les récifs de la petite ville côtière de Whitby. À son bord, on ne retrouve que le corps du capitaine, attaché à la barre. Son journal raconte une bien étrange histoire. Près de quatre semaines plus tôt, le bateau faisait relâche à Varna, un port de Bulgarie. Là, une cargaison de terre est confiée aux bons soins du capitaine, pour être livrée en Angleterre. L’équipage du navire étant incomplet, celui-ci demande à son second de recruter sur place de nouveaux matelots. De fil en aiguille, Clemens, un homme éduqué intègre le bord en tant que médecin. Au fur et à mesure du trajet, la peur s’installe sur le Demeter. Le docteur retrouve le corps meurtri d’une jeune femme dans une des caisses, éventrée après un roulis. Mais c’est une autre présence qui semble avoir des vues sur ceux qui vivent sur le bateau.
Après Renfield dont on entend parler depuis 2014, The Last Voyage of the Demeter est la deuxième Arlésienne du film de vampire à être arrivée sur nos écrans en 2023. Le projet consacré au chapitre du Demeter du roman de Bram Stoker émerge dès 2003. Des cinéastes comme Robert Schwentke (Snake Eye), Marcus Nispel (Massacre à la tronçonneuse), David Slade (30 Jours de Nuit), Neil Marshall (The Descent) y ont été successivement attachés. Même chose pour les acteurs, les noms de Ben Kinsley, Noomi Rapace, Jude Law, Viggo Mortensen ayant été mentionnés au fil des ans. Finalement, c’est donc André Øvredal qui est annoncé à la direction courant 2019, le réalisateur s’étant fait connaître avec des métrages tels que Trollhunter (2010) et Scary Stories to Tell in the Dark (2019). Le casting s’appuie sur des acteurs comme Corey Hawkins (Walking Dead), Aisling Franciosi (The Nightingale), Liam Cunningham (Dog Soldiers, Blood the Last Vampire) et enfin Javier Botet ([●REC]). Derrière le projet, il y a au départ une idée du scénariste Bragi Schut Jr, qui a imaginé une histoire au croisement entre Alien et Dracula. De fait, il apparaît que ce sont des photos de production du Coppola qui aient servies de déclencheur [ref] https://bloody-flicks.co.uk/2022/01/19/writer-talks-last-voyage-of-the-demeter/[/ref].
Le métrage débute sur l’échouage du bateau, mais le curseur chronologique nous transporte bientôt quatre semaines plus tôt, sur les côtes de Bulgarie, à Varna. L’histoire du voyage du Demeter commence ainsi au moment où le capitaine demande à son second de recruter des matelots, en vue d’un trajet pour Londres. Le film introduit d’emblée le personnage de Clemens, un homme instruit que sa couleur de peau empêche de totalement s’intégrer. Seconde modification de taille vis-à-vis du roman la présence d’un enfant à bord : le petit-fils du capitaine. Une femme, Anna, retrouvée dans l’une des caisses, rejoindra ultérieurement le petit groupe. Ill y a donc dès le début des différences marquées avec le texte de Stoker, mais pouvait-il en être autrement quand on parle d’un passage de quelques pages dans le livre original ? Le scénario exploite le Chapitre VII du roman (constitué des entrées du journal du capitaine et de coupures de presse sur l’échouage du Demeter), pour proposer un huis clos horrifique sur un navire.
L’ensemble est efficace, Øvredal parvenant sans mal à poser une ambiance réussie. Cette dernière doit beaucoup au bateau, dont les recoins tortueux sont comme un labyrinthe, et sur les décors de tempête où le schooner est ballotté par les éléments. L’ajout de personnages, s’il trahit le texte de départ, permet d’élaborer de nouvelles sous-intrigues, et de souligner la folie dans laquelle sombrent progressivement les protagonistes. Mon problème tient davantage à l’absence de vraie « vision » pour le film, qui convoque sa source sans réellement se l’approprier. L’on n’est finalement pas si loin que ça du comics Death Ship de Gary Gerani et Stuart Sayger, et très loin de la poésie et de la puissance de La glace et le sel de José Luis Zarate, deux adaptations du même passage.
Le récit (sans donner trop de détail) puise aussi ponctuellement dans le roman de Bram Stoker (et commence en 1897, date de publication du livre) et dans la matière vampirique en règle générale. Ainsi les scènes où le corps des vampires subit la morsure du soleil n’existent pas dans le texte original (d’autant que la lumière du soleil n’est pas fatale à Dracula). De même, le personnage d’Anna paraît convoquer — en partie — celui de Lucy, première victime anglaise du vampire. L’influence du métrage de Coppola est manifeste, dès la présence d’un dragon ouvragé sur les caisses de terre. Un détail qui n’est pas dans le livre, et fait le lien entre le Dracula historique et son avatar de fiction. Sachant que la représentation graphique de Dracula, sorte de chauve-souris géante qui n’a pas grand-chose d’humain, semble être un miroir du film de Coppola. On pense notamment à la scène où le protagoniste s’attaque pour la première fois à Mina. Le vampire, ici, est une créature de l’ombre, qui se montre tout juste. Un mal rampant, qui fait du Demeter autant un moyen de transport qu’un garde-manger. Dracula ne paraît pas craindre les symboles religieux : brandi deux fois face à lui, le chapelet de Toby n’a aucun effet. Il peut être blessé par les balles, mais ne semble pas y faire plus attention que cela. S’il est affaibli au début du voyage, la confrontation finale le montrera davantage en pleine possession de ses pouvoirs. À noter que Clemens, par son rôle de médecin, est quant à lui une sorte de pré-Jack Seward, qui va procéder à des transfusions de sang pour tenter de sauver les victimes du vampire. C’est ainsi le cas pour Anna, puis pour Toby. La problématique des groupes sanguins n’est absolument pas mentionnée.
Au final, ce Last Voyage of the Demeter est une adaptation somme toute efficace d’un passage emblématique du roman de Stoker, exploité dans plusieurs transpositions à l’écran du livre, comme celle de Coppola. Les ajouts de protagonistes ne nuisent en rien au récit et permettent au contraire de densifier l’intrigue. Pour autant, l’ensemble n’apporte aucune vision réellement originale, hormis un sens graphique indéniable. Il faut relever que la fin fait un pas de côté assez majeur avec Dracula, sous-entendant qu’un personnage est sur les traces du comte dès son arrivée en Angleterre.