Le film débute dans une calèche, alors qu’un inspecteur du ministère de l’Education est en route pour un petit village, où l’institutrice a été dénoncée pour ses méthodes. Après un trajet éprouvant, celui qui s’avère être le héros malgré lui du film a tôt fait de se retrouver face au Baron, une figure locale qui dirige d’une main de fer le petit village, et n’entend pas laisser quelqu’un d’extérieur se mêler des affaires de son petit monde. Au cours de sa première soirée sur place, l’inspecteur se voit proposer par le Baron de rester son invité durant une semaine complète.
J’ai découvert l’existence de ce film complètement atypique via les chroniques de l’ami Andy Boylan, webmaster et unique chroniqueur de l’incontournable Taliesin meets the vampires. Les quelques visuels qui étayaient sa chronique, la manière dont il parlait du film et les références mentionnées sur la page Wikipedia du dit long métrage, notamment Guy Maddin, ont su rapidement attirer mon attention, et m’inciter à regarder sans plus attendre le projet d’Edgar Pêra, dont je n’avais jamais entendu parler jusqu’alors (alors que le film date de 2011).
Le film a peine terminé, je m’attelle donc à sa chronique, et force est d’avouer qu’on est là face à un objet filmique inattendu, indubitablement vampirique (pour ne pas dire draculéen) sans pour autant utiliser de manière directe les caractéristiques folkloriques habituelles. Edgar Pêra choisit davantage de faire appel à l’intertextualité. Dès l’introduction du film, qui développe sa propre histoire en détournant le réel (imaginant la production d’un film par une certaine Valerie Lewton, clin d’oeil à peine voilé au Val Lewton de la RKO), se plaçant dans l’optique d’une redécouverte de bandes jugées disparues (on pense à la destruction de London After Midnight et à celle du Nosferatu de Murnau), basée sur une vision draculéenne (le mot est cité tel quel) d’une nouvelle portugaise, signée Branquinho da Fonseca.
Située dans une calèche, durant le voyage de l’inspecteur, la première scène du film fait allusion sans hésitation à l’introduction du film de Browning, se jouant des codes (les enfants se battant pour un rosaire, leur mère haranguant le cocher qui perd du temps alors que le soleil se lève), et nombreuses seront par la suite les scènes à se placer sous ce parrainage. Quant au Baron, joué par l’impressionnant Nuno Melo, il se place d’emblée sous le patronage de Nosferatu (peut-être davantage celui de Kinski que celui de Schreck, ce qu’amplifie la stature de l’acteur et sa présence à l’écran). Jusqu’à la dernière scène du film, les allers-retours avec les adaptations de Dracula sont nombreuses, ne cessant de faire coïncider la nouvelle de da Fonseca (a priori absolument pas fantastique) avec l’essence filmique des adaptations du texte de Stoker.
Mais ce Baron, qui se présente comme interdit à l’époque de sa réalisation en raison de la possible dénonciation de la dictature sous-jacente, est également une oeuvre à la fois politique et onirique. Onirique par les recours à certains effets de flous, et des lieux vides empreints de mystères (le château, qui peut faire penser La Forteresse Noire de Michael Mann, les cimetières qui convoquent l’ambiance des films d’Universal, comme La fille de Dracula et Le fils de Dracula), et la poésie qui se dégage de ce personnage qui se présente lui-même comme au fait de ce qu’est l’amour mais lui-même incapable d’aimer. Et politique par la main de fer qu’il fait régner (et que faisait régner son père avant lui) sur les gens du cru, les dominants de sa personnalité, enlevant les femmes qui l’intéressent. Mais le personnage sombre peu à peu dans les extrêmes de son statut, dépassé par sa propre hybris. Les allusions à Coimbra, au régime autoritaire qui enterre rapidement le projet du film (et voit son équipe de tournage déportée) sont autant de références possible au régime de Salazar, qui marque encore aujourd’hui le passé du Portugal.
D’un point de vue vampirique, les éléments caractéristiques de la figure du vampire sont assez peu présents, comme j’ai déjà pu le dire plus haut. La scène du repas, qui rappelle de nombreuses adaptations de Dracula, joue sur les références au vin (Le Baron annonçant qu’il ne prend jamais de repas), les cris des chiens – qu’il maintient enfermés – à son pouvoir sur les animaux. Son apparition, le jeu sur la cape dans laquelle il se drape, appuie encore ces différents parallèles. On ne le voit par ailleurs que la nuit, ce qui sera au cœur de la scène finale, où l’inspecteur s’avancera auprès du lit de mort de son hôte, celui-ci donnant l’impression d’avoir vieilli de plusieurs dizaines d’années alors qu’ils se sont quittés il y a quelques heures.
Un film visuellement à part, qui en appelle aux adaptations noir et blanc (mais aussi couleur, lors de la scène finale) du roman de Stoker, et donc au travail de réalisateurs comme Murnau, Browning, Dreyer… Je comprends aisément que les critiques mentionnent le nom de Guy Maddin face à un film comme celui-là, tant l’idée de faire un film d’un autre âge à l’époque actuelle est prégnante.
Bonjour Adrien,
La chronique donne envie de découvrir le film. Les références sont intéressantes. Est il disponible en VOST?
En théorie, oui, car il a déjà été diffusé en festival en-dehors du Portugal. Mais la seule édition DVD qui semble exister à l’heure actuelle est sans sous-titres (ce qui explique que je n’ai pas activé de lien).