Accusé d’avoir torturé douze jeunes femmes, le comte Frédéric Regula est condamné à être écartelé en place publique. Avant d’être conduit à son exécution, le comte annonce qu’il reviendra se venger de Béatrice de Brabant, qui lui a échappé et a révélé ses exactions, et de Roger von Marienberg, qui a conduit le procès. Trente-cinq ans plus tard, son nom résonne toujours de manière sinistre dans l’esprit de ceux qui ont vécu cet épisode. L’avocat Roger Monte-Elise, qui cherche à connaître la vérité sur ses origines, reçoit une mystérieuse lettre qui porte le sceau des Regula, et l’enjoint à se rendre au château d’Andomaï. Alors qu’il se met en route, Monte-Elise croise le chemin de Lilian von Brabant, fille de Béatrice. La jeune femme, qui a reçu elle aussi une lettre du comte, a pris la direction d’Andomaï afin d’y percevoir son héritage.
À la différence de la version française, le titre original du film d’Harald Reinl, Die Schlangengrube und das Pendel (La fosse aux serpents et le Pendule), met en exergue la source du film, qui est à aller chercher dans Le Puits et le Pendule d’Edgar Poe. Avant d’avoir regardé le film, difficile donc d’être sûr de liens possibles avec la figure du vampire. Christopher Lee y campe bien un comte (dont le nom, Regula, a une sonorité proche de Dracula), mais qu’en est-il réellement de la part fantastique du métrage ? D’autant qu’il s’agit là d’une des rares production et réalisation allemandes dans le registre du cinéma d’épouvante gothique, comme le rappellent Christian Lucas et Stéphane Derdérian dans les bonus autour du film.
L’introduction, qui s’ouvre sur la condamnation et l’exécution de Regula, rappelle sous certains aspects Le Masque du Démon de Mario Bava, sorti six ans auparavant. Un lien renforcé par la pose d’un masque de fer sur le visage du supplicié, avant qu’il ne soit écartelé. Une parenté assez logique, quand le cinéma italien de Bava était lui-même une réponse aux premiers films gothiques de la Hammer. Les États-Unis ont entre-temps apporté leur pièce à l’édifice, principalement Roger Corman avec ses adaptations de… Poe (dont une adaptation du Puit et du Pendule, en 1961). Le Vampire et le Sang des Vierges se place donc sous un double patronage, tout en essayant de tirer son épingle du jeu. Certains personnages (le curé, principalement) ajoutent une touche d’humour inattendue à l’histoire. Quant au respect du texte de Poe, le scénariste Manfred F. Köhler n’en garde que les deux éléments du titre (le puits – devenu ici une fosse aux serpents) et le pendule. Il est bien question de diablerie, mais à aucun moment l’Inquisition espagnole n’apparaît dans l’intrigue. À noter que Köhler, de nombreuses années plus tard, travaillera à un film de vampire beaucoup plus revendiqué : Les Lèvres rouges de Harry Kümel.
On peut difficilement dire que Le Vampire et le Sang des Vierges est un film de vampire au sens strict. On l’a déjà dit, la présence de Lee au casting et la proximité de sonorité entre Regula et Dracula ne suffit pas, le titre jouant malgré tout sur cet aspect des choses. Pour autant, il y a des éléments vampiriques indéniables dans l’intrigue. Le film de Reinl fait malgré tout de Christopher Lee un aspirant immortel, qui a trouvé le moyen de prolonger indéfiniment son existence en utilisant le sang de treize vierges torturées. Ici, on pense bien évidemment à La Comtesse Bathory (voire à Gilles de Rais), figure historique importante dans la genèse du vampire de fiction. Dans le même temps, Regula, démembré, repose dans une crypte, dans un cercueil qui conserve son corps en état, trente-cinq ans plus tard. Il y a aussi la place du crucifix, qui empêche le comte de mener à bien ses plans. Enfin, il y a quelques éléments de dialogue qui renvoient à Dracula, parmi lesquels les phrases « Bienvenue dans ma demeure » et « Le sang c’est la vie ». Mais il y a davantage de liens entre l’approche médicale d’un film comme Le Sang du Vampire (1958) d’Henry Cass qu’avec un Dracula comme ceux de la Hammer.
Visuellement, on ne peut nier que le réalisateur parvient à compenser le manque de moyen – et un recours limité à l’horreur (les scènes sont peu impressionnantes) et au « sexy » – par un travail autour des décors et des costumes. Réalisé pour parti dans des décors réels, au coeur de la ville de Rothenburg ob der Tauber, pour partie en studio, le film parvient à imposer une ambiance. Des moments de climax comme l’exécution du comte, où la traversée de la forêt en calèche, imposent une ambiance à mi-chemin entre onirisme et morbide.
Concernant les acteurs, s’il est inutile de revenir sur la carrière de Lee et la place qu’y tiennent les vampires, on peut noter que Karin Dor jouera quelques années plus tard (1970) dans un autre film de vampire : le Dracula contre Frankenstein de Tulio Demicheli (également en DVD chez Artus Film), sur un scénario de Paul Naschy.
Réédité dans une très belle copie chez Artus Film, Le Vampire et le Sang des Vierges est au final un film efficace, témoignage d’une époque où l’Europe s’impose dans le registre de l’épouvante au cinéma. L’influence de la Hammer – et du cinéma italien de genre qui s’est déjà immiscé dans la brèche, est palpable dans la présence de Christopher Lee, dans un rôle d’aristocrate tortionnaire, obsédé par la vie éternelle. Le coffret – qui dispose d’une maquette très réussie, une constante chez l’éditeur – propose à la fois les versions DVD et Bluray, et deux documentaires autour du film. Le premier, qui fait intervenir Christian Lucas et Stéphane Derdérian est une présentation détaillée du film : sa genèse, ses acteurs, etc. L’autre met en parallèle les décors du film et les lieux (Rothenburg ob der Tauber) à l’heure actuelle.