Reflecting Skin (ou L’Enfant miroir, pour ce qui est du titre français) est un film qu’on retrouve très souvent dans les filmographies sur le thème du vampire. Pour autant, il s’agit d’un film très rare, sorti uniquement en zone 1 et sans aucun sous-titres. Difficile alors de statuer ou non sur la pertinence de son ajout à une cinémathèque complète sur le thème des buveurs de sang. Les Hallucinations Collectives, incontournable festival de cinéma lyonnais orchestré par les gens de ZoneBis, nous ont donc offert l’occasion de nous plonger dans ce long-métrage du trop rare Philip Ridley (né dans le quartier londonien de Bethnal Green, ce qui fait d’emblée songer à La Vampire de Bethnal Green de J.H. Rosny Ainé.
Pour autant, le film démarre dans une ambiance qui n’a strictement rien de fantastique. Le spectateur est en effet plongé au cœur d’un village perdu de l’Amérique des années 1940. Le héros, on le comprend rapidement, est Seth Dove, un jeune garçon de 7 ans qui occupe ses journées aux côtés de deux amis de son âge. Facétieux, ils apprécient de tourmenter certains des habitants des environs, à commencer par l’Anglaise, une femme seule entre deux âges qui vit quasi prostrée depuis la mort de son mari, il y a des années de cela. Pourtant, la vie de la communauté est bouleversé lorsqu’Eben, l’un des deux comparses de Seth, est retrouvé mort dans la citerne des Dove.
Visuellement, le film est superbe. Le contraste entre le bleu profond du ciel et des immenses champs de blés où évoluent les personnages est saisissant, de même que les différentes maisons isolées qui composent le village, chacune ayant une ambiance différente. Pour autant, le nombre minimal de lieux où se déroulent l’intrigue, les cadrages et les partis pris du scénario posent d’emblée le principe : tout est vu à travers les yeux de Seth.
Ainsi, les scènes alternent entre la maison des Dove, les chemins environnants, la maison de l’Anglaise et la masure en ruine où se retrouvent les enfants. Un univers qui ramène inévitablement au vase clos de l’enfance. Un univers peuplé de fantasme, où le réel se dispute souvent à la fiction. Surtout que le héros est à un âge où l’imagination est exacerbée, et apparaît comme un moyen idéal d’échapper à la cruauté du monde et se voiler la face. Et c’est bien le fond du film, que nous montrer l’enfance à son summum de cruauté, où ce qui est horrible pour le monde adulte ne l’est pas forcément, et où les peurs d’enfants trouvent leurs racines dans la difficulté à mettre des mots sur les horreurs du réel, et la compréhension tronquée des actes et désirs des adultes qui nous entourent. A l’image de cette voiture qui traverse tout le film, et semble se poser, dans les yeux du héros, comme un vecteur du passage au monde adulte. Un passage pour lequel il n’est pas prêt, comme il le dira lui-même au conducteur. D’autant que comme vecteur, on a connu moins létal…
La peau est un des thèmes transversaux du film. Que ce soit au niveau du titre, et de l’omniprésence du sens du toucher (depuis les interrogations du Sheriff en passant par les rides de Dolphin, la blessure de Cameron, le long monologue de Dolphin à Seth, etc.), cette thématique semble acter l’inéluctabilité du passage au monde adulte, et la dégénérescence progressive qui s’en suit. Tout en appuyant l’idée que pour les adultes, l’enfance les renvoie à une époque aujourd’hui révolue pour eux.
C’est à cet égard qu’apparaît ici le vampire. Déjà dans les pulps lus par le père de Seth, qui va ensuite sur les accaparer secrètement. Des vampires très clichés, craignant le soleil et dormant dans des cercueils qui ont besoin de sang pour survivre, sang qu’il vont puiser en vidant peu à peu leurs victimes de leur jeunesse, pour se l’accaparer. Des caractéristiques que les enfants ont vite fait de superposer aux divagations des adultes, voire à leur choix de vie, que leurs yeux encore jeunes ne sont pas capable d’intellectualiser (ou qu’ils ne veulent pas intellectualiser). Jusqu’à se construire un crucifix en théorie susceptible de repousser la créature. Pour autant, le thème du vampire pourrait également coller au personnage de la mère, pour le moins castratrice, qui régente d’une main de fer la vie de son mari et de ses enfants.
Un film visuellement superbe, et dont l’ambiance plonge le spectateur au cœur de la cruauté de l’enfance. Cruauté envers certains adultes, cruauté envers les autres enfants (même leurs amis), cruauté enfin envers ceux qui empiètent sur leur petit monde. Le vampire, qui se matérialise par le choc de l’imagination contre les incompréhensions du monde adulte, y apparaît comme un moyen de matérialiser des peurs et tabous difficiles à appréhender (la vieillesse, le sexe ou encore la maladie). Une œuvre à part qui mériterait davantage de reconnaissance.