Sion, Sono. Tokyo Vampire Hotel, saison 1. 2017

Cinéaste singulier et anticonformiste, Sono Sion est très certainement le cinéaste japonais le plus turbulent de sa génération. Très rapidement , il a su surpasser son prédécesseur, pourtant tout aussi déjanté et provocateur : Takashi Miike. Nettement moins prolifique que ce dernier, Sono Sion privilégie la qualité à la quantité. Cela n’empêche pas pour autant que sa filmographie soit assez inégale. Ses œuvres oscillant généralement entre le très bon et le médiocre. Toutefois, au vu de la radicalité de ses œuvres, l’annonce d’un nouveau film de sa part reste et restera toujours un événement pour le cinéphile avide d’émotions fortes. Pessimiste ou jubilatoire, chacun de ses films évoquent à n’importe quel cinéphile une position claire et tranchée, dès l’apparition des premières images. En règle générale, notre ressenti s’inscrit dans deux options possibles : le rejet ou l’adhésion. Le fait qu’il soit à la tête d’une mini-série TV vampirique, commandé par Amazon Prime, semblait donc pour lui être le terrain de jeu idéal, pour nous offrir à nouveau un théâtre autant subversif que déviant. On ne va pas y aller par quatre chemins, la promesse est tenue ! Dès l’introduction de son épisode pilote, précédé d’un carton informatif introduisant les origines de l’histoire qui nous est contée, Tokyo Vampire Hotel porte la signature clairement identifiable de son auteur en donnant sans plus attendre la tonalité de sa mini-série. Comme à son habitude c’est lors d’une scène tout à fait anodine, ici l’anniversaire de Manami (Ami Tomite) dans un petit bar-restaurant, que survient l’horreur la plus inattendue. Sono Sion ne fait pas dans la demi-mesure et imprime aussitôt sa pellicule des ingrédients qui vont marquer les dix épisodes de Tokyo Vampire Hotel. Un rythme énergique et survolté, violent et teinté d’ero guro nansensu (érotisme gore), ou l’humour (souvent noir) est omniprésent. Le septième épisode étant l’apothéose parfaite de tous ces éléments combinés dans un maelström sanguinolent aussi chaotique que radical.

Avec Tokyo Vampire Hotel, Sono Sion créé sa propre version de la mythologie vampirique en racontant une histoire dystopique qui se déroule dans un futur proche, où deux clans sont en guerre à travers le monde : les Dracula et les Corvin. Après une victoire historique, les néo-vampiresCorvin règnent en maîtres sur le monde (bien que basé à Tokyo) et ont relégué les Dracula à devoir vivre reclus sous terre, en Roumanie. Ces derniers attendant leur vengeance prophétique qui doit avoir lieu en 2021, au travers d’une élue qui a été choisie pour vaincre le fléau Corvin, en 2021. C’est justement à ce moment que commence la série. Pour maximiser leurs chances de retour, le clan Dracula a donné une goutte de sang à trois bébés japonais de sexe féminin, né en 1999, afin qu’ils soient tous près en 2021, à la date anniversaire de leurs 22 ans. Mais le deuxième épisode dévoile que deux des enfants n’ont pas survécu. Un épisode qui sera d’ailleurs consacré intégralement à leur histoire et leur triste sort. L’occasion pour Sono Sion de raconter l’histoire d’une d’entre elle, au travers d’un drame familial particulièrement empathique, teinté d’humour noir et d’une critique sur l’ivresse de l’argent. Car oui, sous ses allures horrifiques et déjantées, Tokyo Vampire Hotel dissémine et utilise ses éléments de genres à des fins métaphoriques philosophiques et sociales sur la société japonaise. Le fameux hôtel titre en étant la principale figure personnifiée, dès le troisième épisode jusqu’au dernier. L’hôtel le Requiem est un personnage à part entière, une excroissance du personnage de l’Impératrice, qui devient un microcosme de la société japonaise. Un théâtre baroque giallesque qui est l’épicentre narratif et symbolique de tous les propos véhiculer par Sono Sion. Un bâtiment dont chacune des pièces est teinté de couleurs différentes (souvent primaires), prolongation d’Antiporno du même auteur, qui rappelle aussi bien le cinéma de Dario Argento ou Mario Bava ou encore Le Masque de la Mort Rouge de Roger Corman. Une similitude forte avec ce dernier cité, dont chacune des pièces, et son ambiance associée, sont propices à une histoire ou une thématique différente. Mais là où Sono Sion va plus plus loin que ses prédécesseurs, c’est que sa demeure s’abreuve du sang de l’humanité pour vivre, ou plutôt survivre aux vues d’un contexte apocalyptique qui sonne le déclin du monde à l’extérieur. Certains humains sont pris en otages et enfermés à l’intérieur des murs, se poignardant continuellement pour laisser couler leur sang et ainsi nourrir l’hôtel en abondance. Alors qu’une centaine d’autres sont invités dans le cadre d’un speed dating, pour in fine être piégé à l’intérieur dans le but de procréer rapidement, dans le but de perpétuer l’élevage humain. Là encore la parabole empirique japonaise est flagrante. D’une part, elle montre une frange de la population qui se tue à la tâche pour faire prospérer le pays dans sa démarche économique isolationniste à des fins capitalistes. D’autre part, elle souligne la chute du taux de natalité la plus faible de son histoire qui est une conséquence du point précédent.

La fameuse impératrice dont l’hôtel Requiem est une extension. L’autre thématique forte qui se dégage de Tokyo Vampire Hotel est incontestablement la lutte de pouvoir entre les deux clans. Une métaphore à peine déguisée sur le Japon qui lutte constamment entre son passé et son avenir. Une allégorie qui va de pair avec les différences fondamentales entre les deux clans, au-delà la modernité toute relative des Corvin et l’approche plus traditionnelle et passéiste des Dracula. D’une part, leurs faiblesses vampiriques sont éloignées les uns des autres. Ce qui explique notamment la notion de néo-vampire pour le clan Corvin qui ne sont pas affectés par les artefacts religieux ou le soleil, alors que les Dracula le sont. Leur seul point faible étant leurs ombres, il suffit d’une simple flèche enflammée pour les exterminer. Les références folklores vampiriques sont nombreuses, surtout au sein du clan Dracula. Leur nom de clan étant bien la référence la plus évidente, mais cela ne s’arrête pas là. Certaines intrigues et parties de la mini-série ont été logiquement tournées et placées en Roumanie, notamment à l’intérieur du château de Bran (souvent cité comme la demeure de Dracula) et dans les mines de sel de Salina Turda, ainsi que dans les environs de la Transylvanie. À noter tout de même qu’une membre du clan Corvin est nommée Elizabeth Báthory (Megumi Kagurazaka), hommage clair et assumé à la célèbre comtesse hongroise.

Toutefois, Tokyo Vampire Hotel souffre de quelques longueurs redondantes et répétitives ainsi que de facilités scénaristiques déconcertantes. Les tunnels souterrains communiquants entre Tokyo et la Roumanie en sont l’archétype ou encore les excès d’effusions de sang en CGI qui dénaturent celles qui sont réalistes. Fort heureusement la mise en scène ludique et immersive de Sono Sion viennent adoucir ou pallier ce problème. Parmi les bonnes idées cinématographiques, on retrouve notamment les chorégraphies câblées des séquences de combat aux sabres et de gunfights inépuisables qui étaient le poing fort de son Why Don’t You Play In Hell, ainsi que l’aspect choral amplifié de son Tokyo Tribe (bien qu’on n’ait pas vraiment apprécié celui-ci), ou encore les nombreux plans- séquences et travellings où la caméra se mouvoit de façon virevoltante et inventive dans les différents couloirs et nombreux dédales de l’hôtel. Un effet de style qui ferait presque penser à un remake modernisé du Shining de Stanley Kubrick. Après le visionnage de cette mini-série, une question demeure et non des moindre : Tokyo Vampire Hotel, est-elle l’oeuvre-somme de son auteur ? On a bien envie de dire oui.


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