Beau, Adrien. Interview avec le réalisateur du Vourdalak

Beau, Adrien. Interview avec le réalisateur du Vourdalak

Pouvez-vous vous présenter pour les internautes de Vampirisme.com ? Si vous êtes réalisateur, votre biographie tend à montrer que vous avez d’autres cordes à votre arc ?

J’ai toujours dessiné et fabriqué des choses (surtout des monstres et des créatures imaginaires) mais, enfant, je voulais être acteur pour pouvoir hurler, couvert de sang, devant les gens et pouvoir mourir de différentes manières violentes. J’ai fait du théâtre très jeune. Puis j’ai étudié le théâtre et le cinéma plus profondément, et, à cause de mes dessins, j’ai travaillé dans la mode (pour John Galliano et Christian Dior). Je ne dessinais pas de vêtements (même si le costume de scène m’a toujours passionné). J’ai commencé à créer des marionnettes qui sont à la croisée du travail d’acteur et de la création plastique. J’ai monté une tragédie, Andromaque de Jean Racine (dans une mise en scène très sanglante). J’ai réalisé deux courts métrages. Puis ce film-là.

Le Vourdalak, votre premier long-métrage, est sorti en octobre 2023 en France, après un passage à la Mostra de Venise. Comment a démarré ce projet ?

C’est de ma rencontre avec la productrice, Judith Lou Lévy, qu’est né le projet. Elle avait vu mes courts et souhaitait faire un film de vampire avec moi. J’avais relu la nouvelle peu de temps auparavant, je lui en ai parlé et nous avons commencé le travail d’adaptation.

Ce n’est pas la première fois que La Famille du Vourdalak est adapté à l’écran. On peut citer Les Trois Visages de la peur de Mario Bava ou encore La nuit des diables de Giorgio Ferroni. Sans compter une poignée de films russes. Qu’est-ce qui vous a parlé tout particulièrement dans ce texte ? Avez-vous vu ou exploité les autres adaptations dans la phase de maturation du projet ?

Hadrien Bouvier, le co-scénariste et moi, nous sommes vraiment penché sur le texte original que nous avons quasiment appris par cœur. Il y a des répliques que nous avons gardées telles quelles à la virgule près (mes enfants… je pars etc…). Mais cette nouvelle est extrêmement poussiéreuse, ce qui n’est pas un problème à mes yeux, au contraire, c’est ce qu’on demande à ce type de littérature, mais il fallait en tirer une autre œuvre, aujourd’hui. Nous avons donc tout déconstruit pour reconstruire autre chose qui nous plaisait davantage. Ce n’est qu’après avoir reconstruit tout ça de manière solide à nos yeux que nous avons pu voir les autres versions. Elles ont toutes leur intérêt certain. Même si les rôles de femmes y sont toujours assez pitoyables.

L’un des choix les plus marquant de votre adaptation, est celui d’avoir campé par une marionnette le personnage de Gorsha après sa transformation. Comment vous est venue cette idée ?

Quand ma mère est morte, la vision de son corps sans vie m’a frappé. Ce n’était plus elle mais un objet. La mort a cela de très concret qu’elle bâtit un mur invisible. Ce qui est mort provoque ce sentiment de matérialité très forte. Ce qui est mort est autre.

Dans votre adaptation, il y a l’idée du jeu avec le genre, l’un des frères évoluant dans des vêtements de femme (ce que lui reprochent les autres hommes de la famille). Mais il y a aussi le personnage D’Urfé, dont l’attitude nous ramène au rapport de force entre les gens de pouvoir et le commun des mortels . Ces pas de côté avec le texte d’origine, c’est un moyen de montrer qu’un texte du XIXe peut encore résonner en 2024 ? Et pour autant, vous choisissez de conserver l’ancrage historique de la nouvelle originale ?

Nous avons toujours existé. Nous avons toujours fait partie du paysage. Si l’on en croit les dates auxquelles cette histoire est censée se dérouler selon l’auteur, c’est en plein dans la période où le chevalier d’Eon œuvrait à la cour de France et de Russie. Le fait que l’on puisse interroger cela aujourd’hui est une bonne chose. Une de choses qui nous tenait le plus à cœur de mettre en évidence dans cette histoire de patriarcat, de domination millénaire. Certains journalistes m’ont souvent reproché cela. Disant que ça n’avait rien à faire là puisque ce n’était pas le sujet du film. J’ai beaucoup ri à cette remarque ridicule. C’est justement parce que ce n’est pas le sujet du film que ça a toute sa place. Les gens comme nous existent, ils sont partout et l’ont toujours été. Que vous le vouliez ou non. Nous avons aussi pris plaisir à torpiller le héros de la nouvelle qui est un insupportable vantard, un goinfre, un puissant, un prince de conte de fées pour lectorat puéril et misogyne. Nous avons mis tout le ridicule de ce texte sur le dos de son personnage principal. Du moins au départ, car lui aussi a droit à sa rédemption. Et ce petit monsieur pathétique a le droit à son héroïsme au final. Je déteste le manichéisme.

Il y a quelque chose de très théâtral dans votre film, au-delà de l’utilisation des marionnettes : les mouvements des acteurs, leur diction. Pour vous, le vampire c’est une créature de théâtre ?

Contrairement aux vampires, l’amour existe. Et c’est ça qui est terrifiant dans la figure du Vourdalak : son rapport à l’amour. J’aime énormément la littérature du XVIIIe siècle qui a bercé mon adolescence (Voltaire, Diderot, Laclos…). Il y a une délicatesse et une précision, une subtilité quand il s’agit de parler de sentiments qui me fascine. Mais ce sont des manières de parler qui ne se marient pas avec le naturalisme d’aujourd’hui. Le travail sur la distanciation m’a passionné depuis toujours. Inspirés des écrits d’Artaud ou de Barthes, nous avons élaborés tout un tas d’exercices avec les comédiens pour en arriver à cette étrangeté. Je voudrais dire aussi que nous avons tous en nous un prétentieux et ridicule petit marquis terrorisé et pas si méchant au fond. Mais nous avons tous également en nous une jeune sorcière, belle et blessée, qui communique avec les arbres, sait le destin et veut qu’on la laisse seule pour pleurer. C’est agréable de les voir enfin faire la paix et s’aimer.

Je sais que vos précédentes réalisations étaient également ancrées dans l’horreur. Vous ranger également Le Vourdalak dans ce registre ? On pourrait croire que le vampire et ses avatars n’a plus rien d’effrayant à l’heure actuelle, entre Twilight et les récents blockbusters sur le sujet…

Je pense que je suis d’accord avec Judith qui dit qu’avant d’être un film d’horreur, c’est un conte gothique. Et pour botter en touche je répondrais que Gorcha n’est pas un vampire, mais un Vourdalak.

Quelles ont été vos premières et dernières rencontres avec un vampire, en littérature et au cinéma. Quel impact ont-ils eu sur vous, votre rapport à l’art ?

Le Dracula de Coppola est pour moi la plus grande chose que l’on puisse admirer à ce jour sur ce thème.

Beau, Adrien. Interview avec le réalisateur du Vourdalak

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