Bonjour. Pouvez-vous vous présenter pour les internautes de Vampirisme.com ?
Je suis le Dr Michael E. Bell. J’ai un doctorat (Ph.D) en folklore de l’Université de Bloomington ; mon sujet de thèse étant les croyances et pratiques du vaudou afro-américain. J’ai un Master 2 (M.A.) en folklore et mythologie de l’Université de Californie, à Los Angeles, et une licence (B.A.) — en ayant complété jusqu’au Master 2 — en anthropologie et archéologie de l’Université d’Arizona, à Tucson. J’ai été le folkloriste consultant de la Commission Historique de Préservation et Héritage, à Providence dans le Rhode Island, pendant plus de 25 ans. J’ai également enseigné le Folklore, l’Anglais et l’Anthropologie et la Civilisation américaine dans plusieurs lycées et universités. Mon premier livre sur les vampires, Food for the Dead: On the Trail of New England’s Vampires, a fait partie du Top 76 BookSense, et a remporté le Lord Ruthven Assembly Award du meilleur essai sur les vampires en 2001. Une édition révisée a été publiée en 2011 par Wesleyan University Press. Ma femme, Carole, et moi, passons par ailleurs notre temps entre le Rhode Island et le Texas.
En 2001, vous publiez Food for the Dead, votre premier travail sur le thème des vampires de Nouvelle Angleterre. Pouvez-vous nous raconter ce qui vous a amené à ce sujet ?
Mon intérêt personnel et professionnel pour les vampires a commencé lorsque j’ai interviewé Lewis Everett Peck, un fermier d’Exeter, dans le Rhode Island, descendant de la famille de Mercy Brown, que mes recherches m’ont permis d’identifier plus tard comme la dernière personne à avoir été exhumée en tant que vampire en Nouvelle Angleterre. Au moment de l’interview, en novembre 1981, je débutais un projet de deux ans, financé par la Fondation Nationale pour les Sciences Humaines, pour documenter les traditions du folklore dans le sud du Rhode Island. Une interne qui travaillait avec moi et connaissait Peck a mis sur pieds une interview avec ce dernier. Elle voulait lui poser des questions sur le vampire de sa famille. À ce moment, Peck vivait à l’extrémité d’une route appelée Sodom Trail. Donc, me voilà, seul, dans un endroit désolé qui semblait être au milieu de nulle part, et qui s’appelle Sodom… et j’étais sur le point d’interviewer un homme avec un historique familial lié aux vampires ! Comme vous pouvez l’imaginer, un sentiment d’effroi et d’étrangeté s’était emparé de moi. En faisant des recherches sur cette affaire, j’ai commencé à en identifier d’autres cas. Après avoir documenté près d’une vingtaine d’incidents vampiriques en Nouvelle Angleterre, j’ai pris la décision d’écrire un livre sur mes recherches autour de cette tradition vampirique américaine pour le moins méconnue.
Comment expliquez vous, alors que la tuberculose est une maladie répandue sur tout le globe, que les affaires comme celle de Mercy Brown n’ont eu lieu qu’en Nouvelle Angleterre ?
Hé bien, j’ai fini par conclure que la tradition vampirique de Nouvelle Angleterre était une variante de celle d’Europe (tout particulièrement d’Europe de l’Est). Je pense que nous sommes en présence d’une dichotomie folklorique, avec d’un côté le système de croyance explicite et détaillé d’Europe du Nord et de L’Est, de l’autre la version réduite et simplifiée de Nouvelle Angleterre. Ces deux variantes de la croyance aux vampires partagent l’idée qu’un parent défunt peut se transformer en une créature maléfique — ou être possédé par un esprit maléfique — et alors commencer à s’attaquer à son entourage encore vivant. Mais en Europe, il y a des croyances élaborées qui expliquent pourquoi et comment cela arrive et comment s’en prévenir. Ce genre de détail est absent dans la version de Nouvelle Angleterre. De manière significative, les deux versions partagent des moyens d’identifier et de détruire les vampires — les mêmes pratiques rituelles. Mais, en opposition avec le contexte culturel holistique d’Europe, l’approche de la Nouvelle Angleterre est utilitaire : les Yankees pragmatiques se sentaient surtout concernés par le résultat : de quoi ai-je besoin pour stopper ces morts ? Et ne me compliquez pas la tâche avec les autres détails qui ne sont pas directement rattachés à la résolution du problème — une approche en accord avec le caractère yankee : simple, avec des goûts rustiques, franc et direct, évitant toute ornementation inutile, mais pour autant avisée et capable de créer d’ingénieuses solutions à des problèmes d’apparences insolubles. En Nouvelle Angleterre, le vampirisme était ainsi réduit à une pratique folklorique médicale pour stopper la propagation de la consomption (qui était le terme utilisé pour la tuberculose pulmonaire avant le XXe siècle).
C’est étrange que les hystéries vampiriques se soient produites à des époques où la société connaissait de fortes évolutions (l’industrialisation pour le XIXe siècle, l’Âge des Lumières pour les cas européens du XVIIIe siècle). Comment l’expliquez-vous ?
En dépit de la forte amélioration des connaissances durant les XVIIIe et XIXe siècles, la communauté médicale n’était toujours pas en mesure d’expliquer ou de guérir la tuberculose. Le germe de la tuberculose n’a été découvert qu’en 1882. Face à certaines morts, et sans remède apporté par le secteur médical, les gens se tournaient vers des solutions tirées du folklore, qui se transmettaient de génération en génération. Ces remèdes incluaient l’approche vampirique. Il faut déjà exhumer les corps des proches décédés et vérifier s’ils ne portent pas des signes jugés non naturels. En particulier, on cherche du sang frais (liquide, donc) dans le cœur ou les organes vitaux. On peut alors vous conseiller de retirer le cœur du corps et de le réduire en cendres. Et donner à ingérer ces cendres à toute personne de la famille atteinte de consomption. Il y a également d’autres variantes, comme de brûler la totalité du corps et, peut-être en inhaler la fumée.
Les années ont passées depuis 2001. Avez-vous mis au jour de nouveaux cas depuis la première publication de Food for the Dead ?
J’ai depuis documenté plus de 80 incidents vampiriques à travers les États-Unis (mais toujours en majorité en Nouvelle Angleterre). J’ai publié plusieurs articles et donné de nombreuses conférences en m’appuyant sur ces nouvelles découvertes.
Quelles sont vos premières et dernières rencontres avec un vampire (en littérature, au cinéma ou en musique) ?
Ma première rencontre avec les vampires s’est faite quand j’étais enfant, en découvrant le Dracula de 1931 avec Bela Lugosi. Depuis lors, je n’ai cessé de les croiser, au moins à distance à travers différents médias. Je n’ai à ce jour jamais rencontré de vrais vampires menaçants — et très heureux de cela (lol !).
Selon vous, comment peut-on analyser le mythe du vampire ?
Il y a de très nombreuses approches pour interpréter la tradition vampirique. J’ai pris le point de vue de l’anthropologue et du folkloriste, et envisage les vampires comme une manifestation culturelle qui peut être interprétée dans son contexte d’origine. Bien sûr, d’autres disciplines académiques doivent être convoquées si on cherche une analyse complète, ce qui inclut l’histoire, la culture populaire, la littérature et l’étude des médias (comme le cinéma et la télévision).
Vous avez d’autres travaux en cours sur le sujet ? Quels sont vos futurs projets ?
Je termine actuellement un deuxième ouvrage sur les vampires de Nouvelle Angleterre, dont le titre temporaire est Vampire’s Grasp: The New England Tradition. J’écris également un livre sur les différentes variantes autour du vampire, dénichées dans d’autres parties des États-Unis, que j’envisage de titrer America’s Restless Dead: Shroudeaters and Other Vampire Variants.