Bonjour Olivier. Tout d’abord pouvez-vous vous présenter pour les internautes de Vampirisme.com ?
Bien sûr ! Je suis auteur de plusieurs romans de science-fiction, traducteur et codirecteur de collection aux éditions Mnémos. J’alterne entre les romans de hard-science (Ianos) et les space-operas (Nemrod, Le Janissaire). C’est ma première incursion avec Des Nuée dans le domaine du fantastique / vampirisme.
En septembre 2023, vous avez publié Des nuées, votre quatrième roman. Pouvez-vous nous raconter la genèse de ce texte ?
Ce texte me tient à cœur depuis longtemps et je suis très heureux que les Voyageurs Littéraires des Editions 1115 le découvrent enfin ! Je voulais un texte différent sur la notion d’humanité, ce que cela signifierait d’être un homme, une femme, d’une espèce différente de la nôtre. J’ai déjà écrit sur ce thème en me projetant dans le futur, car c’est un sujet récurrent de la science-fiction, mais je trouvais encore plus intéressant de me référer à notre lointain passé. Après tout, environ cinquante milliers d’années avant notre ère, rien moins que quatre espèces humaines distinctes coexistaient (Sapiens, Néandertal, Denisova, Florès), parfois sur le même continent, et l’idée me fascinait – et me fascine toujours – absolument !
Il y a une explication scientifique étayée derrière vos vampires, plus proches de l’Echiquier du Mal de Dan Simmons que du Dracula de Bram Stoker. C’est l’auteur de SF en vous qui vous a poussé à suivre cette voie ?
Dan Simmons a en effet fondé toute sa saga sur les vampires psychiques, mais il ne fait qu’effleurer les sources de leur pouvoir, que l’on retrouve d’ailleurs souvent chez des protagonistes peu recommandables, comme certains officiers nazis (la fameuse partie d’échecs où les pions sont des hommes et des femmes qui sont sacrifiés).
Cela me paraissait intéressant de creuser davantage sur les potentialités de l’esprit humain et d’essayer d’imaginer quelles pourraient être les réelles sources de ce pouvoir. La plus ancienne source d’inspiration remonte à mes anciennes lectures, et notamment à la série des X-Men ! Dans l’une de leurs aventures, ils sont confrontés à un mutant dénommé Proteus, qui est en fait Kevin, le fils de Moira Mc Taggert, une chercheuse en génétique. Proteus est un vampire psychique, capable de posséder des enveloppes corporelles d’êtres humains en y projetant son esprit. Il est détenu sur l’île de Muir, en Écosse, dans un complexe ultra sécurisé dont il parviendra à s’échapper en « sautant » de corps en corps. Ce concept de vampire psychique existe aussi dans le roman d’Octavia Butler Wild Seed, qui est le premier ouvrage de la série The Patternist. J’associe d’ailleurs explicitement cette référence dans Des Nuées car le héros de Butler se nomme « Doro ». Le parallèle s’arrête ici, car le héros de Butler est motivé par des raisons complexes, il sélectionne des « reproducteurs » humains en vue de créer une lignée humaine parfaite, dans une vision eugéniste, tandis que mon héros ne change d’enveloppe corporelle que pour survivre. Cette idée de vampire psychique est donc multiforme, mais il y a toujours l’idée d’un « miracle » génétique qui permet l’émergence d’êtres dotés de tels pouvoirs.
Vous vous intéressez également à la question de la mémoire des vampires, et à la difficulté que peut poser l’idée même de vivre sur de périodes très longues. Pour vous, c’est une question trop peu analysée dans les fictions sur le sujet ?
Oui, on peut à la rigueur admettre que l’immortalité physique pourrait être atteinte en renouvelant régulièrement les fluides vitaux, comme le sang, ou avec des cellules-souches qui répareraient les organes défaillants de notre corps. Mais l’immortalité implique aussi de profonds changements sur le psychisme, comme par exemple l’archivage de nos souvenirs qui s’accumuleraient au fil des siècles…
La personnalité d’un immortel est forcément complexe, comme une sédimentation de plusieurs existences qui viendraient se télescoper. Toutes ces composantes ne peuvent coexister de façon pérenne, cela engendrait forcément de la confusion, et aussi la perte de pans entiers des personnalités antérieures.
C’est un thème qui est rarement abordé dans le vampirisme, la seule fiction qui me vient à l’esprit abordant ce sujet est le film Les Prédateurs où Bowie / Deneuve sont un couple de vampires. La déchéance de Bowie / John démontre que l’immortalité est très proche d’une agonie permanente, à la fois physique et mentale.
Il y a un ancrage fort dans la réalité de l’Afrique du Sud, à la fois berceau de l’humanité et sur laquelle semble encore planer l’ombre de l’Apartheid. C’était un choix inévitable pour un livre dont la trame remonte à l’aube de l’Humanité ?
Toute l’Afrique Australe est appelée à juste titre le Berceau de L’Humanité, car l’origine des hommes y est clairement démontrée par toutes les recherches en paléoanthropologie. C’est aussi un pays que je connais très bien et où je me suis rendu souvent, cela me paraissait donc évident d’y planter le décor de mon roman.
Que ce soit dans un futur lointain, ou dans un passé tout aussi oublié, j’essaie de créer des personnages qui se situent aux limites de l’humanité, et d’essayer d’imaginer leurs pensées, leurs passions, leurs doutes. Le fait que l’action se déroule en Afrique du Sud n’est pas donc neutre, mais le message est encore plus radical que la simple dénonciation de l’ancien système d’apartheid, des préjugés. Une fois de plus, l’existence prouvée de plusieurs espèces humaines à une époque relativement proche de la nôtre (environ 50,000 ans) nous démontre l’absurdité des croyances en la supériorité d’un groupe humain sur tel autre.
Au final, nos civilisations, nos modes de vie, nos croyances et dogmes se révèlent éphémères à l’échelle de temps incomparablement plus longs, il est donc vain de prétendre à une hiérarchie entre eux. Ce qui fait un homme n’est ni lié à sa couleur de peau, ni même à la génétique qui le constitue, sa condition humaine lui est acquise de plein droit
Pour vous, comment peut-on analyser le mythe du vampire ? Qu’est-ce qui en fait la pérennité ?
Très vaste question, et je crois Adrien que tu es le plus expert d’entre nous sur le sujet ! Je pense que le vampire est tout simplement ancré dans nos imaginaires, car il présente une figure « réaliste » d’un monstre à visage humain.
Toutes les cultures humaines incluent l’équivalent du vampire dans leurs légendes, et c’est très perturbant ! Mon grand-père était dans sa jeunesse un solide gaillard qui avait émigré d’Italie dans les années 1930s en passant par les Alpes, en plein hiver. Il avait été attaqué par une meute de loups (ou autre chose…), en avait réchappé, et depuis lors, il croyait fermement aux vampires, sous toutes leurs formes. Je n’ai jamais eu d’explications et il refusait de répondre sur le sujet quand on l’abordait.
Quelles sont vos premières et dernières rencontres avec un vampire (littéraire et/ou cinématographiques) ?
Le Bal des Vampires de Polanski m’avait traumatisé quand je l’avais vu, encore enfant. Et pourtant, c’est une comédie ! Mais la scène où il se rend compte qu’il est le seul à posséder un reflet dans la grande salle de bal est à la fois terrifiante et drôle ! Récemment, j’ai beaucoup apprécié la série Netflix avec l’acteur Claes Bang qui campe un Dracula tout à tour terrifiant, plein d’humour, cruel, à travers différentes époques.
Quels sont vos prochains projets éditoriaux ?
Un retour à la science-fiction prévue à l’automne 2024 ! Et entre temps, quelques traductions de romans d’anticipation qui traitent de sujets aussi différents que le changement climatique, un virus qui transforme la planète toute entière, etc.
Mais on garde le moral ! (rires)