Vladkergan : Pour les lecteurs qui te découvriraient avec Lettres aux Ténèbres, peux-tu nous résumer ta carrière. D’où te vient cette passion pour les mondes de l’imaginaire ?
J’ai commencé à écrire sérieusement quand j’étais à la fac, et que je rédigeais mon mémoire de DEA. Mon premier roman, Zaïna et le fils du vent (Yomad) est sorti en 1999, mais le manuscrit existait depuis deux ans. Lettres aux ténèbres, dans sa première version, est né en même temps que ma thèse de doctorat.
Entre deux, il y a eu pas mal de nouvelles, y compris dans des univers de jeu de rôles et le roman COPS, Lights, camera, revolution. Est venue la trilogie Le Cœur d’Amarantha, une fantasy mythologique parue entre 2004 et 2006 chez Nestiveqnen, puis la parution de Lettres aux ténèbres au Calepin jaune, deux recueils de nouvelles, dont Au Miroir des sphinx (Argemmios), Arachnae, premier tome de mon cycle L’Archipel des Numinées, publié chez Mnémos (2009), La Marque de la bête, réécriture sombre et fantastique de Peau d’âne (Mango 2009), Noire Lagune, mon premier polar historique (Gulf stream, courants noirs, 2010) qui est sélectionné pour le juke box ado du salon de Montreuil, un album jeunesse, Croquemitaines, aux éditions du Mont (illustrations de Fabien Fernandez), Cytheriae (Mnémos, 2010), qui vient de recevoir le prix du roman Elbakin 2010.
Entre deux, en commençant par deux anthologies, Le Crépuscule des loups (Le Calepin jaune, 2008, épuisé) et Plumes de chats (Rivière blanche, 2009), j’ai commencé à mettre en place un système d’anthologies thématiques, dont les droits sont reversés à des associations ou organismes humanitaires ou défendant les causes animales. C’est ainsi que la collection « pueblos », chez CDS éditions, la micro-édition montée avec mon époux, l’illustrateur Fabien Fernandez, a vu le jour. Elle compte aujourd’hui deux anthologies : L dont les droits sont reversées à Cœur de femmes et Fauves et métamorphoses, dont les droits sont reversés au Domaine des fauves des Abrets. Quant à ma passion pour les mondes imaginaires, je crois qu’elle me vient des contes, des mythes et des légendes que me lisait ma mère quand j’étais petite, puis que j’ai lue seule, des Livres dont vous êtes le héros, des romans de SF et Heroic Fantasy que m’a fait découvrir mon père, des jeux de rôles… Pour moi, l’imaginaire est une source de nourriture, d’inspiration – et c’est inépuisable.
Asmodée : Dans Lettres aux ténèbres, Ambre et Lazzo sont des créatures surnaturelles avec cependant une âme et des sentiments très humains. Est-ce selon toi cette spécificité qui donne une telle longévité au mythe du vampire en littérature et dans le cinéma ?
Je crois en effet que «l’humanité » du vampire, le fait qu’il s’agisse dès le départ d’un de nos semblables, participe beaucoup à la longévité du mythe. Cela, et bien entendu le fait qu’il soit immortel. Le vampire est d’une certaine façon notre reflet dans le miroir, à la fois autre et même, inquiétant et fascinant. Peut-être parce qu’il est le plus proche de nous, il représente le meilleur et le pire en chaque être humain – l’ange gardien, le meilleur des hommes et le monstre, la bête inhumaine.
Asmodée : Si tu écris à nouveau une histoire de vampires, reviendras-tu dans l’univers dans lequel se déroule Lettres aux ténèbres ou chercheras-tu ton inspiration tout autre part ?
J’ai écrit pour cette deuxième version Tango pour Esther, un texte mettant en scène François Villon – il n’est donc pas impossible que je continue à l’utiliser. J’avais l’intention, il y a quelques années, d’écrire un roman entier se déroulant dans ce monde fantastique contemporain. Je ne sais pas si j’en ai encore envie, mais j’y reviendrai certainement de temps à autre par le biais de nouvelles… et de François Villon.
Vladkergan : Tu ressors ces temps ci Lettres aux Ténèbres chez Rivière Blanche. D’où es venu ce projet et que penses-tu apporter de plus aux gens qui ont déjà lu le premier opus ?
Quand Estelle Valls de Gomis a mis Le calepin Jaune en sommeil, j’ai récupéré mes droits sur Lettres aux ténèbres. Je tiens énormément à ce roman, et ne voulais donc pas qu’il sombre dans l’oubli. Ainsi, en cherchant un nouvel éditeur et en discutant avec Philippe Ward, de Rivière Blanche, ce projet « omnibus » est né. Cela m’a permis de rassembler tous mes textes vampiriques (sauf Trinité, dans Au Miroir des sphinx, aux éditions Argemmios), de les dépoussiérer en les retravaillant, d’y ajouter de l’inédit et d’inviter, en plus des traditionnelles interview (par Rémy Guyard, de Psychovision) et bibliographie (par Alain Sprauel), des amis à participer.
Vladkergan : Tu as fait intervenir des auteurs habitués du sujet, comme Estelle Valls de Gomis et Jean Marigny (qui signe ici sa seconde nouvelle vampirique). Comment les as-tu contactés et leur as-tu présenté la chose ?
Estelle est une amie très chère, que je connais depuis près de dix ans. Jean a été membre de mon jury de thèse, nous sommes tous deux membres du CERLI et nous sommes également amis. Gabrielle est une proche de Jean, et c’est aussi une amie, et Justine s’est montrée très enthousiaste – nous avons quelques salons, de thé et littéraires en commun !! Donc, ça a été très facile.
Asmodée : En matière de créativité littéraire, sur quel support va ta préférence, le roman ou la nouvelle ?
Je crois que je préfère le roman, mais c’est aussi une question de « feeling ». Certaines histoires se prêtent particulièrement bien à la forme courte, par exemple – un peu comme le temps du récit (passé, présent) ou le parti pris narratif (narration neutre, troisième personne ou première personne, etc.) Ce que j’apprécie avec les nouvelles, par exemple, c’est de pouvoir expérimenter de procédés stylistiques (c’était notamment le cas dans mon recueil Prysmes, aujourd’hui épuisé) et de les tester. Mais le roman permet de se « déployer », de prendre son temps…
Asmodée : Y-a-t-il un trait dans le mythe du vampire qui te séduit ou t’inspire particulièrement ?
Sa dualité : mort et vivant, bête et « humain » (capable de ressentir).
Charlotte Bousquet » style= »float: right; » hspace= »10″ vspace= »5″>Asmodée : Charlotte Bou
squet auteure d’une série bit-lit, ce serait une tentative envisageable ?
En fait, je me lance dès fin octobre dans l’écriture d’une pentalogie (si tout va bien), La Peau des rêves (L’Archipel, Galapagos) qui s’en rapproche énormément. Et mon prochain polar fantastique, Llorona on The Rocks (Argemmios, cet automne), y est apparenté. Un récit à la première personne (en majorité), une héroïne tout de noir vêtue, aussi mortelle avec des flingues qu’avec une dague d’obsidienne… Pas de vampires ni de loups-garous, mais des fantômes et une créature de légende : la Llorona. Donc, pour le moment pas de bit lit stricto sensu mais pourquoi pas, en tous cas ?
Vladkergan : Quelles ont été ta première et ta dernière rencontre avec un vampire (littéraire et/ou cinématographique) ?
Première rencontre : au cinéma, le Nosferatu de Werner Herzog. J’avais quinze ans et j’en ai fait des cauchemars pendant des mois. Comme je suis un peu maso, c’est aussi à partir de ce moment que j’ai commencé à m’intéresser au mythe. Dernière rencontre : Bones, le vampire de Au Bord de la tombe, de Janiene Frost, principal personnage d’une série de bit lit plutôt très agréable à lire.
Vladkergan : Pour toi, comment peut-on analyser le mythe du vampire ? Qu’est ce qui en fait la pérennité ?
Je ne suis pas sûre de pouvoir répondre correctement à cette question. Il y a à mon sens plusieurs analyses possibles : le double, comme évoqué plus haut, l’immortalité au prix du sang, l’aspect « envahisseur » – Dracula voulant conquérir le monde – reflétant la peur de l’autre, de l’étranger et de l’étrangeté, la fascination pour le mal et la toute-puissance, l’aspect « prince charmant », romantique et sensuel, la transgression – interdits sexuels de l’Angleterre victorienne, sensualité du « baiser » vampirique, etc. – la communion dans le sang, le côté sombre du super-héros… Je crois que parce que le vampire est multiple, possède un nombre incroyable de facettes, il se prête à de nombreuses interprétations différentes et « touche » de différentes façons. Jean Marigny, avec La Fascination du vampire (Klingsieck) récemment paru ou son essai Le Vampire dans la littérature du XXème siècle (Honoré Champion) et Estelle Valls de Gomis avec Le Vampire au fil des siècles, l’ont parfaitement montré.
Vladkergan : As-tu encore des projets de livres sur le thème des vampires ? Quelle va être ton actualité littéraire dans les semaines et les mois à venir ?
Pas pour le moment, je crois. Je laisse les vampires se reposer quelque temps ! Mon actualité littéraire : deux sorties cet automne, Princesses des os (Gulf stream, courants noirs), un polar historique ado se déroulant dans la Rome d’Hadrien, sur fond de complot et de sorcellerie et Llorona On The Rocks (Argemmios), polar fantastique mettant en scène Eva Vargas, une spécialiste ès fantômes et monstres surnaturels, et la Llorona. Ce roman, dont la première version était prévue pour la défunte collection Club Van Helsing, est également l’occasion d’évoquer les féminicides de Ciudad Juarez. Au printemps 2011 devrait sortir Anuri, (Mango, Autres mondes), une fiction ado se déroulant dans un Groenland ravagé par les changements climatiques et humains.