Bonjour. Pouvez-vous vous présenter pour les internautes de Vampirisme.com ?
Loïc : Je suis un enfant des années 80 passionné de cinéma, de jeu vidéo et de bande dessinée. Libraire, bibliothécaire, formateur dans les métiers du livre ou père au foyer, les métiers varient, mais les passions dans ces domaines sont toujours constantes. Depuis 7 ans, j’écris aussi des scénarios de bds (pour adultes et enfants) ou des romans ou albums jeunesse pour diverses maisons d’édition.
Clément : Un peu comme Loïc avec deux-trois hivers de plus, je suis passionné par tout ce qui touche à l’image. Je suis illustrateur depuis une dizaine d’années par passion et par conviction, mais j’ai été graphiste presque 10 ans aussi avec un peu moins de certitude.
Tous les jours Dracula est sorti il y a quelques jours aux Éditions Delcourt. Pouvez-vous nous expliquer la genèse de ce projet ?
Clément : Ça faisait un moment qu’avec Loïc, nous voulions travailler ensemble. On s’est croisé à plusieurs reprises, par l’intermédiaire d’amis en commun, et un soir un peu festif, nous avons décidé de nous lancer sur « petit » projet. Loïc m’a d’abord proposé de bosser sur l’illustration d’un roman, histoire de commencer sur quelque chose de pas trop chronophage… et puis ça a dérapé, le roman est devenu une BD et au lieu de travailler quelques semaines ensemble, on est parti sur quelques mois. Je pense qu’on y a pris goût et on a bien envie de remettre ça, va juste maintenant falloir trouver le temps.
Loïc : Jusqu’à présent, je n’ai travaillé qu’avec des gens que j’aime et pour qui j’ai une grande admiration artistique. C’est mon luxe à moi. La genèse de ce projet c’était donc ça : trouver un sujet qui résonne avec l’univers visuel de mon copain !
Qu’est-ce qui vous a motivé à utiliser la figure du vampire pour aborder le thème du harcèlement scolaire, plutôt que de rester dans le réel ?
Loïc : Le vampire m’a intéressé en tant que figure de la différence. Interdictions alimentaires (ail), fragilité particulière et visible face au soleil (aïe) ou même look un peu chic-suranné qui le différencie de la masse, le vampire est un être original. Et si pour une fois, nous abordions cette figure atypique sous l’angle de la discrimination ? Il est différent donc pointé du doigt. Il est différent donc persécuté. Il suffisait d’ouvrir grand les yeux sur le réel pour découvrir que c’est souvent ainsi que marche malheureusement le monde.
Dans le cas du harcèlement scolaire, ce sont exactement ces genres de mécanismes qui sont à l’œuvre. Pas les bonnes chaussures, pas la bonne coiffure, pas la bonne allure ? C’est parfois à cause de simples détails de ce type que commencent les grands calvaires des victimes.
Pour l’anecdote, alors que je réfléchissais au récit, je me suis même interrogé en mode : mais pourquoi le Dracula que l’on connaît est-il aussi méchant ? Un peu comme Karaba la sorcière qui dans Kirikou est méchante parce qu’elle a une épine plantée dans le dos, je me suis imaginé un passé douloureux pour notre vampire. Bon, c’est du délire un peu parce que tous les enfants victimes de harcèlement scolaire ne deviennent pas un être assoiffé de sang… nous sommes bien d’accord… mais pour autant, les tueurs psychopathes ont souvent eu une enfance compliquée.
Clément : Au départ, il n’était pas encore question d’aborder le thème du Harcèlement. Je dis « Harcèlement », car, quel qu’il soit, son commencement est toujours issu de la bêtise de quelqu’un(s). Loïc m’a d’abord branché sur Dracula enfant avec une simple phrase : « Avant d’être un vampire mondialement connu, Dracula était un enfant presque comme les autres ». Je trouvais cette accroche super bien vue. On se pose souvent la question de savoir pourquoi telle ou telle personne (célèbre ou pas) se retrouve à telle ou telle place, dans telle ou telle situation. Qu’est-ce qui fait qu’un génie en est venu à se poser des questions fondamentales, qu’est-ce qui a amené certaines personnes à devenir de véritables monstres, ou encore plus simple : est ce que je serai ce que je suis aujourd’hui dans un contexte très différent de celui que j’ai vécu. Je trouve ça passionnant. Si on ajoute à ça le sujet du harcèlement et de ses conséquences… on obtient une recette qui personnellement me donne envie de dessiner. Et puis, j’ai pour habitude de travailler sur des sujets qui se situent à la lisière de l’obscurité. La plupart de mes livres ont toujours une part un peu sombre et Dracula correspondait vraiment à cette continuité et à ce que j’aime faire.
Quel regard portez-vous sur l’évolution du vampire en littérature ces dernières années ?
Loïc : Je ne suis pas un expert, mais le vampire contemporain (ou plutôt le vampire comptant pour rien) n’est pas ma tasse de thé. Personnellement, j’ai fait la découverte de cette figure légendaire via le film de Coppola quand j’étais ado. Dans la foulée j’avais dévoré le roman de Bram Stoker qui m’avait passionné, mais mon vrai premier choc littéraire, fut le Salem de Stephen King. Est-ce que c’est parce que jusqu’à la page 100, je ne savais pas que ça parlait de vampire et ne le voyant pas venir, le choc avait été renforcé ? Est-ce que c’est parce que la noirceur triomphe dans ce livre ? Je ne sais pas. Toujours est-il qu’encore aujourd’hui, ce livre est parmi mes préférés et que je l’ai lu trois fois (ainsi que les quelques autres récits connectés écrits par King). J’ai ensuite poursuivi ma découverte des vampires via Anne Rice. Je crois que j’ai complètement commencé à l’envers puisqu’il me semble avoir entamé avec La Reine des Damnés (♬Akasha – Enkil réveillez-vous réveillez-vous…♬). Toujours est- il que j’ai lu ensuite à peu près dans l’ordre, tout se qui me passait dans les mains autour de Lestat, Louis, Armand, Marius et les autres. Bon, je crois que rendre Lestat aussi puissant qu’un dieu a été une erreur de la part d’Anne Rice, car le personnage est devenu cheaté à un moment et a perdu de son intérêt, mais globalement c’était quand même hyper bien de lire ça.
Bref, tout ça pour dire que le vampire que j’aime est sexué, sombre, badass et révèle la part d’animalité qu’on a en nous. Le vampire que je ne n’aime pas c’est l’espèce de caniche aux dents de lait pleines de caries sans le bal du diable. Je ne supporte pas le vampire cucullen qui pleurniche et tourne en rond.
En bd, je ne crois pas avoir lu d’histoires de vampire qui m’aient vraiment marqué donc mon approche littérature est vraiment basé sur les romans exclusivement. Si quelqu’un a de bonnes bds à me conseiller, je suis preneur ^^
Clément : J’ai un peu honte, mais je n’ai pas lu grand-chose, j’ai surtout grandi avec beaucoup d’adaptations cinématographiques. Je peux difficilement porter un regard sur la littérature, mais en ce qui concerne le cinéma ou les séries, je trouve qu’on essaie beaucoup de choses pas toujours très excitantes ni très brillantes. Comme Loïc, j’aime le vampire pour ce qu’il représente : un être sexué, charnel, damné, romantique et brutal. Le vampire à midinette m’ennuie un peu. J’aime la question de l’éternité, et je trouve que souvent, on traite le sujet un peu de travers. Je sais pas, mais si j’avais vécu aussi longtemps que certains vampires, je serais un peu moins con et prévisible que ceux qu’on retrouve dans la série True Blood par exemple. Ça fait beaucoup de vampires qui ne se posent presque pas de questions à part celle de savoir qui ils vont croquer le soir… C’est pour ça que j’aime beaucoup Lestat. Il traîne le poids des années, ça le ronge et ça lui donne un recul sur le monde assez terrifiant. Je ne le trouve pas manichéen, il est à un stade ou le bien le mal, n’ont aucun sens.
Quelles sont vos premières et dernières rencontres avec un vampire (littéraire et/ou cinématographique) ?
Loïc : Première rencontre ? J’incarne Simon Belmont dans le premier Castlevania sur Nes pour affronter Dracula, j’ai 7 ans. Un choc. Dans l’univers très kawaï de Nintendo, ce titre m’a marqué par son ambiance sombre et sa musique incroyable.
Dernières rencontres : Dracula et les femmes, Une messe pour Dracula… bref, les incarnations de Christopher Lee pour la Hammer. J’en ai regardé pas mal pour préparer avec Clément notre propre livre. À la même époque, j’ai revu avec beaucoup de plaisir Le Bal des Vampires de Polanski. Drôlerie et horreur sont extrêmement bien dosées dans ce film que j’aime particulièrement. Rien à voir, mais tant qu’on est dans les films, j’ai une passion coupable pour le Vampire$ de John Carpenter… c’est un peu fauché, mais là, le vampire est vraiment dangereux. Ça me donne envie de le revoir, tiens.
Clément : Ma première rencontre fut celle du Dracula de Coppola, j’avais 14 ans, c’était sombre et terriblement sensuel et romantique. C’est un film qui m’a beaucoup marqué, j’adorai également la BO que j’écoutai beaucoup.
Ma dernière s’est fait avec le film néo-zélandais What we do in the shadows. C’est une comédie filmée comme un reportage dans une colocation de Vampire. Ce n’est pas un grand film, mais j’ai beaucoup rigolé et puis ça joue avec tous les clichés que je trouve ridicules en général comme l’idée que vampire et loup-garou ne peuvent pas se sentir… Sinon un peu moins récemment j’ai vu Morse, c’est beaucoup moins drôle pour le coup, même plutôt dur, mais j’ai adoré. Le vampire de cette histoire est une jeune fille (enfin pas tout à fait, mais je vais pas spoiler non plus) qui lie une complicité avec un jeune garçon qui subit le harcèlement d’autres enfants.
Loïc : Tiens, moi j’ai vu le remake Let me in, et je crois qu’il s’était fait défoncer par la critique alors que j’ai beaucoup aimé. Il faudrait sans doute que je voie l’original. Et si on parle de film rigolo avec des vampires, je dois mentionner Freaks of Nature. Avec ma femme, on a adoré ce teen movie déjanté mélangeant zombies, vampires, humains et extra-terrestres !
Pour vous, comment peut-on analyser le mythe du vampire ? Qu’est-ce qui en fait la pérennité ?
Loïc : Je crois que le vampire fascine pour les raisons évidentes d’immortalité et de toute puissance. Le côté sex-appeal fascinateur aussi doit ajouter à l’attrait que procure sur nous cette figure. Je pense que quitte à perdre son âme, nous serions bien plus attirés par le fait de devenir un vampire plutôt qu’un zombie ou une momie, non ?
Le vampire, c’est ta face sombre, celle qui révèle tes instincts les plus bestiaux enfouis en toi. À mon avis, cette figure traverse les temps parce que la question de la dualité bien / mal est aussi vieille que l’humanité. Cette thématique est intemporelle.
En outre, on peut se servir du vampire pour traiter de périls bien réels. Nous on s’en est servi pour parler du harcèlement, mais j’imagine que d’autres ont dû s’en servir pour parler du Sida (le vampire contamine), de la dépression (le vampire ne ressent plus les goûts), du racisme ou de tas d’autres sujets importants. Pour raconter des histoires, le vampire c’est pratique, le vampire c’est fantastique.
Clément : Je n’en ai pas vraiment d’analyse… Pour moi l’essentiel est l’idée d’éternité et de la nuit. Le sang est un besoin animal, presque sexuel chez le vampire. La nuit est souvent considérée comme le moment ou tout sommeil, mais quand on vit dans une grande ville, on voit bien que la nuit c’est le moment où les gens ne sont plus eux même, c’est le moment des rencontres impromptues et des surprises pas toujours bonnes. C’est le moment qui sort des conventions où les gens se laissent aller… C’est aussi le moment des silences et des angoisses, le moment où chacun se retrouve seul et livré à soi même dans le noir. Quant à l’éternité, c’est une notion à la fois fascinante, car on pense à tout ce qu’on pourrait y faire, mais je personnellement, je la trouve angoissante. Le fait de devenir spectateur de l’évolution du monde, le fait de revivre sans cesse des cycles de la vie et de perdre tous ceux à qui on peut s’accrocher est dur. Si on s’y attarde un peu on s’aperçoit vite que Les vampires « vivent » dans la douleur permanente… C’est pas super enviable… Quant à la pérennité, le mythe du vampire est tout aussi éternel, tant qu’il y aura de la nuit, il y aura une fascination pour ce quelle peut dissimuler.
Avez-vous encore des projets de livres sur ce même thème ? Quelle va être votre actualité dans les semaines et les mois à venir ?
Loïc : Sur le harcèlement scolaire, non. Un livre avec des vampires ou avec notre petit Dracula en particulier ? Uniquement s’il y a une bonne histoire et j’en ai d’ailleurs une en stock sur le thème de la famille recomposée.
Sinon, dans les mois à venir, je sors avec Anne Montel un livre incroyable qui sera certainement notre projet le plus intense et abouti et qui parle des peurs enfantines. Ça sera chez Soleil, dans la collection Métamorphose et ça sera terrifiant…
Clément : Sur ce thème non, sur des sujets humains abordés par la « fantaisie » oui. Mon prochain est une version du Petit chaperon rouge et je travaille sur la « suite » de ma précédente Bd chez Métamorphose également.