Cette interview est la seconde partie de l’entretien que Laurent Courau, réalisateur de Vampyres et auteur de Twilight Secret, a bien voulu accorder à Vampirisme.com. Retour à la Demeure du chaos pour en apprendre un peu plus sur la genèse du livre Twilight Secret et les projets en cours ou futurs du créateur de La Spirale.
Vladkergan : A travers ton site et tes livres, tu sembles habituellement porter un intérêt aux marges. Qu’est ce qui t’as donné envie d’entrer dans le phénomène plutôt mainstream que semble être Twilight ?
Laurent Courau : Twilight, c’est un accident. On m’a proposé de faire un bouquin sur Twilight au mois de mai ou de juin. Et en étant vraiment honnête je n’avais pas lu les bouquins et je ne connaissais pas la série de films, d’ailleurs il n’y en avait encore qu’un film à cette époque. J’avais vu relativement peu de temps avant la première saison de True Blood, et je m’étais dit que ce serait un truc du même genre, donc globalement que ce serait plutôt rigolo et que j’aurais des éléments pour broder, de toute manière. Naïvement, je signe mon contrat et je m’engage à faire ce livre, et là je crois que j’ai commencé par voir le film… en DVD (rires). De mémoire, le film dure deux heures ou deux heures et demi. Il est relativement long et il m’a fallu une journée entière pour le voir, par tranches de vingt minutes.
Après, comme je suis sérieux, contrairement à d’autres confrères qui m’ont avoué avoir écrit des bouquins sur Twilight sans même lire les livres, je me suis tout tapé. J’ai donc lu les quatre volumes de la série, qui font en moyenne 600-700 pages.
Et ça a été un peu compliqué de trouver des choses à dire parce que, comme je le dis dans le livre et dans les interviews sur le sujet, pour moi c’est un outil marketing assez parfait, dans le sens où ça va d’un côté taper dans le roman à l’eau de rose, et c’est là que j’ai notamment appris que Barbara Cartland était l’auteur qui avait vendu le plus de livres dans l’histoire de l’humanité. La Bible est le seul ouvrage qui ait été plus diffuse que ses livres. Ça donne une idée des volumes. Les journalistes littéraires peuvent se moquer de la littérature à l’eau de rose, c’est phénoménal d’un point de vue commercial.
Chez Stephenie Meyer, il y a donc ces emprunts à la littérature à l’eau de rose, complètement affirmés et assumés, ainsi qu’une touche de fantastique plutôt bienvenue par les temps qui courent. A la rigueur, le truc est tellement lisse, adapté, parfait, et la personnalité, en tout cas telle qu’elle est médiatisée, de l’auteur, est tellement lisse elle aussi, que le truc le plus compliqué était de trouver des choses à dire dessus, parce qu’il faut gratter pour arriver à tirer quelque chose. A moins de répéter 15 000 fois la même chose.
Mais en même temps, il n’y a pas même grand-chose à répéter. Donc c’est parti d’un « accident » et d’une certaine naïveté de ma part, je me suis engagé à faire un bouquin sur un truc que je ne connaissais pas.
C’est là, en me creusant la tête et en lisant les bouquins, que j’ai remarqué qu’ils contenaient beaucoup de références à pleins de trucs. Elle cite beaucoup de peintres, de lieux géographiques, de périodes historiques, d’évènements et ainsi de suite. Je me suis dis que peut-être, la manière la moins stupide d’attaquer mon livre, c’était effectivement de faire une sorte de dictionnaire des références qu’elle emploie, ce qui au moins permettra aux gamins qui s’intéressent à Twilight d’aller plus loin en s’ouvrant à autre chose. Notamment, il y a beaucoup de références mythologiques, spécialement grecques, un sujet que j’ai toujours apprécié… J’ai donc réussi à m’en tirer par cette espèce de pirouette.
Senhal : J’ai vu d’ailleurs que tu avais casé du Vampyres, du moins dans l’introduction…
Laurent Courau : Oui, oui, mais en même temps ça fait maintenant parti du truc. Et puis après, Stephenie Meyer n’est pas complètement là par hasard non plus. Au départ, période Polidori début XIX, on était vraiment dans des trucs où le vampire était une créature inhumaine et plutôt immonde. Ou alors séductrice, façon incube, succube, mais franchement pas sympathique. Et le vampire s’humanise de plus en plus au fil des décennies, on va dire des siècles, même, maintenant. Stephenie Meyer se situe donc dans une sorte d’apothéose, où le vampire n’est plus du tout l’ennemi. C’est l’ami, l’amant et le protecteur et ça devient une espèce de super-héros un peu sombre, qui d’ailleurs est assez adapté à la période que nous traversons.
Senhal : Tout comme les vampyres intègrent maintenant l’histoire du vampire.
Totalement. S’il n’y a avait pas eu Anne Rice et le succès de ses livres au début des années 80, s’il n’y avait effectivement pas eu des films comme Les Prédateurs de Tony Scott avec Bauhaus en intro du film, qui relie directement le mythe avec la scène new-wave/post-punk/cold-wave, s’il n’y avait pas eu ensuite Aux frontières de l’Aube et Génération Perdue, où les vampires sont des teenagers américains…
Les vampyres eux-mêmes me l’ont dit, s’il n’y avait pas eu tout ça, pour eux, le comte Dracula était un espèce de grand con de transylvanien avec un accent bizarre. Puis, suite à Anne Rice et au succès des films cités, il y a eu Vampire la Mascarade et son extension grandeur nature qui a permis aux joueurs de s’imprégner vraiment des personnages.
Et de la même manière, en poursuivant ce système, globalement il n’y aurait pas eu au cinéma l’adaptation de la série Blade, des Editions Marvel, je pense que les gamins du ghetto auraient eu beaucoup plus de difficultés à s’approprier l’archétype. D’ailleurs tu vois, Lord Xanatos des Hidden Shadows, c’est Wesley Snipes. Il faisait même du karaté avant sa naissance, son père mettant déjà de petits coups de poing gentiment contre le ventre de sa mère pour qu’il s’habitue aux percussions. (rires) Tu ne peux pas trouver plus de représentation plus idéale de Blade dans le monde réel.
Vladkergan : D’autant que pour en revenir à Blade, c’était quand même un truc très afro à la base. Le premier Blade de Marvel est quand même un guerrier avec la coupe afro…
Laurent Courau : Tout à fait ! On sait que que les Editions Marvel ont créé le personnage pour surfer sur l’émancipation des noirs américains à l’époque, sous la pression des mouvements pour les libertés civiques peu de temps avant. Ce qui leur permettait notamment d’accéder aux joies de la classe moyenne et de devenir de nouveaux consommateurs. Marvel a ainsi voulu créer des produits spécifiques pour ces nouveaux consommateurs, donc un super-héros pour les afro-américains. Effectivement il avait la super coupe afro et le look façon Huggy les bons tuyaux.
Vladkergan : Vu la pléthore d’ouvrages sur Twilight, due à l’effet de mode, que peut apporter de plus ton ouvrages aux lecteurs et amateurs de la série de Stephenie Meyer et à ceux qui ne connaissent pas encore le phénomène ?
Laurent Courau : Par rapport aux autres ouvrages, j’ai au moins vu le film et lu la tétralogie. Ce qui n’est pas le cas de tout le monde. Et je connais aussi plutôt bien les vampires pour avoir travaillé près de sept ans sur le sujet. Donc, qu’est-ce qu’il peut apporter de plus ? Je ne sais pas si les autres ont fait cet espèce de travail sur l’évolution de l’archétype au travers des œuvres, et je ne sais pas s’ils se sont aventurés à faire un dictionnaire pour plonger un peu plus dans l’univers de Meyer. De même, je ne sais pas quelle réflexion ils ont pu avoir sur Meyer et la série, ou perso je vais jusqu’à dire que j’ai du mal à croire (pour plusieurs raisons) au joli conte de fée de la mère de famille mormone dans l’Arizona qui a l’inspiration à partir d’un rêve un soir, qui est donc le chapitre 13 du premier roman, d’écrire cette tétralogie et devient multimillionnaire.
Je trouve que le truc est trop parfait, presque trop calculé, pour réellement croire que tout est venu comme ça, d’un songe. Il y a même des gens qui remettent en cause qu’elle ait écrit seule les romans. En tout cas il y a une curiosité, après on ne va pas rentrer dans la conspiration Stephenie Meyer, ce serait un peu ridicule, mais en tout cas c’est un peu étrange.
De mémoire, c’est à vérifier, parce que là on rentre dans des choses plus précises, mais je crois bien que son premier contrat était de l’ordre de 750 000 dollars. C’était déjà pour plusieurs bouquins, dès le début, mais 750 000 dollars pour un premier contrat pour un auteur inconnu qui n’a jamais rien écrit… j’écris de la fiction demain matin si c’est comme ça.
Alors c’est vrai qu’on est aux US, où le marché est exponentiel par rapport à celui des auteurs francophones. Mais bon, un premier roman en France, pour donner une idée aux gens qui ne sont pas au courant, si l’auteur a 1500 euros d’avance, déjà il a pas mal de chance. Donc, entre 1500 euros et 750 000 dollars, il y a un fossé. Ce n’est même plus un fossé, c’est abyssal. Toute cette histoire de Stephenie Meyer me semble très calculée. Il faut aussi savoir que le succès de Twilight a réussi à redresser le chiffre d’affaire, en pleine période de crise, de tout le groupe Lagardère, enfin de Lagardère Publishing, mais du coup également de la société Lagardère à travers le monde. Donc on est sur des volumes d’argent complètements ahurissants. Ça par contre, je ne pense pas qu’ils aient pu le planifier à l’avance, mais ils ont fait ce qu’ils pouvaient pour.
Vladkergan : J’ai d’ailleurs suivi ce que ça a donné en termes de statistiques ventes. Les livres sont passés tous les quatre dans le top 10 des meilleures ventes, et j’imagine qu’avec Noël ça n’a pas dû désemplir…
Laurent Courau : D’ailleurs je pense que le truc n’est pas fini. Il y a le fameux cinquième bouquin, que soi-disant on lui aurait volé. À ce niveau d’enjeu économique, je trouve ça super surprenant que les fichiers ne soient pas cryptés et pas diffusés n’importe comment à n’importe qui, d’ailleurs elle-même ne dit pas par quelle manière il y aurait eu fuite. C’est un peu étrange.
Et je ne serais pas du tout surpris qu’ils accélèrent les sorties des films de la série. Au départ c’était un premier film, le second un an après, là je crois qu’on passe quasiment à 6 mois, ce qui est une performance absolue en terme de production de films, pour tout : acteurs, production, tournage…
Du coup je ne serais pas surpris que Midnight Sun sorte au moment de la sortie du quatrième film, et que celui-ci donne lieu à une revisite de la série complète vu par Edward. Ce qu’Anne Rice ne s’est pas privée de faire, quand elle à d’abord sorti ses quatre ou cinq premiers ouvrages, où il y avait une suite relativement logique, et maintenant elle nous en sort de tous les vampires possibles et imaginables : Vittorio le vampire qui arrive de Venise, etc.
Vladkergan : On a une question redondante au niveau de nos interviews : quelle a été ta première et ta dernière rencontre avec un vampire (avec ou sans y) ?
Laurent Courau : Ma première rencontre, je crois que j’en parle dans le bouquin Twilight Secret, c’était mon parrain qui vivait au Mexique qui est passé par Paris, je crois que j’avais onze ans, et qui a eu la bonne idée de m’emmener au cinéma pour mon anniversaire voir Le Bal de vampires de Polanski. Lui devait trouver ça super marrant…
J’ai longtemps conservé une vision terrifiante, qui me faisait cauchemarder la nuit, du comte Von Orlock ou Krolock qui descend en lévitant dans la salle de bain où Sharon Tate se baigne, et ça ne m’a vraiment pas fait rigoler du tout. (rires) Et donc voilà, ça m’a un peu terrorisé. C’était, je pense, mon premier vrai contact avec les vampires. Après, je suis resté assez fan, et j’ai vraiment tout suivi. D’un côté il y avait vraiment tout ce qui était vampires et assimilés, et de l’autre, tout ce qui était cyberpunk et science-fiction. C’est vraiment les deux trucs, avec du roman noir à côté, bien sûr.
Vladkergan : Et la dernière ?
Dernière lecture vampirique ? Là je suis en train de lire le dernier bouquin de Christopher Moore paru en France, d’Amour et de sang frais. Je le trouve assez marrant, après c’est peut-être un peu trop sympathique et humoristique pour moi. J’aime bien Christopher Moore de manière générale, j’ai lu pleins de trucs de lui, là c’est presque un petit peu trop gentillet. Mais en même temps j’en suis aux soixante premières pages, donc j’espère que ça va se noircir un peu par la suite.
Sinon, là, je viens de finir, mais ça n’a pas grand rapport avec les vampires, World War Z, qui est un bouquin de Max Brooks, qui a déjà écrit Guide de survie en territoire zombie, et il vient de sortir celui-ci qui est une compilation de récits de s
urvivants de la grande guerre des zombies. Et c’est vachement bien, le mec est très fort même en géopolitique, donc il intègre pleins de trucs dedans, il y a plein de dimensions, et c’est juste excellent.
Vladkergan : Et pour conclure, tu as de nouveaux projets vampiriques (ou pas) en cours ?
Laurent Courau : Concernant les projets en cours… Là on est donc à la Demeure du Chaos, ce sont des gens que je connais, encore une fois, par l’intermédiaire de Lukas qui est vraiment la tête chercheuse idéale. En tout cas il m’a toujours amené sur des trucs assez exceptionnels.
Je suis d’abord venu en région lyonnaise pour collaborer avec eux en écrivant un livre qui va sortir au début de l’année prochaine. Une sorte de narration gonzo de ce qui s’est passé lors de la Borderline Biennale, leur biennale off de la Biennale d’Art Contemporain de Lyon. Ce sera une sorte de journal de bord où j’intègre des faits réels qui se sont déroulés ici, ce qui en général est déjà pas mal corsé en terme de fiction, mais aussi des faits reliés à l’actualité mondiale qui était assez chargée en début d’automne, entre la crise, la pandémie de grippe A et ainsi de suite… on nageait quand même en plein délire. Donc il y a ce bouquin qui devait sortir mi-janvier, et qui sortira plutôt en février-mars, parce qu’on a énormément de choses à faire.
Suite à ça, je suis resté dans la région et nous poursuivons notre collaboration autour de la Demeure du Chaos. Nous démarrons une série de tournages de fiction, fortement teintés de fantastique. Les premiers tours de manivelle sont donnés actuellement. L’idée, c’est d’arriver vraiment à un long-métrage, je pense qu’on devrait voir les premiers extraits en ligne de tout ça au printemps. J’ai aussi un projet, toujours avec Lukas, de tour du monde. Autant Vampyres c’était l’incarnation, dans le monde réel, d’un archétype fantastique, autant le projet avec Lukas serait plutôt l’incarnation d’un univers cyberpunk dans le monde d’aujourd’hui.
L’idée est de suivre Lukas avec sa femme Satomi et leur fille Mayliss, comme une sorte de nouvelle famille Adams artistique et recomposée qui parcourt le monde. Lukas fait ça en permanence, il voyage à travers les cinq continents toute l’année. Donc, de passer autant par les endroits où il passe d’habitude que ce soit en Australie, à New-York ou en Amérique du Sud, et de le voir rencontrer un certain nombre de gens.
J’aimerais par exemple que l’on passe des bas-fonds de la planète, avec les maras, ces gangs qui ont le visage intégralement tatoué en Amérique Latine, pour se trouver cinq minutes plus tard se retrouver dans le bureau d’un PDG, au sommet d’une tour qui domine toute la baie de Hong-Kong. Ça permettrait d’avoir une sorte de vision instantanée, de polaroid d’un monde en décomposition, une vision d’un monde au bord du gouffre en train d’imploser, au travers du parcours d’une famille relativement atypique. Voilà pour les différentes pistes de travail.
Et à côté de ça, il y a aussi une série d’animation sur laquelle je suis en train de travailler, une histoire de zombies, proche de la fête des morts mexicaine C’est un projet sur lequel j’avais bossé initialement en 1998 pour Canal+ et qui n’avait pas vu le jour, que je suis donc en train de relancer. Et puis, après, il y a un boulot assez avancé de roman, qui va se situer entre le fantastique, le cyberpunk, et le roman noir, qui se passera dans un premier temps à Paris, où on aura une vision à la fois moderne, post-moderne de Paris et en même temps quasi médiévale.
Donc voilà pour les axes de boulot. Et puis il a La Spirale, bien sûr, qui n’arrête pas. A l’heure où on parle je suis en train de finir une grosse mise à jour qui sera mise en ligne ce soir, avec pas mal d’interviews.