Bonjour M. Fraysse. Pouvez-vous vous présenter, vous et les Éditions Callidor, pour les lecteurs de Vampirisme.com
Je suis Thierry Fraysse, directeur éditorial de Callidor, petite structure indépendante qui se consacre à la littérature de l’imaginaire depuis 2011. J’ai fondé la maison pour remettre en avant les fondateurs de la fantasy, des auteurs du début du XXe ou de la fin du XIXe siècle que l’on considère encore aujourd’hui comme des classiques outre-Manche et outre-Atlantique, mais qui n’étaient pas traduits en français ou tout à fait oubliés.
C’est pour combler ce manque que j’ai décidé de me lancer dans l’édition, après avoir compris que les autres éditeurs se tournaient avec bien plus de facilité vers des auteurs contemporains que vers le passé. Faire ce pas de côté en jetant un regard en arrière me plaisait. Comment comprendre la fantasy contemporaine si on ne sait pas d’où elle vient ni comment elle a pris son essor ? C’est à cette question que j’ai voulu répondre en fondant Callidor.
Vous avez choisi de proposer le Dracula de Bram Stoker à votre catalogue. Qu’est-ce qui a motivé ce choix de titre pour la collection Collector, après , Salammbô de Flaubert, Le Roi en jaune de Chambers et L’Appel de la Forêt de London ?
Avant tout, revenons un peu en arrière – le leitmotiv de Callidor si l’on peut dire 😉
Étant plus facilement tourné vers le passé, j’ai rapidement développé une passion pour la littérature dite classique. Je me suis alors aperçu que la seule façon de lire un classique en France, c’était à travers une édition de poche. En 2020, j’ai donc créé la collection « Collector », soucieux de renouer avec l’héritage bibliophile de l’édition française.
Cette collection a pour vocation d’accueillir des titres de tous horizons, et de créer de véritables livres-objets, richement illustrés, avec un papier de qualité et une maquette soignée.
Après avoir mis en avant la littérature fantastique, qui me porte depuis mon adolescence, à travers Arthur Machen et Robert Chambers, il me semblait logique de proposer le plus grand récit vampirique qui soit. D’autant que je ne trouvais pas d’édition concurrente pour Dracula. Il s’agit tout de même de l’une des plus grandes œuvres fantastiques jamais écrites, et pourtant il n’existait pas, à ma connaissance, d’édition digne de ce nom – d’un point de vue de l’objet, j’entends.
Il ne me manquait plus qu’à trouver l’artiste pour me lancer dans un tel projet.
De multiples traductions récentes existent du texte de Stoker, notamment celles de Jacques Finné (1992), de Jacques Sirgent (2010) et enfin celle d’Alain Morvan (2019). Qu’est-ce qui vous a fait opter pour cette dernière, qui a vu le jour pour la première fois au travers du volume Dracula et autres écrits vampiriques de la Pléiade ?
À vrai dire, j’ai grandi avec la traduction de Jacques Finné. Et j’en profite pour le remercier, car c’est en partie grâce à lui que j’ai découvert le mythe du vampire et que ma vision du comte s’est cristallisé dans mon esprit. Ce n’est que bien plus tard que j’ai pris connaissance de la version d’Alain Morvan. J’ai découvert le travail de ce dernier à travers la traduction de Frankenstein et autres romans gothiques (2014), paru en Pléiade chez Gallimard. Son œuvre était tout à fait remarquable et j’ai suivi de près la sortie de Dracula et autres écrits vampiriques (2019), avant de découvrir qu’elle était elle aussi de très haute facture. Elle ne contredisait pas du tout la vision de mon enfance, mais, d’une certaine façon, l’enrichissait. Ces deux traductions sont en quelque sorte complémentaires selon moi, et toutes deux excellentes. Le choix s’est finalement porté sur celle de M. Morvan pour ce qu’elle m’a apporté en tant que lecteur adulte d’une part, et pour les nombreuses notes de bas de page qui parsèment son travail. Ses recherches sur le mythe vampirique sont si abouties que j’ai expressément demandé à Gallimard d’ajouter les notes au contrat, de façon à pouvoir les reproduire dans mon édition, tant elles complètent la lecture.
Stephen King et Dacre Stoker se partagent préface et postface de votre édition du roman. Pourquoi avoir choisi spécifiquement ces deux auteurs ? Si pour le second il y a la filiation avec Bram Stoker, pour le premier ce n’est pas forcément le premier auteur auquel on pense quant à son expertise sur Dracula ?
Stephen King a consacré un long essai à Dracula, Frankenstein et L’Étrange cas du Dr Jekyll et Mr Hyde en 1978 pour les éditions Signet (https://www.isfdb.org/cgi-bin/pl.cgi?242065). J’avais pu en prendre connaissance il y a longtemps, quand j’étudiais le fantastique anglo-saxon à l’université. Et les réflexions de King sont très intéressantes et dignes d’un chercheur en littérature, croyez-moi. Son association à la littérature horrifique n’étant plus à démontrer, il me semblait intéressant de lier ces deux auteurs à travers la courte préface qu’il a écrite en 2011 pour confesser la dette qu’il avait envers l’inventeur de Dracula.
Quant à Dacre Stoker, non seulement le fait qu’il s’agisse de l’arrière-petit-neveu de l’auteur irlandais est intéressant, mais si je lui ai demandé d’écrire ses essais, c’est surtout parce qu’il a eu accès au manuscrit original de son aïeul – lequel est détenu par la fondation Paul Allen (cofondateur de Microsoft) –, et qu’il a pu faire des recherches (d’un niveau universitaire) sur les sources de son arrière-grand-oncle et sur le parcours de celui-ci. Bref, ses arguments ont porté et il m’a paru important de lui laisser une place de choix dans mon édition collector.
C’est le dessinateur de bande dessinée Christian Quesnel qui s’occupe de la partie illustration. Comment avez-vous découvert son travail et qu’est-ce qui vous a incité à faire appel à lui pour Dracula ?
C’est sur les réseaux sociaux que j’ai découvert le travail de Christian. J’ai fini par le contacter après avoir vu une énième de ses aquarelles apparaître sur sa page Instagram. Je n’ai su qu’après qu’il était également dessinateur de bandes dessinées, un genre que je connais bien puisque je suis par ailleurs éditeur dans ce domaine. Et suite à la lecture de La Cité oblique, sa BD lovecraftienne faite avec Ariane Gélinas, j’ai vu tout le potentiel de cet artiste dans le domaine du fantastique. Il ne faisait jusque-là que des bandes dessinées documentaires et sociales, mais j’y voyais une parenté certaine avec la littérature weird ; et avec tout indiquait qu’il était capable de franchir cette porte facilement.
Quand on a discuté d’œuvres à illustrer, c’est même lui qui a proposé de partir sur Dracula. J’ai aussitôt sauté sur l’occasion.
Il existe de multiples éditions de Dracula à l’heure actuelle, entre poche, grand format et éditions illustrées. Que pensez-vous apporter parmi une offre déjà importante d’édition du texte ?
Des éditions de poche existent en grand nombre, c’est sûr. Et on peut même lire ce titre facilement et gratuitement sur Internet, ça ne fait aucun doute. Mais ce que je souhaite proposer à travers la collection « Collector », c’est aussi une expérience de lecture, que j’ai voulue aussi immersive que possible. Car non seulement mon édition est illustrée (et je ne crois pas qu’il existe d’autres Dracula illustrés sur le marché – encore commercialisés aujourd’hui en tout cas), mais en plus j’ai tenu à soigner la maquette et à lui donner une coloration particulière.
Pour bien comprendre ce point, il faut se rappeler que Dracula est un roman épistolaire : le lecteur appréhende l’action à travers un échange de lettres, des journaux intimes ou des coupures de presse. Et pour aller aussi loin que possible dans l’univers de Stoker, je me suis dit qu’il fallait jouer cette carte à fond : j’ai donc cherché plus de quinze polices manuscrites différentes pour que chaque personnage ait sa propre écriture, autrement dit sa propre voix.
Je pense que c’est une façon assez inédite de proposer la lecture de ce roman culte, et je suis assez fier du résultat. C’était loin d’être simple, car au-delà de trouver les différentes polices (qui devaient immanquablement renvoyer au XIXe siècle, condition sine qua non pour éviter de sortir le lecteur de sa lecture), il fallait surtout qu’elles correspondent à chaque personnage. J’ai donc tenu à ce que la police de Dracula soit plus acérée, à ce que celle de Mina soit plus ronde et enlevée, à ce que celle de Van Helsing soit plus précise pour correspondre à son côté scientifique, etc.
J’espère avoir réussi à me démarquer à travers ces différents aspects en tout cas !
Selon vous, qu’est-ce qui explique la pérennité d’une créature comme le vampire ?
Dans son introduction, Dacre explique que la force de la figure du vampire réside dans son adaptabilité. Les vampires « ont toujours su changer et se moderniser, y compris en littérature : c’est à mon avis la raison de leur survie et de leur succès », ajoute-t-il.
Et je trouve cette explication plutôt convaincante 🙂
Quelles ont été vos premières et dernières rencontres avec un vampire ?
Je crois que la première fois que j’ai rencontré un vampire, c’était dans Buffy contre les vampires, qui passait dans La Trilogie du samedi. J’avais huit ou neuf ans à l’époque et il est certain que cela m’a marqué.
Ma dernière rencontre, ce fut certainement dans la série de comics de Scott Snyder, American Vampire, qui vaut franchement le détour ! D’ailleurs, Stephen King signe une partie du scénario du premier tome. Snyder s’inscrit comme un scénariste excellent capable de réinventer la figure du vampire en en proposant une nouvelle sorte : le vampire américain. Et c’est une lecture absolument géniale, très entraînante, que je recommande à toutes et tous !
C’est la deuxième fois que la figure du vampire s’invite chez Callidor, le Lilith de George MacDonald convoquant la créature en filigrane. Doit-on s’attendre à d’autres textes sur le sujet ?
Alors ça, seul l’avenir nous le dira. Mais quelque chose me dit que je n’en ai pas tout à fait fini avec les vampires… Affaire à suivre 😉