Adrien Party : Bonjour Nancy. Pouvez-vous vous présenter pour les internautes de Vampirisme.com ?
Nancy Holder : Bonjour, c’est un plaisir de vous rencontrer. Je suis sur la liste des auteurs de bestsellers du New York Times, avec près de 80 romans et 200 nouvelles à mon actif. Il y a beaucoup de textes mettant en scène des vampires dans ma production. J’ai ainsi écrit beaucoup de livres pour les licences Buffy the Vampire Slayer et Angel, et j’ai aussi une série originale avec des vampires, Crusade. Je vis dans l’état de Washington, aux États-Unis. Je suis venu trois fois à Disneyland Paris, mais mon français est très mauvais.
A.P. : Un de vos premiers textes publiés, « Blood Gothic », raconte l’histoire d’une femme à la recherche d’un amant vampire. Cela a-t-il eu un impact sur votre attirance pour Buffy, et votre envie d’écrire des livres avec des vampires ?
N.H. : « Blood Gothic » est la première nouvelle que j’ai rédigée. Je l’ai vendue en 1985, pour une anthologie intitulée Shadows 8. J’étais une jeune autrice d’horreur, et j’adorais déjà les vampires. J’étais très excité d’arriver à placer cette histoire, mais cela n’a pas influencé mon approche de Buffy. Avec cette licence, mon objectif était de recréer la vision de Joss Whedon, pas d’y appliquer la mienne. C’était mon travail en tant qu’auteur de textes sous licence : imaginer des aventures que les fans de l’univers apprécieraient.
A.P. : En 1997, vous avez co-écrit Halloween Rain (Pluie d’Halloween en VF), aux côtés de Christopher Golden. Comment vous êtes-vous retrouvée impliquée dans la collection des romans consacrés à Buffy ?
N.H. : J’avais été approchée par un éditeur qui espérait publier des romans autour de Buffy. Pour ce faire, il devait en acquérir les droits, c’est-à-dire payer la licence. Ils ont donc fait une offre, mais elle s’est avérée insuffisante. J’ai néanmoins découvert qui avait remporté l’enchère. J’ai proposé à Christopher Golden d’écrire avec moi : je venais d’avoir un bébé, et j’avais besoin de quelqu’un avec qui partager le travail. Christopher a accepté. Nous sommes allés voir l’éditrice qui avait acquis la licence (Lisa Clancy), et nous lui avons envoyé treize idées. Elle en a choisi une, et nous avons commencé à nous mettre à l’ouvrage : nous n’avions que trois semaines et demie pour finaliser ! Nous avons découvert par la suite que Lisa et ses collègues faisaient des paris sur notre capacité à finir dans les temps.
A.P. : À cette époque, comment se passait le travail sur la série ? Comment évoluaient les choses, depuis la première idée jusqu’à la publication ? Y avait-il des étapes intermédiaires et des validations ?
N.H. : Comme je l’ai dit plus haut, nous avons eu tout juste trois semaines et demie pour écrire le premier livre. La compagnie de production nous a envoyé du jour au lendemain six scripts, et nous avons constitué à partir de là un dictionnaire, que nous avons appelé « Slayer Speak ». Nous avons essayé de rester au plus près des scripts de Joss que nous avons pu. La série n’avait pas encore été diffusée, donc il nous a fallu inventer certaines choses. Nous pensions qu’Halloween serait ainsi la nuit la plus importante de l’année pour les vampires — et bien sûr ça c’est avéré faux ! Étant donné que nous avons rendu le premier livre à temps (et qu’il était bon), on nous a proposé d’en écrire d’autres. Tous les scripts nous étaient envoyés, et nous enregistrions les épisodes Christopher et moi. Nous les avons regardés en boucle, des dizaines de fois.
Quand le moment a été venu de publier un guide des épisodes, c’est nous qui avons été retenus. La série n’avait pas de « bible » avant que nous sortions ce guide. À partir de là, c’est le nôtre que les réalisateurs des épisodes ont utilisé ! Christopher et moi nous sommes allés sur les lieux du tournage, à Santa Monica (Californie), et nous avons pris des notes dans tous les sens, et avons interviewé un maximum de gens. Chris a dû retourner chez lui, dans le Massachusetts, mais je suis resté plus longtemps. Je me rendais aux bureaux de la production autour de 8 h du matin, et j’en repartais vers minuit. J’étais sur les rotules, mais ça nous a permis d’avoir un énormément de matière pour le livre.
Le moment le plus excitant pour nous aura été de déambuler dans les décors de Sunnydale High School. Nous avons même vérifié si les distributeurs automatiques fonctionnaient (ce qui n’était pas le cas).
A.P. : Aux États-Unis, il y a une série plus orientée Young-Adult, et une série adulte (les deux étant publiés au sein d’une unique collection en France). Côté auteur, y avait-il une différence entre les deux ?
N.H. : L’idée était de proposer quelque chose de plus court et de plus simple pour la série Young Adult. Mais cette série a été rapidement annulée, parce que tout le monde préférait la série pour adulte, dont les livres étaient un peu plus longs et complexes.
A.P. : Quel est le roman de la gamme Buffy qui vous tient le plus à cœur, et pourquoi ?
N.H. : J’ai adoré écrire The Book of Fours, parce que cela m’a permis de créer la Tueuse qui a précédé Buffy, ce qui a offert à celle-ci de prendre sa suite. Son nom était India Cohen, et sa biographie est très influencée par ma propre vie. J’ai ainsi vécu plusieurs années au japon.
A.P. : Beaucoup des livres que vous avez publiés dans la série ont été co-écrits. Comment avez-vous travaillé en équipe à ce niveau ? Notamment avec Christopher Golden, avec qui vous avez officié en binôme sur de nombreux romans de la licence Buffy ?
N.H. : Chris et moi rédigions des résumés détaillés de nos romans, puis nous séparions les chapitres pairs et impairs : 1, 3, 5, 7, 9 et 2, 4, 6, 8, par exemple. Nous écrivions chacun un chapitre en même temps, puis nous nous les échangions. Nous éditions ces deux chapitres, puis nous passions à la suite. C’était un système très efficace, qui fonctionnait bien.
A.P. : Vous avez également publié des romans de la série Angel (notamment une novélisation du pilote). Est-ce que cela a été une expérience différente de Buffy ? Je veux dire, la série est nettement plus sombre ?
N.H. : Quand j’ai eu à rédiger la novélisation du pilote, j’avais très peu d’informations sur ce que serait la série, sa tonalité, etc. J’ai créé beaucoup d’éléments de background pour Angel, Darla et les autres personnes. Étant donné que cela ne coïncidait pas avec la série, cette première version a été refusée, et j’ai dû recommencer. Mon éditrice m’a dit que le roman — la première mouture — était le meilleur roman qu’elle avait lu depuis une décennie, ça m’a donc rendu très triste. Mais mon job était d’être fidèle à la série, et ma proposition suivante a été acceptée.
Angel était un show plus sombre, plus adulte. J’ai adoré travailler aussi bien sur l’un que sur l’autre. Les histoires d’Angel étaient plus complexes à imaginer, parce que la majeure partie des récits relevait de la fiction policière, et c’est quelque chose que je trouve stimulent à écrire.
A.P. : Vous avez été impliquée dans la rédaction de The Unseen Trilogy (avec Jeff Mariotte) et The Gatekeeper Trilogy (avec Christopher Golden), des arcs qui s’étalent sur plusieurs tomes. Est-ce que ces projets étaient différents des romans simples ?
N.H. : Pas vraiment. Nous élaborions en premier lieu tous les scénarios. Le livre 1 installait la trilogie. Le livre 2 était une dramatisation de tous les conflits que nous avions posés dans le livre 1, avec un certain nombre de conflits mineurs résolus à la fin des livres 1 et 2. Le livre 3 était consacré à la résolution de l’arc narratif principal. Une fois que nous avions déterminé tout ça, nous pouvions nous atteler à la tâche.
A.P. : Pensez-vous que le Buffyverse, notamment les romans, a eu une influence sur la fantasy urbaine actuelle, et la façon dont les vampires sont dépeints et utilisés depuis ?
N.H. : Oui. Pour moi c’est un fait : Buffy est responsable de la naissance de l’urban fantasy. Sans la série et ses dérivés, il n’y aurait pas d’urban fantasy aujourd’hui.
A.P. : Buffy a aussi donné naissance à de nombreux articles universitaires et essais. En tant que spécialiste de la série (je veux dire, on vous doit beaucoup de livres dans cet univers), comment l’expliquez-vous ?
N.H. : Je suis moi-même membre de cette communauté académique, la Whedon Studies Association. Pour nous, Joss est un auteur révolutionnaire, qui mérite un respect équivalent à ceux qu’on doit à des gens comme François Truffaut ou Louis Malle. Il y a énormément de choses à analyser dans sa technique, sa manière d’approcher sa propre création, et sa philosophie. Je suis très heureuse d’avoir passé tout ce temps à penser et à travailler avec son œuvre. Mais j’aime aussi d’autres réalisateurs, tels que Guillermo del Toro. Alfonso Cuarón, Juan Antonio Bayona, et Pedro Almodóvar.
A.P. : Quelles sont vos premières et dernières rencontres avec un vampire, tous supports confondus ?
N.H. : Mon premier contact avec un vampire s’est faite via les films anglais de la Hammer. Mon père était médecin, et s’est retrouvé stationné à la Base navale de Yokosuka, au Japon, pendant trois ans. Lui et moi regardions les films de vampires avec Christopher Lee dans le théâtre de l’hôpital, accompagné de près de 300 marins blessés. La petite fille de douze ans du capitaine Jones et 300 hommes en peignoir !
A.P. : Avez-vous d’autres projets dans le même thème ? Sur quoi travaillez-vous en ce moment ?
N.H. : Ma co-autrice Debbie Viguié et moi avons publié il y a quelque temps une trilogie intitulée Crusade. Si on se fie à la couverture, rien ne laisse paraître qu’il s’agisse de romans centrés autour de vampires. Nous y avons mis tout notre cœur et notre âme, et ça a été une expérience très enrichissante de travailler ensemble. Pour autant, cette série est peu connue, et j’aimerais que plus de gens ne la découvrent.
J’écris des comic book en ce moment. La série à laquelle je travaille s’intitule Mary Shelley Presents. Il s’agit d’adapter les œuvres d’autrices dont les œuvres ont été publiées entre les années 1780 et 1920 : des nouvelles et novella surnaturelles écrites par des femmes célèbres à leur époque, mais qu’on a depuis oubliées. Le quatrième numéro est en cours d’illustration. Son titre est « Monsieur Maurice », basé sur un texte d’Amelia B. Edwards. Le personnage principal, Monsieur Maurice, s’est battu du côté de Napoléon, et il est emprisonné à tort. C’est une histoire de fantôme pleine de tendresse, que j’adore. La série est publiée chez Kymera Press. Toutes les équipes créatives chez cet éditeur sont des femmes, que ce soit les scénaristes, les dessinatrices, les encreuses et les coloristes. Nous sommes comme des sœurs les unes pour les autres.