Paralysed Age est un groupe allemand qui voit le jour en 1998, au cours de la seconde vague gothique. Leur style à mi-chemin entre Crüxshadows et VNV Nation souligne les origines hybrides de leur musique, entre sonorités dures et sombres et rythmes plus électroniques. S’il ne se focalise pas sur le vampire, Paralysed Age a convoqué plusieurs fois la créature au fil de ses albums, comme le prouve leur hit « Bloodsuckers ». Michael Knust, leader du groupe, répond à nos questions sur les vampires tels qu’ils se définissent à travers leurs chansons.
Cette interview a été réalisée par mail en octobre 2019. Elle constitue l’une des chutes de Vampirologie, initialement destinée au chapitre sur les vampires en musique.
Adrien Party : Vous décrivez votre musique comme un mix entre darkwave et post-punk. Pour qui ne serait pas familier avec ces genres, pouvez-vous résumer en quelques mots ce dont il est question ?
Michael Knust : Les musiques dites wave regroupent un éventail assez vaste. Cela inclut par exemple un groupe comme les Talking Heads. Il s’agit en soi d’un nouveau départ, quelque chose de totalement original. Le punk est quant à lui plus direct : il peut être agressif, contre les normes, et intégrer une dimension politique. Par contraste, le post-punk est de notre point de vue moins politique : il possède une approche lugubre et dépressive, autant dans sa musique que ses paroles (Joy Division en est un très bon exemple). Ce nouveau courant, ce qu’on appelle wave, se reflète également dans la new wave. En ce qui nous concerne, nous ne faisons pas séparation aussi stricte entre le post punk et la darkwave. Le mot darkwave nous est cher, car nous voulons nous démarquer de ce qui est politique, de ce qui vient du mouvement punk. Conclusion : la darkwave est pour nous un moyen d’aborder des thématiques sombres, comme la peur du futur, les cauchemars, une sorte d’exutoire à la vie réelle. Les sonorités que nous y associons se caractérisent par des accords mineurs, accompagnés de rythmes de synthétiseurs monotones, qui sont parfaits pour exprimer ce type de sentiments.
A.P. : Dans ces genres musicaux, le vampire a toujours été une icône récurrente. Bauhaus avec « Bela Lugosi’s Dead », Siouxsie & the Banshees et « We Hunger », The Birthday Party avec « Release the Bats ». Mis à part la dimension esthétique, comment expliquez-vous un lien aussi fort entre le vampire et la scène gothique ?
M.K. : Une chose avant tout. Notre musique exploite, il est vrai, des éléments gothiques et notre morceau « Bloodsuckers » est un titre purement gothique. Mais nous veillons à rester dans une darkwave à la fois triste et lugubre. De notre point de vue, le gothique est une philosophie holistique. Pour autant il ne s’agit pas d’un mouvement homogène avec un message universel, religieux ou politique, et il n’a pas de vision éthique. La non-violence et la tolérance y sont néanmoins des éléments de liaison forts : il y a un fondement pacifique, et en même temps inaccessible et en marge du réel. Les membres de la scène sont toujours perçus de l’extérieur, à la fois indifférents et nantis d’une attirance pour la mort. Il n’y a pas de missionnaires : chacun doit être capable de faire ce qui lui plaît, tant qu’il ne porte atteinte ni à lui-même ni à autrui.
La mort est un problème majeur, les gothiques sont davantage préoccupés par le sujet que les autres. La fascination pour la cruauté et les profondeurs de l’âme humaine, un intérêt marqué pour la psychologie, voire pour le mal absolu ? C’est un aspect différent du mouvement, et c’est là qu’il faut chercher notre rattachement à ce style : nos textes étranges sont un exutoire pour toutes les peurs qui jalonnent la vie. C’est sans doute pour cela que beaucoup de gothiques sont artistiquement actifs, qu’il s’agisse de peinture, de musique. « Déambuler ensemble dans les cimetières pour s’asseoir en silence, s’apaiser dans un endroit romantique, qui possède une aura mystique, et où l’on peut admirer l’esthétique de tombes anciennes ». C’est une vision très controversée de ce que peut être notre communauté, et Paralysed Age n’est EN AUCUN CAS synonyme de cela.
A.P. : L’un de vos morceaux les plus connus, « Bloodsuckers », a un côté vampirique particulièrement marqué. Vous rappelez-vous comment elle a été écrite ? On pourrait la percevoir comme un appel à la nuit et aux créatures qui y évoluent. Peut-on en déduire que vous vous sentez plus proche des vampires d’Anne Rice que de ceux de Bram Stoker ?
M.K ; : « Bloodsuckers » résume L’IMAGE MÊME du vampire, et nous avions l’impression de composer un morceau gothique parfait. Rice ou Stoker, cela n’a pas d’importance – Edgar Allan Poe nous a également inspirés pour de nombreux textes, il n’y a qu’à écouter « Berenice». « Into the Ice » est quant à elle un hommage à la fin du Frankenstein de Mary Shelley. L’idée d’écrire sur le « vampire » nous a beaucoup excités, même si, comme je l’ai déjà dit, nous appartenons plus à la mouvance darkwave qu’au rock gothique.
A.P. : « Bloodsuckers » a été utilisé dans la compilation Music From the Succubus Club, dans laquelle chaque chanson est associée à un clan de Vampire : la Mascarade (dans votre cas, il s’agit du clan Tzimisce). De quelle façon avez-vous travaillé sur ce projet ?
M.K. : Je ne peux faire qu’une réponse très courte à cette question. Nous nous sommes mis d’accord avec notre ancien label, Dancing ferret, pour que ce titre soit utilisé en cohérence avec le jeu. Pas plus, pas moins.
A.P. : À travers les morceaux où vous convoquez la figure du vampire, il y a souvent un lien avec le pacte faustien. Pour vous, le vampire est avant tout une métaphore de la tentation pour l’immortalité ?
M.K. : Oui c’est tout à fait ça. Quand il est question de créatures de la nuit, d’immortels, il y a toujours une cruauté sous-jacente. Dans une chanson comme « The Grave Shall Be Forever », c’est quelque chose que nous avons poussé à son paroxysme. Le protagoniste, un vampire, n’aspire qu’à mourir une fois pour toutes, plutôt qu’à être contraint à une douloureuse et éternelle existence nocturne.
A.P. : L’univers du groupe ne se limite pas, vous l’avez dit vous-même, au vampire. Pour vous, y a-t-il une différence avec les autres créatures que vous évoquez, comme les fantômes ?
Notre première source d’inspiration est la peur, le désespoir, la crainte de la mort, la dépression. Tout ce qui n’est pas symbole de joie dans la société est traité dans nos chansons. Les images que nous convoquons sont, bien entendu, les vampires, les fantômes, le mal. « No Lights ! No Lights ! » en est un très bon exemple. Ce morceau s’intéresse à la question suivante : que se passe-t-il quand la peur et le mal fusionnent, et qu’il devient impossible de s’échapper de leur étau ? Nos paroles, notre philosophie, en tant que groupe, va bien au-delà que le seul sujet des vampires. Ils sont juste un matériau stylistique, parmi beaucoup d’autres.