Pouvez-vous vous présenter pour les internautes de Vampirisme.com ?
Jérôme Le Gris : Auteur de Bd et réalisateur de films j’ai réalisé deux longs-métrages et écrit plusieurs séries de Bd dont Horacio d’Alba avec Nicolas Siner.
Nicolas Siner : Je suis dessinateur, auteur de BD et Illustrateur. J’ai travaillé avec Jérôme Le Gris pour notre première série a tous les deux, Horacio d’Alba il y a une dizaine d’années. Je fais aussi des couvertures de BD pour les éditions Delcourt et je participe de temps en temps au magazine Science et Vie Junior.
Le premier tome de Lord Gravestone, Le baiser rouge, pose les bases d’une série, en trois tomes, qui met en scène une famille de chasseurs de vampires. Pouvez-vous nous raconter la genèse de ce projet ?
J.L.G. : L’idée était de revisiter le mythe vampire et de le situer à l’époque pré-victorienne pour renouer avec les origines du genre. C’est aussi un hommage au Dracula de Coppola qui fut ma première vraie rencontre avec cet univers fascinant. J’ai proposé cette série à Nicolas parce que le travail qu’on avait effectué sur Horacio d’Alba ouvrait la porte à pleins d’univers. Le côté épique et cinématographique qu’il y avait développé pouvait parfaitement s’adapter à une autre époque et un autre genre. Son dessin et sa mise en scène me semblaient parfaits pour explorer le XIXème siècle anglais et les mythes vampires.
N.S. : NS : Pour ce qui est de la génèse, c’est vraiment Jérôme qui en est à l’origine, il m’a proposé le projet alors que l’écriture était déjà bien avancée. L’univers changeait beaucoup par rapport a Horacio et j’avais envie de renouveau d’une part, et je souhaitais faire quelque chose dans un univers suffisamment différent pour donner a voir d’autres facettes de mes inspirations. Ce projet tombait très bien !
L’intrigue démarre en 1806, et l’essentiel de l’histoire se déroule en 1823, soit quelques années après la publication du Vampyre de Polidori. Vous choisissez donc le début du XIXe siècle, et non la période 1872 (Carmilla) – 1897 (Dracula). Pourquoi ce choix ?
J.L.G. : Car la période géorgienne est encore teintée d’obscurantisme et de pensée médiévale très propices à la thématique vampire. Cette période n’a que très rarement été traitée car on lui préfère généralement l’âge victorien, plus moderne. Il était donc intéressant de situer notre histoire à cette époque afin de revenir aux sources du mythe à savoir les romans gothiques anglais.
Vous mettez en scène de nombreuses caractéristiques classiques du vampire (le pouvoir des artefact religieux, le besoin de reposer dans un cercueil). Et dans le même temps, vous donnez une tout autre version de la genèse du vampire, avec le principe du baiser rouge. Pourquoi ce choix, et d’où vous est venue cette idée ?
J.L.G. : Mon objectif était de dépoussiérer un peu la mythologie du genre tout en restant fidèle à ses codes et ses thématiques. J’ai donc gardé certaines mécaniques tout en en réinventant d’autres, comme le Baiser Rouge. J’ai toujours trouvé un peu simpliste l’idée de « je te mords et tu deviens vampire », ici le fait de devoir traverser une phase d’incubation effrayante ou les choix de la victime peuvent influer sur son futur m’a paru intéressant.
Et dans le même temps, qualifier la victime d’incube dans cette période intermédiaire, il y a la matière à faire le lien avec la part d’Éros du vampire ?
J.L.G. : Oui, dans cette phase intermédiaire les deux pulsions de vie et de mort s’affrontent au sein de l’incube. Il est tenté par son ancien état d’humain qui le rassure mais la toute-puissance des vampires l’attire aussi. Il va devoir naviguer et choisir entre ces deux états. À noter, que le terme d’incube, qu’on utilise dans la série, n’a pas le même sens que dans le langage courant.
Pour Nicolas : Comment aborde-t-on graphiquement, le travail sur un personnage aussi codifié que le vampire ?
NS : Comme c’est justement très codifié, j’ai préféré laisser libre court à ce qui me venait de ma culture – ma foi modeste – du genre, pour l’allier avec des inspirations autres, provenant d’imaginaire gothiques, fantastiques et ésotérique.
J’ai par exemple puisé dans des sources de bande dessinée comme Le Prince de la Nuit, mais aussi des série comme Jonathan Strange & Mr Norrell , des films comme Crimson Peak et Van Helsing, ou encore des jeux videos comme Bloodborne.
Tout ça dans l’espoir d’en faire quelque chose d’attrayant et d’assez curieux pour éveiller l’intérêt de celles et ceux ayant l’habitude de l’univers vampirique.
Quelles sont vos premières et dernières rencontres avec un vampire, qu’elles soient littéraires ou cinématographiques ?
J.L.G. : Le film Dracula de Coppola a été très important pour moi dans la genèse de ce projet. Entretien avec un Vampire de Neil Jordan, bien qu’il se déroule dans un univers contemporain, a aussi été une source d’inspiration.
NS : Je pense que les premiers vampires que j’ai côtoyés sont ceux de la série Buffy quand j’étais ado. Et bien sûr Blood Omen : Legacy of Kain sur Playstation, un grand moment vidéoludique sur lequel j’ai passé bien des heures… Je ne saurais trop dire quel vampire j’ai vu en dernier, en tout cas, j’ai un souvenir marquant du film Morse, avec son ambiance glaciale de banlieue nordique, j’ai adoré.
Il y a d’ailleurs quelque chose du Van Helsing incarné par Anthony Hopkins dans le personnage de Théophile Gravestone. La figure du chasseur paraît aussi importante (sinon plus) pour vous que celle du vampire. Les deux sont-ils indissociables ?
J.L.G. : Le vampire étant toujours vu comme une menace, il faut nécessairement quelqu’un pour l’affronter et le détruire. Et comme le vampire est un être surpuissant il faut lui opposer un chasseur à sa hauteur. C’est le conflit au cœur de ce duo qui permet toutes les variations sur le mythe. Dans Lord Gravestone, on a choisi de rajouter une histoire d’amour. Une histoire impossible, entre un chasseur et sa proie. Une sorte de Roméo et Juliette gothique.
Quel regard portez-vous sur l’évolution de la figure du vampire ces dernières années ? Qu’est-ce que représente cette créature pour vous ?
J.L.G. : La figure du vampire évolue sans cesse, elle se colle à notre société et change en même temps qu’elle. Les vampires symbolisent, entre autres choses, nos peurs des mondes invisibles et c’est une thématique qui est toujours présente, quelle que soit l’époque. Aujourd’hui, les histoires de vampires se font un peu plus rares, justement peut-être parce qu’on a la sensation que tout a déjà été dit à ce sujet mais l’attraction pour ce mythe est toujours très vive.
NS : Je pense que Jérôme a tout à fait raison de souligner que la figure vampirique évolue avec son temps. Mais c’est un trait commun a toutes les histoires, qui parlent bien souvent des problématiques traversées par les sociétés lors de leur création. Pour ma part, le vampire représente quelque chose d’ambivalent, attirant et repoussant à la fois. Il peut représenter un personnage auquel on peut vouloir s’identifier, ou quelque chose de monstrueux a combattre absolument. C’est pour moi tout l’intérêt de ces personnages, les faire évoluer dans l’immense palette des gris entre l’ombre et la lumière.
Que pouvez-vous nous dire sur les prochains volets (sans spoiler) et leur rythme du publication ?
J.L.G. : Le tome 2 sort au mois de septembre de cette année et le dernier tome du cycle sortira au second semestre de l’année prochaine. Dans la suite, nous explorerons plus en profondeur la relation qui va se nouer entre John et Camilla. Une importante révélation sur le passé familial des Gravestone sera donnée à la fin du tome 2. Et le tome 3 clôturera le cycle avec un final surprenant qui, je l’espère, sera à la hauteur des attentes des lecteurs.
N.S. : NS : pour le moment, les retours qui me parviennent sont enthousiastes, et sont une belle récompense du travail mené jusqu’ici. J’ai reçu des message de lecteurs et lectrices, et lu plusieurs chroniques élogieuses, tout cela fait réellement plaisir à lire. Surtout que j’ai passé longtemps a travailler « dans l’ombre » pour pouvoir permettre des sorties rapprochées des albums. Pour ma part, je dirais simplement que la suite nous a demandé encore d’avantage de travail, et qu’il me semble que le tome 2 est encore meilleur que le premier. J’espère que la série se lira comme une épopée haletante une fois les trois albums sortis !