Bonjour Claude. Pouvez-vous vous présenter pour ceux qui ne vous connaîtraient pas encore ?
Je suis professeur émérite à l’université Paris IV-Sorbonne, philologue, médiéviste spécialiste de l’histoire des mentalités, avec quatre axes de recherches :
- les mythes, contes et légendes
- les êtres fantastiques
- la mort et les morts, thèmes sur lesquels j’ai écrit de nombreux ouvrages
- la magie.
D’où vous vient cet intérêt pour le folklore, et pour les croyances liées à la mort ?
De loin ! J’ai toujours aimé ce qui nous projette dans un autre monde par le biais de l’imaginaire, et je n’ai jamais cessé de chercher ce qui se cache derrière tous ces récits fabuleux, mythiques ou légendaires, ce qui m’a permis de découvrir un monde de croyances très peu connues, voire inconnues, en tous cas du grand public. Car ce que l’on appelle « folklore » bien à tort est en fait un conservatoire de croyances qui se perdent souvent dans la nuit des temps. Du reste, mes collègues sorbonnicoles m’ont appelé péjorativement « le folkloriste », car ils ne comprenaient pas le sens et le but de mes recherches.
Votre premier ouvrage sur les vampires, Histoire des vampires, a été publié en 1999 chez Imago, puis réédité en 2002. Pouvez-vous nous expliquer la genèse de cet ouvrage ?
Elle est simple. Je venais d’achever une très longue enquête difficile, avec beaucoup de déplacements ; je suis monté dans mon grenier où je conserve toute ma documentation et je me suis dit : « Quel livre puis-je écrire sans quitter la maison ? » En fouillant, j’ai retrouvé une masse de documents qui, naturellement, ont déterminé mon sujet. J’ai écrit ce livre, qui n’était qu’une pièce du puzzle que je construisais (cf. Fantômes et revenants au Moyen Âge, Chasses fantastiques et cohortes de la nuit) et j’ai eu la surprise de voir qu’il avait du succès et qu’il était traduit en de nombreuses langues, du Brésil à la Chine !
Si vous vous appuyez, dans cet ouvrage, sur une littérature connue, notamment Calmet, Ranft ou Rohr, vous exhumez également de nombreuses références et anecdotes très peu connues. Comment avez-vous procédé pour établir le corpus de textes qui vous a servi de matière première ?
Je suis un adepte de la méthode privilégiant le texte original à tout autre chose. En partant d’ouvrages anciens (du XVe au XVIIIe siècle), j’ai constitué un corpus aussi divers que possible et englobant les pays dont je comprends et traduis la langue ; l’avantage d’être philologue, c’est d’avoir accès à des sources rares. Ensuite, j’ai trié, typologisé et analysé ces sources, et avec quelques articles, j’ai préparé cette étude.
Le thème du vampire semble avoir essaimé à travers le monde, quelles que soient les régions ou les religions. Comment expliquez-vous cette universalité ?
Il répond à sa façon à une grande interrogation de l’homme sur la mort : est-elle une fin ? Y a-t-il quelque chose après ? Transgressant les lois naturelles, le vampire montre qu’on peut être à la fois défunt et vivant, ce qui est expliqué de diverses façons – malédiction, jour de la naissance, ascendance… Ce personnage parle à l’imaginaire, lance la réflexion, attire et repousse, unit bien des contradictions, a donc tout pour séduire car d’une croyance on passe peu à peu au mythe, et le lecteur, confortablement installé au coin du feu, se délecte de frissons sans dangers.
En 2006, vous établissez chez José Corti une anthologie intitulée Elle mangeait son linceul : fantômes, revenants, vampires et esprits frappeurs, une anthologie. Comment et pourquoi avez-vous choisi les différents textes qui composent ce recueil ?
Je les ai choisis pour répondre à un critique malveillant qui, ignare en la matière, glosait sur mon livre. Je n’aime pas les polémiques, je les ai toujours fuies comme la peste, alors j’ai pensé que la meilleure réponse à cette personne était de publier une partie de mon corpus.
Pensez-vous que le vampire classique, celui de Stoker, de Polidori et de Le Fanu (voire celui de Calmet, de Ranft et De Plancy), est encore perceptible dans les productions actuelles sur le sujet ?
Oui et non. L’histoire du vampire se caractérise par la présence de constantes et de variantes, mais une étude diachronique montre comment elle s’est constituée : elle a emprunté 80% de sa matière aux croyances sur les morts malfaisants (étrangleurs, mâcheurs, affamés, appeleurs, frappeurs, visiteurs). Aujourd’hui, on s’éloigne des origines et Twilight est un bel exemple de cette dérive.
Quelles sont vos premières et dernières rencontres avec un vampire (littéraire et / ou cinématographique) ?
La première fut le livre de Bram Stoker, puis le Nosferatu de Murnau, les Dracula, que ce soit avec Christopher Lee ou Klaus Kinski), et les films tirés des romans d’Anne Rice (Entretien avec un vampire…), sans oublier Le Bal des Vampires de Polanski.
Avez-vous encore des projets de livres sur ce même thème ? Quelle va être votre actualité dans les semaines et les mois à venir ?
Non, je traite actuellement le dernier volet de ma trilogie sur la magie ; il concernera la guérison et la protection magiques et sortira d’ici peu. Parallèlement, avec mon épouse nous traduisons des recueils de « contes », ce qui nous fait découvrir de nouveaux textes qui me permettent des mises à jour de livres que j’ai déjà publiés : pour moi, une étude n’est jamais finie et je ne cesse de faire de nouvelles trouvailles…