Bonjour Jean. Pouvez-vous vous présenter pour ceux qui ne vous connaîtraient pas encore ?
Mon nom est Jean Marigny. Je suis professeur honoraire de l’Université Stendhal Grenoble 3 et spécialiste des vampires sur lesquels j’ai écrit plusieurs ouvrages, le dernier étant Vampires : de la légende au mythe moderne paru cette année aux éditions de la Martinière.
Après avoir été professeur d’anglais au lycée, vous décidez de vous diriger vers l’enseignement supérieur, et prenez comme sujet de thèse Le vampire dans la littérature anglo-saxonne. Qu’est-ce qui a motivé ce choix pour le thème du vampire ?
J’ai toujours été passionné par le fantastique tant dans la littérature qu’au cinéma. Lorsque j’ai passé avec succès l’agrégation d’anglais en 1972, alors que j’enseignais dans un lycée technique, il me fallait proposer un sujet de thèse si je voulais entrer dans l’enseignement supérieur. Je n’avais alors aucune idée précise et, lorsque je suis allé voir mon futur directeur de recherches, je lui ai proposé plusieurs sujets possibles, dont le vampire, ce qui lui a plu immédiatement. C’était un peu téméraire de ma part car je ne connaissais pas vraiment la question et je n’avais lu que quelques ouvrages comme Dracula, Carmilla et La Morte amoureuse, ce qui était vraiment très léger. J’ai commencé à chercher une bibliographie et j’ai trouvé, dans la littérature anglo-américaine, des centaines de titres, ce qui m’a permis de rédiger une thèse de doctorat d’Etat de plus de 900 pages intitulée Le Vampire dans la littérature anglo-saxonne.
En 1984, vous créez le groupe d’études et de recherches sur le fantastique (GERF). Quel était son objectif ? Que devient-il aujourd’hui ?
Le but de cette équipe de recherche était d’étudier et de faire connaître la littérature fantastique. L’université française était alors assez réticente pour aborder ce domaine qui était très mal jugé. Nous avons donc organisé plusieurs colloques qui ont eu un grand succès et publié un périodique, Les Cahiers du GERF. Quand je suis parti en retraite, un collègue angliciste, William Schnabel, spécialiste de Lovecraft, a pris ma succession à la tête du GERF et il l’a dirigé avec beaucoup d’enthousiasme et de compétence. Malheureusement, lorsqu’il a été nommé professeur à Nancy, il n’a pas eu de successeur et le GERF aujourd’hui n’existe plus. Je continue pour ma part à participer aux travaux d’un autre centre de recherches situé à Angers, le CERLI (Centre d’Etudes et de Recherches sur les Littératures de l’Imaginaire) que dirige mon ami Lauric Guillaud. (voir site : www.cerli.org )
Sang pour sang, le réveil des vampires, votre premier livre sur le sujet depuis la thèse pré-citée est sorti en 1993. Un Gallimard Découverte devenu depuis un classique sur le sujet (traduit en 8 langues, réédité de multiples fois,…). Quelle a été la genèse de cet ouvrage ?
En 1992, j’ai dirigé un colloque sur les vampires à Cerisy-la-Salle dans la Manche. Le centre étant très connu, les éditions Gallimard m’ont contacté pour me proposer de faire un livre sur les vampires dans la superbe collection « Découvertes ». Le but de l’opération était de publier ce livre en janvier 1993, au moment de la sortie du Dracula de Coppola. J’ai travaillé d’arrache-pied pour tenir le délai, et lorsque le livre est sorti, il a eu un énorme succès, à ma grande surprise, ce qui m’a valu d’être invité sur les principales chaînes de radio et de télé. Cela m’a permis aussi d’acquérir, dans ce domaine, une certaine notoriété.
Vous avez également participé à un des numéros de l’émission Mystères, pour un reportage sur le Vampire de Highgate. En tant que spécialiste de la littérature sur les vampires, quel regard portez-vous sur cette affaire, qui flirte davantage avec le surnaturel (voire le sensationnalisme) ?
Une question que l’on me pose souvent , c’est de savoir si je crois aux vampires et je déçois toujours mes interlocuteurs en leur disant que je suis totalement rationaliste et que je ne m’intéresse aux vampires qu’à travers les légendes, la littérature et le cinéma. Par conséquent, l’affaire dite du « vampire de Highgate » m’apparaît comme un gigantesque canular. Ce qui m’a intéressé en revanche dans ce fait divers, c’est qu’il s’est produit au cœur de Londres au XXe siècle et qu’il a passionné les foules, ce qui montre la crédulité de nos contemporains. C’est pour cela que j’ai accepté d’en parler à l’émission Mystères.
Vous avez sorti ces dernières semaines, Vampires : de la légende au mythe moderne, aux éditions de La Martinière. Pourquoi ce nouvel ouvrage ? Est-ce un complément à vos livres déjà existant sur le sujet ou une synthèse ?
Ayant publié un certain nombre d’ouvrages sur les vampires, j’avais l’impression d’avoir à peu près tout dit ce que j’avais à dire sur la question et j’avais envie de passer à un autre sujet, mais quand, l’an dernier, les éditions de la Martinière m’ont proposé de faire un « beau livre » sur les vampires, je n’ai pas pu résister. En effet, en dehors, de Sang pour sang qui est richement illustré, les ouvrages que j’ai publiés sont plutôt austères, et j’étais séduit par l’idée de faire un ouvrage luxueux avec de belles illustrations, le genre de livre que l’on offre à Noël. Cela me permettait aussi de faire une ultime synthèse de tout ce que j’avais pu écrire sur le sujet. Le résultat a dépassé toutes mes espérances car je trouve effectivement que c’est un très beau livre et je le dis sans aucune espèce de fausse ou vraie modestie, dans la mesure où un livre de ce genre est le résultat d’un travail d’équipe.
Le thème du vampire est particulièrement à la mode en ce moment. Quel regard portez vous sur la Bitlit, ou sur des oeuvres comme Twilight (plus Young-Adult) ? Comment expliquez-vous leur succès ? Vous qui parlez de retour cyclique du vampire en littérature, combien de temps pensez-vous que la déferlante actuelle va durer ?
Je dois vous dire, au risque de faire hurler, que je ne suis pas vraiment un fan de la bit-lit. J’ai bien aimé au début les aventures d’Anita Blake de Laurell K. Hamilton, puis j’ai trouvé à la longue que cela devenait répétitif et fastidieux, ce qui est le cas de toutes ces séries interminables. En revanche, je suis beaucoup plus réceptif à des séries télévisées comme True Blood qui me paraît très supérieure aux romans de Charlaine Harris qui l’ont inspirée. Je n’ai guère aimé Twilight qui me paraît donner du vampire une image beaucoup trop aseptisée. Je pense que le phénomène de mode qui entoure la bit-lit va perdurer quelques années puis va atteindre un point se saturation tel que l’on s’intéressera à autre chose. Déjà, au cinéma, les zombies sont en train de remplacer les vampire
s et ils ont un bel avenir devant eux.
Pensez-vous que le vampire classique, celui de Stoker, de Polidori et de Le Fanu, a encore un avenir face à la déferlante actuelle sur le sujet ?
Je pense que le vampire, tel qu’on le représentait au XIXe siècle est devenu un peu ringard et qu’il n’a guère de chance de ressusciter. En revanche, certains romans récents montrent que l’on peut concevoir des histoires de vampires qui s’écartent des canons de la bit-lit et qui sont très convaincants sans revenir à Dracula. Je pense en particulier à Laisse-moi entrer du suédois John Ajvide Lindqvist qui renouvelle avec bonheur la thématique du vampire. Il y a un avenir pour les romans de ce genre.
Quelles sont vos premières et dernières rencontres avec un vampire (littéraire et / ou cinématographiques) ?
Ma première vraie rencontre avec le vampire a été le film de Terence Fisher, Le Cauchemar de Dracula de (1958) qui m’a enthousiasmé et qui m’a donné envie de lire le roman de Stoker. J’ai beaucoup aimé aussi à l’époque Et mourir de plaisir de Vadim (1960) d’après Carmilla de Le Fanu. Parmi les films récents qui m’ont plu, je citerai en premier les deux adaptations du roman de Lindqvist, Morse de Thomas Alfredson (2009) et Laisse-moi entrer de Matt Reeves (2010) qui sont à voir absolument. J’ai aussi aimé des films très différents comme Thirst, ceci est mon sang de Park Chan-Wook (2009), Nous sommes la nuit de Denis Ganser (2010) et surtout Stake Land de John Mickle (2010). Parmi les romans de vampires que j’ai lus en 2011, j’ai particulièrement apprécié Vampires de Thierry Jonquet, roman malheureusement inachevé, Le Miroir aux vampires de Fabien Clavel, Le Mal en ma demeure de Stéphane Soutoul et Rage de dents de Marika Gallman. Ces romans écrits par des auteurs français ou francophones nous changent un peu de la bit-lit américaine.
Pour vous, comment peut-on analyser le mythe du vampire? Qu’est ce qui en fait la pérennité ?
Le mythe moderne du vampire s’est inscrit en premier lieu dans l’optique du romantisme noir au XIXe siècle. Le vampire masculin apparaissait comme l’incarnation du séducteur mortifère et son homologue féminin comme celui de la femme fatale. Lord Ruthven de Polidori et Clarimonde la « morte amoureuse » de Gautier en sont de bons exemples. Ce type de vampire était à la fois séduisant et terrifiant, et c’est ce qui faisait son attrait auprès des lecteurs. Avec Dracula, dans les dernières années du siècle, le vampire entrait dans une nouvelle dimension, celle du Mal absolu.
C’est cette image qui a prévalu au XXe siècle jusque dans les années soixante-dix, où Anne Rice a donné au mythe une nouvelle impulsion et une nouvelle signification. Dans Entretien avec un vampire, le personnage s’est laïcisé et humanisé. Louis, le héros du roman, n’est ni un séducteur cynique ni un démon, mais un être sensible et attachant. Les vampires contemporains, qui sont beaux, éternellement jeunes et dotés de pouvoirs extraordinaires sont devenus des sortes de surhommes. Ce qui fait la pérennité du mythe, par conséquent, c’est sa faculté de s’adapter à l’évolution des mentalités. Il est très ancien mais en même temps il change constamment en fonction de la mode dominante.
Avez-vous encore des projets de livres sur ce même thème ? Quelle va être votre actualité dans les semaines et les mois à venir ?
Comme je l’ai dit, sauf accident, je pense que je n’ai plus grand-chose à dire sur ce thème même si je pense que je continuerai à m’y intéresser. J’ai en tête un nouvel ouvrage sur un sujet très différent qui est l’image de l’enfance dans le fantastique, la SF, et la littérature d’horreur. J’en ai commencé la rédaction mais ce projet va être gelé pendant plusieurs semaines car je m’apprête à quitter définitivement l’agglomération grenobloise où je vis actuellement pour m’installer à Clermont-Ferrand. Cela suppose toute une réorganisation de ma vie personnelle et cela risque de prendre beaucoup de temps.