Bonjour Anne. Pouvez-vous vous présenter, et nous résumer votre carrière jusqu’aux premiers pas du projet Frissons ? Que sont exactement les Editions Sirius ?
Anne Martinetti, éditrice de littérature de genre depuis 22 ans, plusieurs années aux Editions du Masque, un détour par l’audiovisuel avec des projets menés pour Cinécinéma, du Groupe Canal + (Sable Noir, Prix Frisson…), quelques livres de cuisine en tant qu’auteur, un goût affirmé pour toutes les littératures populaires, celles que les gens lisent ! Les Editions Sirius sont une nouvelle marque du groupe Gérard de Villiers, un grand monsieur de l’édition française qui, en plus d’être depuis plus de 40 ans, l’auteur du phénomène SAS, est un éditeur ouvert à toutes les idées qu’il trouve bonnes. C’est Serge Brussolo, qui publie chez Sirius, qui m’a appelée pour rejoindre l’équipe, un véritable honneur pour moi.
Il y a quelques semaines est sorti le premier opus de la collection Frissons, aux Editions Sirius. Quel est la genèse de ce projet ?
Le phénomène Bit-Lit, coup de marketing génial des éditions Bragelonne pour maquiller de la fantasy urbaine sentimentale, ne m’a pas laissé indifférente. En tant qu’éditrice, mais aussi en tant que lectrice ! Cet ample mouvement littéraire qui ondule autour du motif vampirique s’apparente selon moi à une renaissance de la littérature de gare, inventé par Louis Hachette. Il m’a rapidement semblé que le public, souvent adolescent, avide de sensations, méritait de redécouvrir les fondations de ce mythe qu’ils explorent avec délectation. La culture classique forme bien les esprits… L’idée force est venue simplement et clairement : le vampire ne date pas d’hier, nous vous le faisons redécouvrir aujourd’hui. C’est ajouté à ce concept, la volonté d’offrir le maximum de matière à un prix minimum, celui du livre de poche. Ainsi, c’est souvent trois ou quatre textes qui sont compilés par volume. Une première éditoriale, il me semble.
Quel public visez-vous avec les titres de la collection ? Comment vous positionnez-vous vis-à-vis du succès actuel du thème du vampire (spécialement en littérature) ?
Le public visé est celui de la communauté Bit-Lit, des clans faniques des saigneurs de la nuit… Mais aussi les lycéens, qui à mon sens, sont en demande sur le registre littéraire fantastique. Ceux que les éditeurs appellent « young-adult », il s’agit bien là de notre cible. Nous nous positionnons très clairement en complément de la littérature vampirique à succès. Vous avez aimé Twilight, Anita Blake ? Nous vous proposons de revenir aux origines de cette créature qui vous fait frissonner. Nous vous proposons de découvrir l’incroyable modernité des premiers écrits relatifs aux vampires. Bref, humblement, nous vous permettons d’accéder à un supplément d’âme, damnée bien entendu.
Pourquoi viser une période aussi resserrée ? Pensez-vous que les oeuvres qui ont suivi ont moins besoin d’être mis en avant ? Ou s’avèrent moins intéressants ?
Le concept de la collection n’est pas de rééditer des textes contemporains, mais des classiques, des récits parfois oubliés, ou incomplètement publiés. Les oeuvres que nous voulons promouvoir sont celles qui ont façonné le mythe vampirique, qui lui ont permis de renaître, encore et encore. Jusqu’à figer sa forme moderne. Il n’y a donc aucun jugement de valeur, mais un choix et une volonté éditoriaux.
Le premier tome à sortir à été le Vampyre de Polidori, augmenté d’un poème de John Stagg et d’une pièce de théâtre de Charles Nodier (cette dernière étant une adaptation du roman de Polidori). Qu’est-ce qui a motivé ces choix ?
Le Vampyre de Polidori, et non le vampire, subtilité orthographique qui a échappé à nombre d’éditeurs, est fondateur. Il est considéré à juste titre comme le premier récit en prose relatant l’histoire d’un vampire. Il devait donc inaugurer la collection. S’agissant de John Stagg, nous avons réparé une injustice et un manque. Sa ballade n’avait jamais été traduite en français. C’est désormais chose faite et cette initiative fait partie des bonus de la collection. Quant à Nodier, non seulement l’intégralité de sa réinterprétation théâtrale du Vampyre de Polidori était devenue difficile à trouver (nous publions les deux tomes dans ce volume), mais il ne faut pas oublier que Nodier a certainement été l’un des plus ardents promoteurs du vampire en France. Grâces lui ont donc été rendues. Et n’oublions que la collection présente les textes dans leur ordre chronologique de publication.
Comment avez-vous sélectionné les prochains titres qui paraîtront dans la collection Frissons ? Quels sont-ils ?
Nous portons notre intérêt prioritairement vers la matière vampirique de qualité. De nombreuses productions du XIXe siècle sont aujourd’hui illisibles, voire risibles. Ceci dit, un ou deux tomes seront peut-être dévolus aux pastiches, nous verrons. Comme je vous l’expliquais précédemment, le fil rouge de la collection c’est la publication des textes dans leur ordre chronologique de publication. Nous publierons bientôt, Le Vampire de Dumas, ou les oeuvres vampiriques de Féval… Et quelques surprises…
Le travail graphique a été confié à Fabien Fernandez, pour un résultat qui flirte avec les couvertures de collections défuntes comme Gore (Fleuve Noire). Qu’est-ce qui a motivé ce choix ? L’aspect graphique est-il partie prenante du projet depuis ses premiers balbutiements ?
Fabien a accepté une tâche difficile, trouver un équilibre entre l’imagerie vampirique classique, sa photogénie moderne et le look « retro » que nous voulions imprimer à la collection. Sans oublier le côté « sexy » de nos femmes vampires ! De plus, il doit se livrer à un exercice graphique global, assurer à la fois une variété et une harmonie sur l’ensemble des titres prévus annuels (6 en 2012), tenir compte des impératifs commerciaux impitoyables d’Hachette, tout cela sans perdre sa liberté de création ! Cette tâche, il s’en acquitte avec grand talent. Il y aura toujours quelqu’un pour nous reprocher nos choix graphiques. Mais nous les assumons. Le simple fait que vous citiez la collection Gore est pour moi le signe que nous avons réussi, avec Fabien, notre pari.
Quelles sont vos premières et dernières rencontres avec un vampire (littéraire et/ou cinématographiques) ?
J’ai lu avec attention la suite de Dracula écrite par Dacre Stoker. Pourquoi bouder son plaisir ? Au cinéma, je reste bloquée sur Daybreakers, qui bien que victime de son manque de budget relance la mythologie vampirique avec maestria. Ah, ce lotissement conçu pour les vampires, ou toutes les issues se ferment le jour venant… Et puis les séri
es télé, vous les avez oubliées les séries télé ! Ultraviolet, Being human et True Blood, vous en faites quoi ?
Pour vous, comment peut-on analyser le mythe du vampire? Qu’est ce qui en fait la pérennité ?
Le mythe du vampire s’arc-boute sur la plus profonde aspiration de l’Homme, l’éternité, couplée à la peur que l’on aime avoir en littérature. Voilà ce qui, à mon avis, explique son succès et sa longévité artistique. L’éternel retour a beau se révéler une terrible malédiction, il semble que la perspective d’immortalité fasse rêver, ou cauchemarder, le plus grand nombre. Comme si une vie ne suffisait pas !