Bonjour. Pouvez-vous vous présenter pour les internautes de Vampirisme.com ?
J’ai 22 ans, et je suis actuellement en master de BD, à Saint-Luc (Bruxelles). Auparavant, j’ai fait trois ans aux Arts Décos de Strasbourg, en spécialité céramique. Dans l’entre-deux, j’étais en année de césure, en Italie, à Bologne exactement. C’est là que j’ai eu l’occasion de travailler sur Dracula.
Je dessine depuis toute petite, j’écris des histoires, des BDs. L’illustration a donc toujours été centrale pour moi. Mais quand je suis arrivée aux Arts Décos, j’ai eu envie, après une première année générale, d’opter pour une spécialité céramique. J’en avais déjà fait avant, et dans le même temps je ne voulais pas faire de l’illustration pure, je désirais tester autre chose. Ce qui ne m’a pas empêché, durant cette période, de continuer à dessiner, écrire de la bande dessinée, etc.
Le 15 octobre prochain est sorti l’album Dracula, un livre-CD (que vous illustrez) qui reprend le spectacle de l’Orchestre National du Jazz. Comment êtes-vous arrivée sur ce projet, et qu’est-ce qui vous a motivé à vous frotter à un personnage comme Dracula ?
C’est l’Orchestre National de Jazz qui m’a contacté en octobre-novembre 2020. Je venais de gagner le concours Jeunes Talents d’Angoulême, je pense que c’est comme cela qu’ils m’ont trouvé. Ils m’ont donc proposé le projet, et m’ont à cet effet envoyé plusieurs ressources autour du spectacle, une captation de celui-ci, les musiques utilisées, etc. Tout ça pour que je me rende compte de leur univers. J’ai rapidement accepté. D’une part parce que ce qu’ils avaient fait me plaisait beaucoup. D’autre part parce que le personnage de Dracula me parlait. J’avais lu le roman de Bram Stoker au lycée, ça a d’ailleurs été ma première approche du vampire. Ça m’avait marqué, et m’avait laissé une certaine envie de le dessiner. Dans le spectacle, il y avait aussi cette idée des valets animaux de Dracula : les musiciens sont déguisés en animaux, qui sont les serviteurs du vampire. Je dessine beaucoup d’animaux humanisés, ça m’a également parlé à ce niveau. La figure du vampire me semblait intéressante, susceptible d’être déclinée en de nombreuses atmosphères différentes. Un vampire peut être effrayant, sérieux, sombre. Dans le spectacle ils l’ont un peu remodelé, déjà en le faisant incarner par une actrice. Il a aussi une facette tonitruante, et il est finalement doté d’un bon fond.
Pour ce qui est du côté musical, mon frère joue du piano jazz, et mon père de l’harmonica. J’écoute du jazz depuis plusieurs années maintenant, donc ce côté-là du projet m’a également attiré. Je trouvais que c’était une association très intéressante.
Votre technique renvoie visuellement au cinéma expressionniste. Il y a également quelque chose de brumeux, voire d’onirique dans vos planches. Qu’est-ce qui vous a amené à choisir cette approche graphique ?
La technique utilisée s’appelle du monotype gravure. La gravure classique permet de créer une matrice reproductible à l’infini. Le monotype exploite une matrice qu’on ne peut imprimer qu’une fois. On enduit une plaque de plexiglas, ou autre matériau, avec une encre de gravure très grasse. On vient ensuite intervenir sur cette plaque en enlevant avec des chiffons, ou en rajoutant avec des pinceaux. C’est une sorte de cuisine de la gravure, par laquelle on peut agir un peu comme on veut. J’en avais fait à l’école, mais vraiment très peu. J’avais également pu voir quelques œuvres en monotype, leur côté charbonneux, très brut, entre la peinture et la gravure m’avait fait une forte impression. Ça pouvait être très coulant, très sec. Quand l’ONJ m’a proposé Dracula, j’ai tout de suite pensé à cette technique, qui me semblait particulièrement bien convenir à cette ambiance.
Il faut aussi savoir que le livre final est en noir et blanc, mais au début il devait être en couleur. Ça, c’est un choix qui s’est fait au fur et à mesure. Ne connaissant pas forcément bien la technique au début, je ne me suis pas lancé directement dans des monotypes en couleur, et j’ai opté pour le noir. La couleur, je l’ajoutais ensuite, sur Photoshop. Et la colorisation numérique, avec ce type de technique très manuelle, très brute, ça ne sonnait pas particulièrement bien pour toutes les images. On a donc pris la décision de laisser les images en noir et blanc, sachant qu’elles avaient été pensées ainsi ça à l’origine. Mais je voulais néanmoins que la couverture soit en couleur, et qu’il y ait des pauses à l’intérieur. D’où l’idée d’intégrer ces sortes d’intercalaires, avec les paroles. Ça aussi, c’est à mon initiative, comme tous les choix graphiques : on m’a réellement laissé carte blanche. J’ai pu choisir mon découpage, quelle scène j’allais conserver, etc. Jusqu’à la sélection du format et le grammage du papier.
Pour revenir sur l’influence du cinéma expressionniste, ce ne sont pas mes références, ou alors inconsciemment. Je sais qu’il y a beaucoup de films de cette époque – et d’autres – qui traitent de la figure de Dracula, de Nosferatu au film de Coppola. J’ai fait le choix de ne pas me gaver de références graphiques, et de laisser venir les choses de moi. On a tous des images implicites du personnage. J’ai été davantage inspiré par des graveurs ou des peintres, qui n’ont pas représenté le vampire, mais dont le style m’a marqué. Pour le monotype, par exemple, il y a ceux d’Edgar Degas, assez méconnu du grand public comparativement à ses peintures, alors qu’ils sont incroyables. C’est d’ailleurs lui qui disait que le « monotype, c’est la cuisine de la gravure ». Il y a aussi les gravures d’Emile Nolde, lui plus dans la catégorie des expressionnistes allemands. Il a notamment fait une série de gravures en noir et blanc, qui ne sont certes pas des monotypes, vu qu’il emploie une technique différente. L’une de mes autres influences, ce sont les idées qui me restaient de ma lecture de Dracula. Sans le relire, j’ai puisé dans les sensations qu’il m’avait procurées.
J’ai d’abord commencé à faire mon découpage, pour savoir quelles illustrations j’allais faire. J’ai ensuite réalisé, dans l’ordre chronologique de l’histoire, tous les monotypes. Au fur et à mesure du livre, il y a donc eu une progression de ma technique, et à la fin du livre je maîtrisais davantage le procédé. Je suis alors revenu sur les premiers visuels, pour qu’ils soient égaux aux autres. C’était formateur, pour moi, de progresser en parallèle dans le style et dans l’histoire. J’ai vraiment appris, graphiquement parlant, de ce projet.
Justement, au niveau du choix des cadrages et des éléments, qu’est-ce qui vous a orienté plutôt vers telle scène ? Il y a aussi des motifs récurrents dans vos planches, comme celui de la chauve-souris…
La chauve-souris, c’est un point intéressant dans mon approche du livre. L’idée des valets animaux, dans l’histoire du spectacle, m’a beaucoup attiré. Et pourtant, je ne les ai pas tant intégrés que ça, au final. La chauve-souris n’est aucunement présente dans le spectacle, or pour moi c’est le compagnon de Dracula, d’où sa forte représentation. Comme je dessine beaucoup d’animaux, dans mes personnages de BD et mes autres illustrations, j’ai l’habitude de passer par des sortes de phases. Pendant deux ans je n’en dessine qu’un seul, jusqu’à me l’approprier totalement, avant de m’intéresser à un autre animal. Là, avec la chauve-souris, j’avais l’image d’une créature un peu complexe. J’avais donc besoin de photos. Je suis tombé sur le site du photographe australien Merlin Tuttle (https://www.merlintuttle.org) dont c’est une des spécialités. Il en fait des portraits, souvent en macro. Il met en valeur leur diversité incroyable, avec leur nez, leurs oreilles. À partir de ses photos, j’ai essayé de les dessiner encore et encore, pour comprendre comment elles étaient faites. Et ce même si au final mes chauves-souris n’ont rien de très réaliste : l’animal m’a fasciné, je voulais absolument qu’il soit présent dans l’histoire. En les dessinant en portrait, ça me permettait de les approcher, les faire devenir presque humaines. J’ai notamment en tête cette image où l’une d’entre elles pousse Mina dans une sorte de grotte, qui serait sa chambre. Ou quand elles sont plus petites et poursuivent Mia, alors que celle-ci s’échappe pour aller retrouver sa mère.
Pour revenir à la question des cadrages, ça a été quelque chose d’instinctif. Avant de faire mes monotypes, je faisais des dessins préparatoires dans des carnets, je cherchais beaucoup. Je m’évertuais à ce qu’on soit le plus dans l’ambiance possible. J’ai tendance à faire des plans rapprochés, à être beaucoup en portrait, j’ai donc essayé de proposer des plans plus larges, de m’intégrer dans le décor.
L’idée du mouvement, j’ai fini par en avoir plus conscience, et à aller vers celui-ci. Au début, en raison de ma maîtrise plus limitée, je restais assez rigide. Mes premiers dessins étaient assez statiques. À la fin, j’ai compris que c’était un peu l’essentiel de ce travail, graphiquement parlant. C’était quelque chose auquel il fallait donner du mouvement. C’est justement une des choses qu’on peut apporter à l’image, avec cette technique du monotype.
Vos premières et dernières rencontres avec un vampire ?
Ma première rencontre avec le vampire aura donc été à travers le roman de Bram Stoker, au lycée. La dernière, c’est un livre illustré pour enfants, La Dent et Ève de Raphaëlle Barbanègre. C’est une histoire assez mignonne, avec un vampire qui a un problème de dent : il n’en a qu’une, l’autre ne pousse pas. Il fait alors appel à Eve, une dentiste. Les auteurs jouent sur l’histoire d’Adam et Eve, mais le personnage central reste un petit vampire.