Bonjour Patrick, peux-tu te présenter en deux mots pour les internautes de vampirisme.com ?
Bien sûr. Mon pseudo est Patrick Mc Spare, mon vrai nom est Patrice Lesparre. Je vis depuis pas mal d’années dans le Sud-Ouest de la France. J’ai été animateur radio, créatif en agence de pub et ai surtout travaillé durant quelques années avec la presse BD, en tant que scénariste-dessinateur. Je suis aussi chanteur, parolier et compositeur dans deux groupes, Porno Kino (street punk) et Roman Noir (power rock, moins bourrin donc:)). Depuis 2010, je suis davantage connu comme écrivain.
Pourquoi avoir changé de nom ?
Au moment où Olivier (Peru, son complice sur la série des Hauts Conteurs) et moi avons signé pour notre première saga, notre éditeur pensait que les noms à consonance anglo-saxonne sonnaient plus sexy. À tort ou à raison, je ne sais pas, mais nous avons accepté de jouer le jeu.
Tu as donc été auteur de BD avant de te tourner vers le roman… Est-ce provisoire ?
En fait je n’ai pas réellement quitté la bande dessinée, puisque je suis toujours scénariste, avec deux albums qui paraîtront en 2014 chez Soleil/Delcourt. En roman ou en BD, l’écriture restera mon activité principale, car j’ai compris depuis plusieurs années déjà que c’est là mon talent principal, bien plus que le dessin. Et j’ai découvert, dès l’écriture de mon premier roman, que je m’éclatais grave dans cet exercice. Par conséquent, si tout va bien, je continuerai à produire des romans jusqu’à la fin de mes jours.
Parlons de Comtesse Bathory. Après avoir déjà abordé le thème du vampire au travers de la série des Hauts Conteurs, pourquoi avoir choisi d’y revenir avec ce nouveau titre ? Y avait-il des choses sur le sujet que tu estimais ne pas avoir dites ?
J’avais envie d’explorer une nouvelle fois cette thématique du vampire, mais selon un mode plus réaliste. Dans les deux premiers tomes des Hauts Conteurs, nos personnages sont confrontés à une créature démoniaque qui s’apparente à un vampire classique, capable de se transformer en brume ou en chauve-souris. Je précise qu’à l’époque, nous avions tout de même pris des libertés par rapport aux conventions du genre, puisque notre méchant pouvait se transformer également en loup. Dans Comtesse Bathory, si la thématique vampirique est présente du début à la fin, il n’y a pas de créatures douées de ce genre de pouvoirs. Ceci dit, la quête obsessionnelle du sang et certains rituels sont bien présents tout au long du roman. Mais encore une fois, présentés de manière plus réaliste.
La comtesse Bathory est un des personnages historiques emblématiques du thème du vampire. Pourquoi avoir choisi de lui consacrer un roman ? La littérature et les films sur le sujet t’ont-ils influencé ?
La Comtesse Bathory est souvent associée au genre vampirique, on l’a même surnommée, entre autres, Comtesse Dracula… Je n’avais jamais rien lu ni vu sur ce personnage historique avant de travailler dessus, mis à part le film récent de Julie Delpy. Et encore, essentiellement pour m’assurer que je ne partais pas sur la même piste qu’elle. L’optique de Delpy et la mienne sont complètement différentes, ce qui ne m’empêche pas de rendre ici hommage à son film, que je trouve réussi à tous les niveaux. Elle associe la sobriété au réalisme, et c’est formidable. En ce qui me concerne, je garde cette trame historique mais j’y associe une histoire complètement fictionnelle. Mon seul rapport antérieur avec la comtesse, c’est la chanson du groupe Venom, intitulée Countess Bathory. C’est après avoir découvert ce titre que je me suis beaucoup documenté.
La Comtesse Bathory faisait un peu figure d’OVNI pour son époque. Elle s’intéressait beaucoup aux affaires politiques de son pays, voulait affranchir la Hongrie de la tutelle des Habsbourg. Une exception pour une femme de ce siècle exclusivement dominé par les hommes. En résumé, je ne me suis nourri d’aucune fiction antérieure, les éléments historiques connus ont constitué mon unique base de travail. Le reste est ma vision personnelle de son histoire.
Pourquoi avoir choisi de commencer ton récit quand l’histoire de la Comtesse bascule au moment où, presque par hasard, elle tue l’une de ses compagnes de délices charnels ?
Je ne voulais pas camper un personnage d’emblée pervers, presque caricatural. J’avais envie de comprendre le cheminement de mon personnage. Sachant que la Comtesse, au départ, est issue de la famille la plus noble de Hongrie, belle, richissime et veuve, donc libre de ses choix, on peut se demander pourquoi, à un moment, tout bascule. Lorsque j’utilise cette scène de mort accidentelle, j’attire l’attention sur le fait qu’Erzebeth n’avait aucunement l’intention de tuer. Jusqu’alors, elle faisait kidnapper des jeunes filles, certes pour leur faire subir des sévices sexuels, mais sans intention de les assassiner.
En outre, elle a été, dans la première partie de sa vie réelle, quelqu’un de pieux qui se souciait de son image publique et même du salut de son âme, en tant que croyante. Par exemple, elle est intervenue pour aider des familles nécessiteuses, cela a été établi de manière quasi certaine par des historiens. Ce n’est donc pas un personnage uniquement mauvais, c’est quelqu’un qui va se perdre petit à petit dans les ténèbres, et ce sont les raisons de ce basculement que j’explore.
Effectivement on sent bien ton souci d’explorer sa personnalité, qui évolue. Dans ses réflexions, dans ses obsessions, on sent bien que la Comtesse craint le passage du temps…
C’est un peu l’arbre qui cache la forêt, car en avançant dans le roman on se rend compte que si Erzebeth est obsédée par le fait de rester jeune, c’est surtout parce qu’elle est terrifiée à l’idée de mourir. La peur de ce trépas inéluctable devient le moteur de ses névroses. De la même manière je me suis employé à donner un point de départ à sa lente et inexorable descente aux enfers, que…
[Olivier Peru vient très peu discrètement embrasser notre auteur sur la joue, provoquant l’hilarité générale]
Ahahahahah. Comment il me fait perdre mes moyens… Je ne sais plus où j’en étais… Donc, je parlais des racines névrotiques de la Comtesse, mais j’ai bien sûr pris quelques libertés avec l’histoire… Avec les éléments que je connaissais de son enfance, j’ai élaboré une théorie plausible, mais qui demeure ma version.
Curieusement, en lisant le début du roman, j’ai eu l’impression que celui-ci débutait réellement lorsque les chasseurs de primes sont recrutés par Hoffmann pour traquer la Comtesse, alors qu’il y a quatre chapitres auparavant. Peut-on considérer cela comme un long prologue ?
Il s’agissait surtout pour moi, durant ces quatre premiers chapitres, d’installer et de caractériser au mieux le personnage d’Erzébeth, de camper son univers. C’est pour cette raison que ses ennemis n’apparaissent qu’au chapitre 5. Mais je salue ta perspicacité. Ton impression est d’autant mieux fondée qu’à l’origine, mon roman commençait par ce fameux chapitre 5. C’est dans un second temps que j’ai réalisé qu’en suivant ce schéma conducteur-là, la comtesse s’effacerait devant les chasseurs de prime, perdrait de son importance aux yeux des lecteurs. Encore une fois, je ne voulais pas en faire seulement une « méchante » opposée à des « gentils ». J’ai donc retravaillé la première partie afin qu’Erzébeth assume pleinement le rôle de vedette de son roman 🙂
Tu lui fais rencontrer d’autres légendes sanguinaires, issue d’autres lieux et d’autres temps… Enfin, virtuellement, on va dire… Mais de manière assez réussie, je trouve. Tu pensais dès le départ les intégrer à ton récit ?
En ce qui concerne Dracula, enfin, le Vlad Dracula historique, oui, c’était prévu dès le départ. Mais pour le coup, ce n’est pas la version vampirique du personnage telle que la présente Bram Stoker. Comme Vlad et Erzébeth ne sont pas contemporains, j’ai utilisé une astuce scénaristique pour les faire se rencontrer. En ce qui concerne les autres, c’est venu au fil de l’écriture.
Erzebeth, sous l’emprise de drogues, expérimente le voyage mental accompagné… D’où vient cette notion ?
C’est une opération occulte célèbre pour ceux qui y croient, tout comme le voyage astral. Le voyage astral serait l’apanage des corps psychiques inférieurs, tandis que le voyage mental accompagné serait celui des corps psychiques supérieurs. Ceux qui sont persuadés de maîtriser ces techniques utilisent souvent des drogues hallucinogènes en cours d’exercice.
Peut-on considérer Erzebeth Bathory comme une vampire, selon toi ?
Oui. Dans la mesure où elle se livre à des rituels vampiriques et cède totalement à la fascination du sang. Et au besoin vital de celui-ci, puisque, à tort ou à raison, elle va se persuader à un moment donné qu’elle mourra si elle n’a pas sa ration. Cette fascination obsessionnelle, cette addiction la classent d’office dans la grande famille ténébreuse des vampires.
La passion entre Erzebeth et Anna me semble un peu naïve, surtout concernant un personnage que l’on considère comme sanguinaire…
Erzebeth est folle amoureuse. C’est ce qui la rend naïve et l’aveugle, car elle devrait réaliser qu’Anna ne partage pas ses sentiments. Mais autant le besoin du sang est la caractéristique des vampires, autant la naïveté, l’aveuglement et le déni sont parfois la caractéristique des amoureux.
Face à Erzebeth et Anna, deux des chasseurs de prime qui doivent arrêter la Comtesse vivent aussi une romance un peu aveugle. Cette mise en miroir était-elle voulue ?
Complètement. Je voulais montrer que deux destins très différents peuvent parfois se rejoindre par le biais d’une souffrance amoureuse. L’amour, le sexe et la mort sont des données communes à tout être humain, au-delà des différents types de conduite et des convictions. Et puis, j’affectionne les personnages de losers magnifiques inaptes au bonheur (là, je parle d’un des chasseurs, même si ce handicap s’applique aussi à la comtesse).
Il y aussi des histoires sexuelles entre les personnages, mais cette fois-ci les approches sont plus… brutales.
En effet, il y a des séquences de sexe assez explicites, bien que relativement réduites –il y en a quatre en tout- ; mais elles sont caractérisées d’une manière ou d’une autre, selon qu’elles sont le fait de « gentils » ou de « méchants ». Ces derniers, le psychopathe en particulier, ont une sexualité plus bestiale. Erzebeth, dès qu’elle ne se trouve pas avec Anna et perd pied, adopte un mode d’expression sexuel violent. Il me paraît logique que des gens souffrant d’une nature tourmentée et déséquilibrée dérivent plus facilement vers des pratiques sexuelles qu’une majorité jugera déviantes et dangereuses. Enfin, c’est juste une théorie.
Tu penses en avoir fini avec Erzebeth Bathory, ou l’utiliser dans d’autres romans, revisiter son histoire… ?
J’ai déjà utilisé Erzebeth dans une ancienne bande dessinée (Dharkold) parue aux Éditions Semic, sur laquelle j’étais à la fois dessinateur et scénariste. La comtesse était alors présentée de façon très manichéenne, méchante et rien d’autre. Je ne m’interdis pas de la faire intervenir dans un futur roman, puisque les deux caractéristiques de mon travail sont un mélange quasi systématique entre le fantastique et un cadre historique d’une part, et un univers partagé de l’autre. Pour ce qui nous concerne actuellement, Comtesse Bathory a été pensé comme un one-shot, même si la fin du roman est à la fois ouverte et fermée, selon l’optique que l’on décide d’adopter…
Quelles sont tes premières et dernières rencontres avec un vampire (littéraire et / ou cinématographique) ?
D’un point de vue littéraire, c’est simplement le Dracula de Bram Stoker. Sur le plan cinématographique, ma dernière rencontre doit être le dernier Blade. Auparavant j’avais vu Entretien avec un vampire et le Dracula de Coppola. Comme tu le constates, ça fait un sacré moment que je n’ai pas fréquenté de vampires sur le plan de la création artistique 🙂
Pour toi, comment peut-on analyser le mythe du vampire? Qu’est-ce qui en fait la pérennité ?
Je crois que c’est, avant tout, la promesse de dépasser la mortalité en tant qu’humain, mais aussi la possibilité de se préserver des outrages du temps. Finalement, si le vampire ne se prend pas un pieu en bois de teck en plein cœur, il ne change pas d’apparence. Après, si on va au bout du bout de la mythologie du vampire classique, nos amis à canines pointues ne dégagent pas une odeur très agréable, c’est vrai. On parle quand même de mort-vivant, ça sent donc un peu la putréfaction dans les coins… Mais quelqu’un qui devient vampire à 25 ans gardera à jamais son aspect juvénile. Oui, je pense vraiment que c’est ça qui fait la pérennité du mythe.
Les humains ont peur, sont terrifiés par les vampires mais en même temps, inconsciemment, ils éprouvent une fascination à l’égard de cette liberté qu’un garou, pour citer une autre créature fantastique classique, ne possède pas. Ok, le garou peut courir dans la forêt, mais il est soumis à la pleine lune, il ne peut être garou quand il veut… le vampire est vampire tout le temps. Et puis il peut se transformer en brume. Quelle meilleure liberté que celle qui permet de s’évaporer à volonté ? Le dépassement de la mortalité, la liberté absolue, les habits noirs, c’est très rock’n’roll, élégant et même glamour. S’il me fallait choisir, je préférerais me réincarner en vampire plutôt qu’en n’importe quelle autre créature surnaturelle. C’est définitivement mon mythe favori.
As-tu encore des projets de livres sur ce même thème ? Quelle va être ton actualité dans les semaines et les mois à venir ?
Oui, j’ai un autre projet consacré aux vampires, même si je ne sais pas si ça prendra la forme d’un one-shot ou d’une série. Les personnages principaux seront de ma pure invention, mais comme toujours chez moi, ils se confronteront à des personnages connus. Pour l’anecdote, et c’est là qu’on va retrouver ma caractéristique de l’univers partagé, le personnage principal est déjà introduit dans le tome 1 tout frais publié des Héritiers de l’Aube, ma nouvelle saga chez Scrineo jeunesse, l’éditeur des Hauts Conteurs. Mon actualité dans les semaines et mois à venir, c’est d’assurer la promotion de Comtesse Bathory et des Héritiers de l’Aube, et d’écrire le tome 2 des Héritiers. En outre, même si Olivier [Peru] suit son propre et brillant chemin pour l’instant, nous avons prévu de retravailler ensemble plus tard. Hop, j’en profite pour préciser que, dans les Héritiers de l’Aube, j’utilise également deux personnages secondaires, deux moines morts-vivants, déjà intervenus dans les tomes 4 et 5 des Hauts Conteurs. Mis à part cela, j’ai donc deux albums de bande dessinée en cours de réalisation chez Soleil/Delcourt. Je ne peux pas trop en parler, car leur sortie étant encore éloignée, nous devons respecter la clause de confidentialité. Je peux tout de même dire que l’un de ces projets évolue dans un univers fantasy, et l’autre dans un univers mythologique. Le premier devrait sortir en avril-mai prochains, le second en octobre. Côté romans, on va dire que j’ai beaucoup de projets. Je ne sais si je pourrai tous les mener à terme, mais ça fourmille.
Patrick, merci.
Merci à toi pour ces interview et rencontre très sympathiques. Un grand bonjour aux adeptes de Vampirisme.com, en leur souhaitant de se prendre une pinte de bon sang, histoire de terminer joyeusement cette année 🙂