Paoletta, Nathan D. Interview avec le créateur d’Annalise

Bonjour Nathan. Pouvez-vous vous présenter pour les lecteurs de Vampirisme.com ?

Paoletta, Nathan D. Interview avec le créateur d'AnnaliseBonjour, et merci encore pour cette interview. Je suis un game designer, graphiste et éditeur indépendant américain. Je crée mes propres jeux et les publie sous le label npdesign, je fais du design graphique et du maquettage pour d’autres éditeurs, et je publie quelques jeux imaginés par d’autres game designer. Mon titre le plus connu est The World Wide Wrestling RPG, mais je suis attiré par beaucoup de genres et types de récits. Ce que reflète mon catalogue, il me semble.

Annalise est votre troisième jeu de rôle publié, après carry. a game about war et Timestream: A role-Playing Game. D’où vous est venue l’idée de ce jeu ?

Paoletta, Nathan D. Interview avec le créateur d'AnnaliseAnnalise s’est développé à partir d’un moment très précis. J’étais en convention, je testais un jeu en démo, et je me suis pris d’intérêt particulier pour mon personnage, que j’avais appelé Annalise. Le système s’appuyait sur une mécanique permettant d’interchanger des traits de personnalité, et cette possibilité m’excitait. Sauf que passé l’effet de découverte, le reste du jeu n’apportait rien de nouveau. Je voulais que ce choix, qui était un pivot pour le personnage, ait un plus grand impact sur l’histoire que nous racontions au travers du jeu.

À cette époque, j’expérimentais de mon côté des idées destinées à de nouveaux projets. L’incarnation de ce personnage a développé en moi des envies qui se sont alors combinées à mon intérêt pour la fiction vampirique, et le jeu en a découlé.

Était-ce intentionnel d’éviter de proposer un folklore vampirique précis ? En effet, dans Annalise, les joueurs peuvent décider d’interagir avec des créatures à l’image de Dracula aussi bien qu’avec des personnages proches de ceux de Twilight. Il n’y a rien de prédéfini.

C’était totalement intentionnel. C’est une de mes habitudes, de ne pas inclure de cadres trop détaillés dans mes jeux. C’est beaucoup de travail et je ne suis pas très bon pour ça ! Mais je voulais également que ce jeu soit de ceux où l’on démarre à zéro. Juste s’asseoir pour jouer, et à partir de là tout se met en place en fonction de ce qui intéresse les joueurs, depuis leurs personnages jusqu’à l’univers dans lequel ils évoluent. De façon thématique, c’est aussi cohérent avec l’expérience de révélation graduelle qu’on retrouve dans beaucoup de fiction horrifique.

Quel regard portez-vous sur l’évolution de la figure du vampire dans le jeu de rôle ? Je veux dire, la créature a fait ses débuts en tant qu’antagoniste dans Donjons et Dragons, avant de devenir un personnage que les joueurs ont pu incarner (dans Vampire : la Mascarade). Mais avec des jeux comme Annalise ou Knight’s Black Agent, il y a l’idée de revenir au versant humain des histoires de vampire, plutôt que de proposer d’en jouer un.

Paoletta, Nathan D. Interview avec le créateur d'AnnaliseC’est une question intéressante. Je pense qu’au fil du temps, j’ai perdu tout attrait à l’idée de jouer le « monstre ». Je veux dire, j’ai passé beaucoup de temps à jouer à Vampire : la Mascarade et ses différentes versions, et si c’est ce que vous recherchez dans vos jeux, c’est très bien. Mais au cœur de ce que représente le vampire, il y a l’idée qu’il incarne la métaphore d’une faim insatiable. Qui nous pousserait à perpétrer des actes monstrueux pour la satisfaire, qu’il s’agisse d’une faim au sens littéral, de sexualité, d’un besoin matériel, etc. À ce moment de ma vie, personnifier cette métaphore n’est plus quelque chose d’amusant pour moi. Exploiter celle-ci comme une toile de fond pour l’histoire m’intéresse davantage. Les récits d’êtres humains qui trouvent grâce à mes yeux sont ceux qui parlent de lutte intérieure, des choix et de leurs conséquences, tout ce qui est engendré par le combat contre face sombre. Je crois que j’ai bien plus d’appétence à jouer des personnes qui veulent arrêter les monstres. Mon jeu Imp of the Perverse répond totalement à ça, mais les thèmes de ce jeu prennent indubitablement racine dans Annalise.

Derrière l’idée de joueurs fabriquant le vampire au fil des scènes, je trouve qu’il y a une grosse référence à Dracula. Avec cette idée du vampire qui n’apparaît qu’au travers des yeux des autres protagonistes. Ça a été pensé de cette façon ?

Paoletta, Nathan D. Interview avec le créateur d'AnnaliseÇa a clairement été inspiré par Dracula, mais cela sert dans le même temps un objectif de design. Il s’agit de préserver un large espace pour les joueurs, pour les amener à introduire leurs idées, quel que soit le moment du jeu où l’on se situe. Alors que les arguments et les phases engendrent des frontières partagées, je voulais qu’il y ait toujours une possibilité pour apporter de nouveaux éléments liés au vampire, quelle que soit la scène jouée. M’aligner avec le concept de « personne n’incarne la créature » m’a permis de faire de cette envie une réalité. Et en plus, ça rend plus simple pour expliquer comment le jeu fonctionne à quelqu’un qui connaîtrait Dracula.

Vous avez choisi un mode de jeu plus narratif que focalisé sur un système complexe avec jets de dés. Est-ce que cela a une incidence sur votre caractérisation des vampires rencontrés dans le jeu ?

Paoletta, Nathan D. Interview avec le créateur d'AnnaliseIl y a une critique, à laquelle je souscris, c’est que les jeux comme Vampire la Mascarade, où l’on incarne des vampires, ont tendance à transformer ceux-ci en superhéros. Quand on dispose de statistiques et de métriques pour matérialiser ce qu’on peut faire et comment on peut le faire, les vampires perdent de leur mystère. Même dans Donjons et Dragons, où les vampires sont des monstres à combattre, il y a beaucoup de techniques pour les maîtres du jeu désireux de les draper dans une aura ténébreuse. Alors que tout le monde sait qu’à la fin de la journée, ils ont énormément de points de vie et de sorts, etc. Dans les histoires de vampires, ça ne marche pas comme ça ! Ils incarnent des peurs profondément ancrées en nous, et c’est une notion qu’il est difficile de matérialiser avec des dés et des statistiques. J’avais donc envie que les dés soient plus là pour donner des éléments d’inspirations aux joueurs, une sorte de guide pour construire la narration.

Quelles sont vos premières et dernières rencontres avec un vampire, en littérature, au cinéma, voire dans le jeu de rôle ?

Paoletta, Nathan D. Interview avec le créateur d'AnnaliseMa première rencontre a probablement dû se faire avec des Dracula de dessin animé, dans un Scooby Doo ou une série du genre. Pour l’un de mes premiers sujets d’exposé à l’école (j’avais 11 ou 12 ans), on nous avait demandé de nous focaliser sur un thème mythologique ou cryptozoologique. Mes camarades de classe se sont focalisés sur le Bigfoot et les extraterrestres, des trucs comme ça, et j’ai fait mon projet sur les vampires. Je me suis donc intéressé très tôt à cette créature. Ma rencontre la plus récente s’est faite avec un jeu appelé Undying, de Paul Riddle. C’est un jeu de vampire sans dés, où l’on incarne des vampires, mais sur une chronologie très longue, en se concentrant sur les aspects politiques et territoriaux de la société des vampires. Des choses dont les livres de Vampire : la Mascarade parlent mais pour lesquelles ils ne proposent pas mécanique particulière. Et c’est très bon (bon, je dois quand même avouer que j’ai travaillé sur la maquette du jeu). Je revois également Génération Perdue de façon cyclique.

Comment expliquez-vous l’immortalité du vampire en tant que figure culturelle ? Et comment appréhendez-vous son évolution ?

Hé bien, tout tient dans la métaphore. Aussi longtemps que des choses susciteront notre faim, et que nous aurons des problèmes pour gérer nos pulsions, les vampires seront un symbole de cette monstruosité tapie en nous. Je pense que l’adoption du vampire comme protagoniste à partir des années 1990 est intéressante à cet effet. Cela touche à notre envie de nous livrer à ces pulsions, ou de les contenir et de les normaliser. Je ne sais pas quelle direction cela prendra par la suite, mais je suis sûr que notre fascination pour le sang, la faim et les ténèbres en tant que partie intégrante de la condition humaine n’est pas près de disparaître.

Quelles sont les dernières nouveautés concernant Annalise ? Je crois comprendre qu’il y a désormais différentes versions du jeu ?

Dans les premières années, Annalise était une expérience de publication, en cela que je proposais différentes versions, avec des illustrations et des maquettes différentes. En théorie, c’était pour rendre le jeu accessible à des personnes ayant des modes d’apprentissage divers, et des expériences variées des jeux narratifs. En pratique, pourtant, j’ai découvert que ça créait plus de confusion qu’autre chose. La version actuelle offre des correctifs mineurs de règles, mais elle a surtout été faite pour unifier les versions passées. L’édition définitive est donc celle disponible en PDF, avec ces ajustements et un peu de réécriture, et la version In Perpetua en impression à la demande est basée sur cette version. Je suis content qu’Annalise continue de trouver de nouveaux joueurs chaque année, mais je suis également satisfait de son statut de jeu standalone, et je n’ai aucun projet de révision ni d’extension à ce jour. J’espère que, comme les vampires, il saura rester pertinent, année après année, après année, après année…

Paoletta, Nathan D. Interview avec le créateur d'Annalise

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