Bonjour Mr Somtow. Pouvez-vous vous présenter pour les visiteurs de Vampirisme.com ?
« Ah bon. Chuis écrivain thaïlandais, et … » Laissez tomber. Je n’ai jamais été très bon en français. Je suis né en Thaïlande. J’ai vécu en Angleterre, aux États-Unis, en France et en Hollande, tout cela avant l’âge de 7 ans. J’ai été envoyé à l’école en Europe et, après l’université, j’ai essayé pendant un certain temps de devenir un compositeur d’avant-garde en Thaïlande, mais tout le monde me détestait, alors j’ai émigré aux États-Unis. Là-bas, je me suis réinventé en tant que romancier. Il y a vingt ans, je suis retourné en Thaïlande et je suis devenu directeur artistique de l’Opéra (ndt : de Siam). Il est donc possible que mon entière carrière d’auteur n’ait été qu’un interlude. Ou peut-être est-ce tout le contraire. J’ai achevé l’écriture de Vampire Junction aux alentours de 1980 et j’ai attendu des années avant de le publier. C’est devenu l’un de mes livres les plus connus, l’autre étant le totalement différent Jasmine Nights (traduit chez nous sous le titre Galant de Nuit).
En 1981, vous publiez votre première histoire de vampire, The Vampire of Mallworld, dans le magazine Amazing Short Stories. Pouvez-vous nous expliquer la genèse de ce texte et pourquoi vous y avez opté pour le thème du vampire ? Cette histoire faisant partie de l’univers de Mallworld, comment la figure du vampire s’y intègre-t-elle ?
Elle ne s’y intègre pas. C’est justement toute l’ironie de cette nouvelle. Elle parle de l’impossibilité de s’adapter. Georges Scithers (ndt : célèbre éditeur américain) avait acheté tous mes textes autour de Mallworld, mais avait rejeté celui-ci. « Je ne peux pas croire en l’histoire d’un vampire qui s’appelle Fred », m’a-t-il dit. C’est donc une histoire qui a été publiée des années après que je l’aie écrite.
En 1984, Vampire Junction paraît. Vous avez été nominé pour le Best Fantasy Novel du Locus Award pour ce roman (vous aviez déjà reçu un des prix du Locus en 1982, pour Starship & Haiku). Quel était l’objet principal de ce nouveau roman ? Et pourquoi avoir attendu si longtemps pour publier les deux suites (1992 pour Valentine et 1995 pour Vanitas) ?
Il n’avait pas été prévu initialement qu’il y ait des suites. À la fin des années 70, j’avais commencé d’écrire de manière professionnelle. J’avais vu combien d’argent pouvait rapporter l’horreur, et j’aspirais à ce genre de succès. C’était une époque où tous ces films sauvagement gores, comme les Re-Animator, devenaient des classiques cultes. Du gore excessif avec un humour assez grinçant. C’est aussi à cette époque que MTV a fait son apparition. Mon but était d’écrire un roman très littéraire en utilisant une technique basée sur la manière dont les vidéos de la chaîne étaient montées, ce qui était très novateur pour l’époque – pour faire court, des pièces positionnées en mosaïques – tout en ne lésinant pas sur le gore de ces films que j’adorais regarder. Je pensais tenir un best-seller, mais personne d’autre n’a pensé la même chose. Cela a pris du temps pour vendre le livre à un éditeur. Pour être franc, il a fallu que le terrain soit préparé par d’autres gens, comme Anne Rice, avant que ma graine puisse enfin germer. Le lectorat devait être assoupli. Et à ce moment, après une trentaine de refus, quelqu’un a soudainement décidé que le livre était « bon ». Je pense qu’Ed Bryant a été le premier à le lire, et a publié son avis dans un magazine de chronique de comics. Ça a commencé à changer le cours de ma vie. C’était à un tel point que si je soumettais des idées à un éditeur et qu’il me répondait non, alors je le relançais en lui disant que je ferais une suite de Vampire Junction, et le contrat pour ma proposition initiale arrivait au courrier. J’ai résisté dix ans, et je l’ai finalement écrite, cette suite. Et j’ai encore une autre suite, totalement scénarisée, qui attend que quelqu’un me pose la question…
La partie psychanalytique est un des aspects prépondérants du roman. Timmy choisit Carla comme analyste parce qu’elle a une approche jungienne. Jusque-là, les vampires étaient davantage décrits dans une vision freudienne, les reliant avec un certain masochisme primaire. Qu’en pensez-vous ?
L’interprétation freudienne m’a toujours semblée peu subtile. Le vampirisme en tant que nécrophilie sublimée est bien plus ludique. Les vampires sont un mythe – et en tant que tel ils possèdent une énorme signification, culturellement parlant. C’est pourquoi j’ai préféré opter pour Jung. Dans un texte ultérieur, j’utilise cette fois l’approche freudienne pour aborder les loups-garous, dans Moon Dance (ndt : La danse de la lune, en VF).
Dans le premier livre, vous choisissez de faire se rencontrer Timmy et Gilles de Rais, un personnage historique parfois rattaché au mythe du vampire. Pourquoi choisir ce personnage plutôt que les habituels Vlad Tepes ou Erszebeth Bathory ? Quelles ont été vos sources concernant l’histoire de De Rais ?
J’ai découvert pour la première fois Gilles de Rais dans la pièce Saint Jeanne de George Bernard Shaw, où il n’avait pas encore développé ses inclinations. J’ai pour autant fait apparaître Vlad dans le troisième opus de la saga Timmy Valentine. Mais la nature des crimes de Barbe-Bleue et le fait que Timmy possède l’apparence d’un jeune garçon rendaient le choix de De Rais inévitable. Je n’ai pas laissé partir le personnage après cela – ma nouvelle SF «An Alien Heresy» traite des conséquences de ce qui s’est passé à Tiffauges, et met en scène un inquisiteur souffrant de SSPT (Syndrome de Stress Post-Traumatique).
En 1997, après avoir terminé la trilogie Timmy Valentine, vous avez écrit un roman Young Adult faisant intervenir un vampire : Fille de Vampire. Pour un auteur qu’on présente souvent comme le père du splatterpunk, publier un livre pour de jeunes lecteurs est un choix quelque peu surprenant. Quelle est l’histoire derrière ce roman ?
Il n’y a pas vraiment d’histoire. J’adore écrire des romans Young Adult. J’en ai écrit plusieurs, dans différents genres. Un éditeur m’a proposé de faire ce livre pour Atheneum, et étant donné qu’il s’agit d’une des maisons les plus prestigieuses pour ce qui est de la littérature jeunesse, j’ai essayé de faire de mon mieux.
Avez-vous d’autres textes (nouvelles ou romans) sur le sujet que je n’aurais pas mentionné ?
En effet, il y a plusieurs histoires intéressantes que j’ai écrites et sur lesquelles vous ne m’avez pas posé de questions, peut-être parce qu’elles ne sont pas largement diffusées en France. Il y a deux histoires sur Gomorrhe : «Brimstone and Salt», tirée de l’anthologie Dark Destinies III, dans laquelle le « pêché de Gomorrhe » n’est autre que le vampirisme, et «Lot’s daughter», où la fille de Lot, qui a survécu jusqu’aux temps modernes parce qu’elle est devenue vampire, raconte son histoire dans un groupe de parole pour victimes de l’inceste. «Beloved Disciple», dans le recueil Dark Destinies II présente le Christ comme un vampire gay. Je pensais que cela choquerait des gens, mais je n’ai jamais eu aucune plainte à ce propos. «The Ugliest Duckling», apparue pour la première fois dans une anthologie de légendes urbaines, parle d’une vampire qui travaille comme photographe de mode à Los Angeles, et sa rencontre avec un garçon atteint du SIDA qui travaille comme arnaqueur. Je crois que c’est tout, mais il y en a peut-être d’autres (ndt : en fait oui, il y a aussi «The Voice of the Hummingbird», nouvelle présente dans le tome 1 de Rongé par la Bête).
Comme je l’ai déjà mentionné, on vous rattache souvent à la mouvance splatterpunk. Quelle est votre opinion sur le sujet, et comment vous sentez-vous, ou pas, proche d’auteurs comme Robert McCammon, Ray Garton ou Poppy Z. Brite ?
Je ne connaissais pas vraiment leur travail avant que Vampire Junction ne soit publié. C’est le magazine Twilight Zone qui a fait de mon livre l’un des quatre ancêtres du genre splatterpunk. De mon point de vue, je travaillais dans une direction légèrement différente de ces auteurs.
Quand vous avez publié Vampire Junction, la figure du vampire était encore sous l’influence du roman Entretien avec un Vampire d’Anne Rice (publié en 1976). Que pensez-vous de la manière dont elle a contribué à la mutation du vampire de fiction, et comment cela a-t-il influencé votre écriture ?
Oui, c’est également relié à votre précédente question, dans un certain sens. Je ne pense pas que le premier livre d’Anne Rice m’ait influencé, et Lestat le Vampire a été publié après Vampire Junction, bien sûr. J’avais commencé d’écrire mon roman en 1979, et je l’ai envoyé en lecture depuis cette date pendant des années. Il a été refusé par presque la totalité des éditeurs de New-York, et fut enfin acheté quand trois éditeurs qui avaient essayé d’en acheter les droits pour différentes compagnies se sont retrouvés ensemble chez Ace Books : Susan Allison, Beth Meacham et Ginjer Buchanan. Si cela n’était pas arrivé, le livre aurait pu ne jamais être publié. Les livres qui m’ont le plus influencé seraient Un Peu de Ton Sang, de Théodore Sturgeon, Un vampire ordinaire de Suzy McKee Charnas et The Delicate Dependency de Michael Talbot.
Quelles sont vos premières et dernières rencontres avec un vampire (en littérature, au cinéma ou en musique) ?
Mon premier vampire, ce fut Christopher Lee. J’étais enfant. C’est ma mère qui m’emmenait toujours avec elle au cinéma. Elle avait peur d’y aller seule…
Avez-vous d’autres projets sur le sujet ? Quelle va être votre actualité prochaine ?
J’ai envie de faire un opéra basé sur Dracula, et j’ai des notes pour un quatrième opus de Vampire Junction, avec un personnage principal féminin.