Bonjour Barbara. Pouvez-vous vous présenter pour ceux qui ne vous connaitraient pas encore ?
La journée, je suis professeur de théâtre et d’ateliers d’écriture, comédienne et metteuse en scène et, à la nuit tombée, j’écris des histoires ensorcelées sous l’œil vigilant de mon chat. Je suis également la marraine d’un loup du Gévaudan, Gobi, c’est lui qui m’a inspiré la trame de mon premier roman pour la jeunesse chez Syros. Ma spécialité c’est le Fantastique en littérature, je suis Maître en Vampire et Docteur en Lycanthropie – enfin, j’ai soutenu un mémoire de Littérature Générale et Comparée sur La solitude du vampire et un doctorat sur Le loup-garou dans la littérature française et anglo-saxonne. Ma soutenance de thèse fut ponctuée par un terrible orage dont Jean Marigny, l’un des plus grands spécialistes du vampire en France, se souvient encore. Il présidait alors au jury.
Vous venez de sortir chez Rivière Blanche un recueil contenant les scripts de deux pièce de théâtre mettant en scène une petite vampire. Pouvez-vous nous expliquer la genèse de ce projet ?
L’origine de Pustules et sortilèges, ma première pièce en tant qu’auteur, remonte à 2005. Je venais de jouer, pendant six mois, le rôle de la méchante sorcière dans une suite à La sorcière du placard aux balais de Pierre Gripari lorsqu’un metteur en scène m’a demandé d’écrire une pièce, jeune public, pour la scène d’A la Folie théâtre (alors nommé Théâtre de l’Epouvantail). Je connaissais bien ce lieu, j’y donnais déjà des cours et j’y avais organisé une soirée spéciale Halloween, où, au détour de chaque pièce, une étrange animation attendait le spectateur. Le bureau actuel des directeurs d’A la Folie Théâtre servit cette nuit-là d’antre pour les diseurs de mauvaises aventures…
Pour Pustules et sortilèges, l’idée que ce théâtre puisse se transformer en Manoir habité par d’étranges créatures s’imposa vite à mon esprit. Ce manoir se devait d’appartenir à mon personnage littéraire préféré : le vampire. Afin que les spectateurs aient le sentiment d’entrer chez le Comte Belloc, le spectacle débutait dans le hall. Les petits humains étaient accueillis par un personnage drôle et fantasque, le grand Tarantulus qui leur distribuait des bonbons et des gousses d’ail et les conviait à fêter l’anniversaire de Carmilla, la fille du vampire. Tarantulus ouvrait ensuite la porte de spectacle sur une immense toile d’araignée que les spectateurs devaient franchir. Il est arrivé que certains passent à quatre pattes, en dessous, et que d’autres repoussent la toile avant d’en prendre un petit bout qu’ils glissaient précieusement dans leur poche…
Pourquoi avoir choisi le medium théâtre plutôt qu’un roman ou un ouvrage pur et dur de littérature jeunesse ?
Des romans jeunesse fantastiques, j’en avais déjà publié quatre et l’écriture théâtrale me tentait. C’est une écriture plus dynamique, aussi visuelle qu’auditive. Je me suis rendu compte aussi qu’elle me venait plus spontanément – peut-être, parce que dans les cours que je donne, j’apprends à mes élèves à construire le squelette de leurs histoires et des dialogues. C’est d’ailleurs grâce aux cours de théâtre, que j’ai moi-même suivis, et en particulier grâce à l’improvisation, que j’ai réussi à écrire des fictions sans être bloquée au bout de dix/vingt pages. Lorsque j’imagine mes pièces de théâtre : je pense aux comédiens qui vont les jouer et les mots me viennent plus vite. Je retravaille ensuite le style car une louve-garou ne peut parler comme un humain, nom d’une stryge fumante !
Qu’en est-il de la troupe qui joue actuellement la pièce à la Folie Théâtre ? Comment les avez-vous rencontré et les avez-vous convaincu de se lancer à vos côtés dans le projet ? Les comédiens qui joue en ce moment A la Folie Théâtre, je les connaissais déjà avant de monter le projet. Avec Thomas Appolaire, le comédien qui interprète la Boîte aux Lettres (in Pustules) et Tom l’humain (in Le Réveil d’une vampirette), j’avais joué dans la suite de La sorcière du placard aux balais. En fait, dès en 2005, je lui envoyais des mauvais sorts sur scène. Nous ne savions pas alors que je le transformerai en homunculus six ans plus tard. Avec Thomas, nous partageons un imaginaire complémentaire et nous sommes membres actifs de La Compagnie du Singe Rouge. C’est par son intermédiaire que j’ai rencontré les deux comédiennes qui alternent le rôle de Tante Garou : Loreleï Daize et Macha Robine.
En 2008, lorsque j’ai remanié Pustules et sortilèges , j’ai demandé à Loreleï (également metteuse en scène) de jouer ma sœur de cauchemar, Black Sulphure, qu’elle joue encore masquée en volatile jaune afin de ne pas la confondre avec Tante Garou. Macha, la reine du One Man Show, je l’ai rencontrée autour d’une lecture d’une pièce écrite par mon père, Jacques Sadoul, Les trois veuves que Thomas mettra prochainement en scène. Quant à la créature Carmilla, ou plutôt la comédienne Sophie Laveran, je l’ai eue comme élève. Dans l’atelier théâtre, elle a co-écrit des scènes, créé des costumes et chorégraphié certains passages. Sophie met aujourd’hui ses talents de gymnaste et danseuse au service de son personnage de vampirette.
Les deux pièces incluses dans le recueil chez Rivière Blanche contiennent beaucoup de jeux de scène entre le public et les acteurs. D’où vous est venue cette idée ?
J’aime que le public se sente actif et impliqué dans l’histoire, s’il le souhaite bien sûr. Ainsi, par exemple dans Pustules, lorsque les spectateurs passent au travers des fils de toile d’araignée qui barrent l’entrée de la salle de spectacle, ils rompent sans le savoir les fils de destinée de Carmilla. Pour ce méfait, les spectateurs seront pris à partie et interrogés par les marraines de Carmilla, les deux mauvaises fées.
De même, le vampire Belloc demande aux enfants spectateurs de lui dicter une liste de courses pour fêter l’anniversaire de sa fille. Il n’a jamais fait de liste de commissions de toute sa prodigieuse existence ! En lui répondant, le public a le sentiment d’avoir aidé le personnage fantastique : ce que j’apprécie le plus lorsque l’on joue devant une salle pleine d’enfants, c’est qu’ils réagissent aussitôt, on les sent entrer dans l’histoire, se l’approprier. La semaine dernière, des enfants d’un centre de loisirs ont soufflé à Carmilla ce qu’elle pouvait écrire dans sa lettre à Tom l’humain : les enfants ont conseillé à la vampirette de lui révéler sa véritable identité, de dire la vérité à son meilleur ami.
Vous avez participé à au moins deux anthologies de nouvelles sur le thème des vampires. Comment choisissez-vous les textes qui y figurent (entre les classiques reconnus et les perles méconnues) ?
A la veille du centenaire du roman de Bram Stoker, j’ai proposé aux éditions Librio ma première anthologie vampirique
, Les cent de Dracula. Mon choix de nouvelles était facile : je voulais des textes parus avant Dracula, révélant la figure du vampire avant 1897 (comme « La fiancée de Corinthe » de Goethe ou « La morte amoureuse » de Théophile Gautier). Le début du roman de Stoker leur faisait suite, ce qui était possible puisqu’à l’origine « L’invité de Dracula » était paru séparément. Le roman Dracula avait été jugé trop long par son éditeur qui avait supprimé cette partie. La veuve de Bram Stoker fit paraître « L’invité de Dracula » dans un recueil du même nom. Il fallait ensuite donner la parole aux écrivains qui relevèrent le défit de ne pas laisser tarir la veine vampirique, tels Jean Ray et H.P. Lovecraft.
Ma seconde anthologie chez Librio, La solitude du vampire renvoie au thème qui me passionne toujours autant depuis mes études à la fac – thème qui me permettait de plonger plus avant le lecteur dans les univers des écrivains qui marquèrent le XXème tels Richard Matheson, Tanith Lee, Ray Bradbury… Christopher Lee se serait inspiré du récit de Henry Kuttner, « Dans ma solitude » pour son interprétation cinématographique qui scella l’image du vampire dans l’imaginaire collectif.
La solitude du vampire aurait dû être suivie par deux autres anthologies : Le baiser du vampire et Le vampire, la mort et le temps mais les choix éditoriaux de Librio ont préféré laisser ces deux recueil en sommeil. Toutefois, j’ai glissé au détour des pages des volumes de La Dimension fantastique quelques vampires afin de susciter la curiosité des lecteurs qui se seraient lancés dans une chasse aux monstres littéraires.
Quelles sont vos premières et dernières rencontres avec un vampire (littéraire et / ou cinématographiques) ?
La rencontre avec le Dracula de Bela Lugosi fut déterminante, puisque pendant mes études à la fac (en cinéma), un professeur nous montra La marque du vampire et émerveillée par la scène dans l’escalier du Manoir, à peine rentrée chez moi, j’ai lu le roman de Stoker. Fascinée par cet enchevêtrement de journaux intimes où le vampire est omniprésent, sans pour autant avoir la parole, j’ai annoncé que je ne poursuivrais mes études que si un professeur me faisait étudier les vampires. Mon mémoire me fit découvrir Richard Matheson, Anne Rice, Withley Strieber, Fred Saberhagen, Suzy Mckee Charnas qui firent du vampire un personnage déchiré par des conflits intérieurs et parfois capable de les surmonter pour devenir un surhomme, thème que j’apprécie particulièrement aujourd’hui dans les séries : True Blood, Moonlight.
Avant mes études à la fac, le vampire littéraire avait toujours été tout près de moi puisqu’enfant et adolescente, là où je préférai dormir c’était dans la bibliothèque de mon père au milieu des romans de S.F, des B.D, des robots et des pulps aux couvertures magnifiques, Weird Tales devint ma lecture quotidienne.
Pour vous, comment peut-on analyser le mythe du vampire? Qu’est ce qui en fait la pérennité ?
Le vampire littéraire, cinématographique et graphique détient une indéniable capacité à se régénérer et à se renouveler à chaque génération. Au XIXème siècle, le vampire représentait l’Autre, l’envahisseur dont on parle à la troisième personne, l’être pervers qui souille les âmes et se permet des amours extra-conjugaux dans une société victorienne ultra stricte. Au XXème siècle, une partie de la littérature et du cinéma refoule ce vampire individualiste et décide de restaurer l’âme perdue du « monstre ». Ce personnage fantastique est prêt à se forger une nouvelle identité. Le changement le plus significatif, on le doit à la romancière, Anne Rice. En offrant la parole au « monstre », elle lui a permis de devenir plus proche de nous.
Symbole de la jeunesse éternelle, le vampire d’âge mûr rajeunit depuis les années 1990 : après le succès de la série télé Buffy contre les vampires, l’image du vampire adolescent s’affirme. Ce personnage peut désormais partager nos bancs de classe (Twilight) au risque de perdre son statut de super prédateur et de se laisser submerger par ses sentiments. Au XXIe siècle, dans notre société où l’on passe son temps à différencier enfants, adultes et adolescents – où l’on publie des manuels pour apprendre à vivre avec nos ados, désignés comme des êtres à part, en marge et rebelle qui mieux que le personnage du vampire aurait pu faire écho à ses préoccupations.
Avez-vous encore des projets de livres sur ce même thème ? Quelle va être votre actualité dans les semaines et les mois à venir ?
J’ai toujours rêvé de remettre Dracula sur une scène de théâtre, pour les adultes cette fois. J’ai la trame et cette idée me travaille depuis des années…. Le temps me manque pour l’instant. Dans les mois à venir, nous allons continuer de jouer Le Réveil d’une vampirette jusque fin décembre A la Folie Théâtre, puis nous nous déplacerons dans les écoles et les médiathèques. Je souhaite aller à la rencontre du public. Ensuite je rentrerai dans la période de préparation des spectacles de tous mes élèves. L’année dernière nous avions glissé quelques vampires dans les pièces de Molière, je l‘avoue.