Nitchevo Factory, la nouvelle structure que vous avez créée, n’a a l’heure actuelle publié que des textes de votre main, rééditions de vos anciens recueils et romans comme nouveaux textes. L’ouverture à d’autres auteurs est-elle prévue, voire à des textes vampiriques ?
Eh… non. (Je dis beaucoup « non », aujourd’hui ! 😀 )
Donc : non, je n’ai pas créé Nitchevo, et ne la dirige pas non plus. Le fonctionnement du studio est démocratique.
Nitchevo est une coopérative, qui rassemble une petite dizaine d’artistes et d’artisans, tous sur un pied d’égalité. Dans cette jolie bande, je suis le seul écrivain, et c’est pourquoi je prends beaucoup de place au catalogue éditorial. Nitch n’est pas principalement une maison d’édition, loin de là. C’est là juste un pan, parmi beaucoup d’autres, de nos activités. Certaines de ces activités, notamment le pôle Agency (agence littéraire / artistique / agence de presse) sont moins visibles, car nous ne communiquons pas à chaque fois que nous négocions un contrat pour l’un de nos photographes, par exemple. Il se trouve que c’est l’antenne dans laquelle je travaille, dans notre drôle de structure, et c’est aussi pourquoi j’ai été souvent la porte-parole de l’équipe face à ReLIRE. Notre principale mission est la défense du droit des auteurs, et d’être un labo créatif. C’est ainsi que, dès 2007-8, le Nitchevo Studio avait travaillé le design et packaging de certains de mes titres pour d’autres éditeurs.
Ceci dit, si je suis le seul écrivain du groupe depuis le décès de Tanith (que nous comptions bien évidemment continuer à publier), il y a dans l’équipe nombre d’illustrateurs et photographes. Et donc, au minimum, la publication de plusieurs art-books est prévue, dans la branche Factory.
Toutefois, je ne crois pas que l’on puisse ici parler « d’ouverture », dans la mesure où nous n’acceptons pas de soumission de manuscrits, ou de candidatures. Les artistes représentés par Nitchevo (agence) et/ou publiés par la Factory le sont toujours sur invitation.
Nous avons servi l’œuvre des autres durant de longues années, via L’Oxymore, et je crois que nous en avons terminé de cet aspect, qui nous a tenus longtemps loin de nos propres créations. Nitchevo est un concept totalement différent : un laboratoire de projets, impliquant des personnes qui s’apprécient et travaillent facilement ensemble, dans la joie et l’énergie, et rassemblés autour de valeurs communes. Liberté totale aux artistes, pas d’obligations, pas de limites et zéro concessions. Nous sommes là pour nous faire plaisir, et dépasser le concept d’édition classique, à la fois éthiquement et techniquement. Cela se marie mal avec un fonctionnement de maison d’édition traditionnelle ; ce que Nitchevo n’est pas, de toute façon.
Quelles sont vos premières et dernières rencontres avec un vampire (littéraire et/ou cinématographique) ?
La première… les Dracula de la Hammer, lorsque j’avais environ huit ans. Mes parents me laissaient veiller tard, lorsque ces films passaient vers minuit, à la télévision.
La dernière… toutes les semaines, jusqu’à récemment, à chaque nouvel épisode de Penny Dreadful, dont j’étais totalement fondue ! En attendant la prochaine saison de The Strain, que je suis fidèlement aussi.
Dans mes dernières lectures vampiriques, rien qui mérite d’être mentionné. Je n’ai terminé aucunes de ces productions, pour tout dire. Je ne suis pas du tout cliente des romances (à présent presque industrielles) façon Twilight.
Pour vous, comment peut-on analyser le mythe du vampire? Qu’est ce qui en fait la pérennité ?
J’ai écrit des dizaines d’articles sur ce sujet, et dirigé quelques collectifs et anthologies, en sus… Il fallait toutes ces pages pour commencer à effleurer le sujet. La réponse est complexe, et demanderait elle aussi un très long article, ou plus probablement un plein volume. Je ne ferai pas l’offense à nos chers prédateurs de les résumer en quelques lignes !
La raison de cette pérennité ? En un mot comme en cent, je dirais : la séduction. Étrange ballet, le plaisir et la mort. Inlassablement fascinant. Et la tentation pernicieuse de l’éternité, de cette vie sans terme, tout à la fois désir premier et malédiction, qui se perpétue en abrégeant, toujours, l’existence d’un autre. Si les hommes ont toujours voulu fuir la mort, nous nous doutons que ce genre de tricherie avec le lot commun ne va pas sans prix à payer. Cela pourrait presque être une métaphore sociale, d’ailleurs : sur une terre en patente surpopulation, pour bénéficier d’une espérance de vie rallongée à l’infini, il faut obligatoirement prendre cette place à d’autres, rompant avec la succession naturelle des générations. Le vampire nous permet de déplier les angles de ce puzzle, oscillant entre la fascination et la répulsion que l’idée d’immortalité inspire. Et, de même ou tout autant, notre nature de prédateurs, toujours en lutte avec nos aspirations à dépasser cet état, via la religion, la philosophie, l’humanisme. Comment pourrions-nous cesser de tourner autour d’un tel paradoxe ?
Mais c’est là beaucoup dire, et ne rien dire à la fois. La figure du vampire est une poupée gigogne, riche de centaines d’aspects et strates. Disons alors : si ce mythe était facilement analysable, il ne nous tiendrait pas dans ses griffes depuis aussi longtemps. Et s’il perdure, c’est peut-être tout simplement qu’il le mérite, non ? La question qu’il pose se répète en boucle parce que nous n’avons toujours pas trouvé la réponse. Nous ne résoudrons sans doute jamais cette énigme. Tant mieux ! Encore une fois, le voyage est plus intéressant que la destination.
Avez-vous encore des projets sur ce même thème ? Quelle va être votre actualité dans les semaines et les mois à venir ?
J’ai sur mes petites tablettes, justement, la compilation de « l’intégrale » de mes articles sur le sujet, qui restaient jusque-là disséminés dans pléthore de revues, magazines et volumes collectifs. Cet opus devrait inaugurer un petit ensemble d’intégrales thématiques de mes non-fictions sur divers sujets : vampires, folklore féerique, littérature d’imaginaire et… Tanith Lee (c’était prévu, et même si cela me semble difficile à envisager à l’instant présent, je suppose qu’il le faudra). Et au rayon fictions, les vampires sont donc entrés cette année dans la Trame.
Pour ce qui est des projets, de façon plus générale… eh bien, je viens de sortir trois nouveaux inédits en quatre mois. Ce fut passablement éreintant !
Nous sommes au travail, Dorian Machecourt et moi, sur les versions « deluxe » de ces nouveaux-nés : les deux opus de Sacra et le roman de réalisme magique Sous le Lierre. Ils sortiront, tout comme les Contes de la Tisseuse, suivis de Voix de Fées (2015), en versions reliées, illustrées de pleine pages en couleurs, et augmentées de textes inédits.
Je me préoccuperai ensuite de certaines rééditions qui doivent être effectuées, notamment Musiques de la Frontière en priorité (dans la mesure où le volume II du Dit de Frontier, le roman Possession Point, est paru l’automne dernier) ; et la version réécrite / augmentée de La Glace et la Nuit : Nigredo.
Le prochain inédit sera le recueil 340 mps. Qui s’inscrit comme Fo/véa dans la séquence Error_Type. Nous changerons totalement d’ambiance : point de rupture, addiction, obsession, une bonne dose de violence, de mes chères sub-cultures, de criminels impunis et de magnifiques désaxés, sur fond lancinant de musique indie et indus.
Bref : nous avions dégainé le Chanel, les flingues gravés et les vestes de treillis dans Possession Point ; puis le drap d’or, les kimonos, les brandings initiatiques et les parfums enivrants dans Sacra ; et nous rendosserons le noir intégral, les lunettes de soleil sous les néons et l’acier chirurgical dans 340 mps. Et tous ceux qui attendent depuis des années de voir ce que j’ai bien pu ficeler autour de The Fragile de Nine Inch Nails (le fameux projet Like Glass ) auront leur réponse là-dedans.
On en revient toujours à cela, si surprenant que cela soit, visiblement, pour tant de lecteurs : la littérature est essentielle, mais rien ne vaut la musique. Si un vampire devait, un jour, m’embrasser dans le cou, je souhaiterais que ses dents soient deux superbes diamants issus d’une platine à scratcher les vinyles. Je me contenterais alors de lui souffler, définitivement ravie : play it again (& again, & again, & again), Sam !