À l’époque de sa sortie, les nouveautés offertes parle jeu de rôle Vampire : La Mascarade sont nombreuses. Pour la première fois, on propose aux joueurs d’incarner des vampires, et plus uniquement de devoir affronter ces derniers. D’autant que le contexte n’est plus celui de la fantasy ou de la dark-fantasy : les créateurs du jeu ont en effet choisi le monde contemporain pour leur jeu. Le contexte développe sa propre mythologie tout en puisant dans une histoire riche et déconnectée des genèses vampiriques existantes à l’époque (1991). L’édition XXe anniversaire, qui sert de support à cette chronique, synthétise donc 20 ans d’évolution d’un jeu qui aura eu un impact tentaculaire, aussi bien dans le monde du jeu de rôle que dans celui de la littérature, du jeu vidéo, etc.
À la lecture des règles, le néophyte de l’univers découvrira rapidement que la société des vampires qui y est décrite n’a plus grand-chose à voir avec celle du Dracula de Stoker. Mark Rein-Hagen et les autres auteurs se basent en effet davantage sur l’ambiance des romans d’Anne Rice que sur ce qui a pu les précéder. On ressent également l’influence d’oeuvres comme Near Dark ou encore Génération Perdue. Ce qui est au coeur du jeu, on l’aura compris, c’est bien l’incarnation de buveurs de sang partagés entre les reliquats de leur humanité et leur part surnaturelle, matérialisée par La Bête, cette entité surnaturelle qui vit en eux et qu’ils doivent contrôler, s’ils ne veulent pas perdre toute maîtrise d’eux-mêmes (leur Humanité).
Tous les vampires sont des descendants de Caïn, dont les infants de 3e génération ont eux-même donné naissance aux les familles de vampires qui se partagent le monde. Si initialement on en dénombrait 7, l’édition XXe anniversaire en décrit bien 13 (Brujahs, Gangrels, Malkaviens, Nosferatus, Toréadors, Tremeres, Ventrues, Lasombras, Tzimisces, Assamites, Giovannis, Ravnos, Sethites) qui ont vu le jour au fil des précédentes éditions. Certains remontent bien aux premières générations de vampires, d’autres ont une histoire plus récente, associée aussi bien à la magie qu’à l’extermination d’autres clans ou antédiluvien. Chacun possède sa philosophie, son historique et a un point de vue particulier sur les autres. Chaque clan (ou presque) est enfin associé à l’une des sectes qui sous-tendent le point de vue de la société vampirique sur l’humanité : La Camarilla, pour ceux qui voient en l’humain un danger, où le Sabbat, pour ceux qui pensent que les caïnites (comme se nomment eux-mêmes les vampires) doivent s’imposer sur les mortels, en attendant la Géhenne (l’apocalypse annoncée). Les différents clans permettent à leurs membres de développer des pouvoirs, ou Disciplines, pour lesquels ils doivent puiser dans leurs réserves de sang, nommées Vitae. Car si les vampires ont une histoire et une structure très différente de celle des romans de Stoker ou de Le Fanu, ils n’en partageant pas moins les problèmes inhérents à la condition de non-mort : l’impossibilité de se déplacer à la lumière du jour et le besoin de se sustenter régulièrement avec du sang. Chaque vampire est en outre partagé entre sa Nature et son Attitude, entre ce qu’il est réellement et la manière dont les autres le perçoivent. De quoi ajouter aux luttes de pouvoirs entre les clans, tout en matérialisant la dualité interne de chaque protagoniste (via son rapport à La Bête). Les joueurs (souvent de clans différents), regroupés en coterie, vont devoir mener des objectifs communs et.ou différents.
À la différence de sa version standard, l’édition XXe anniversaire de Vampire choisit volontairement d’exclure tout ce qui a trait à la présentation de ce qu’est le jeu de rôle. Les créateurs ont en effet jugé que les acquéreurs de cette édition seraient majoritairement des aficionados du loisir (voir de la gamme originelle), préférant s’affranchir du blabla inutile pour augmenter significativement le volume de pages (le livre est deux fois plus épais que la précédente édition française) en le consacrant à du background ou à des précisions et corrections de points de règles. Le livre de cette édition se découpe en trois chapitres : L’Énigme (qui détaille l’univers, les clans, etc.), La Création (consacré à la méthodologie de création des personnages), et Les Permutations, qui détaille le système de règle tout en intégrant également des éléments d’approfondissement (comme Les Lignées). L’édition XXe anniversaire reprend ainsi le découpage de la 3e édition, qui intégrait davantage de contexte que les précédentes (notamment le détail des clans), tout en évitant a priori certains écueils de cette dernière (La Camarilla et le Sabbat sont présentés de manière plus objective). Les apports de cette nouvelle édition sont par ailleurs assez nombreux. Plusieurs points de règles ont été amendés ou modifiés, les auteurs puisant là aussi dans les suppléments de la 3e édition pour homogénéiser le tout. À noter, également, 40 pages de compléments qui clôturent la partie Les Permutations.
Vampire se pose comme un jeu à part, et ce dès sa sortie en 1991. Si les règles s’articulent sur un système de caractéristiques, dont l’utilisation nécessite des jets de dés (en faisant coïncider leurs attributs et les capacités et avantages que leur confère leurs connaissances), elles insistent néanmoins sur l’importance accordée au roleplay. Certaines scènes peuvent en effet être résolues uniquement par la manière dont le joueur interprète son personnage, sans jet de dé nécessaire. À l’époque où les jeux simulationnistes régnaient encore en maître, et où le jet de dés est la sanction (positive ou négative) ultime à l’action des joueurs, l’innovation était de taille.
Les richesses du jeu, notamment le côté très diplomatique des relations promises entre les personnages sont nombreuses. D’autant que la gamme s’est enrichie au fil des années de pléthore de suppléments (explorant les plus grandes villes du globe, proposant des chroniques – des scénarios – ancrées dans une époque passée et trouvant leur résolution de nos jours), et dont l’impact sort nettement du seul cadre du jeu de rôle. Vampire est une licence à part entière, qui a donné lieu à des romans, des recueils de nouvelles, des jeux vidéos (2), des CD d’ambiance, une série TV, des règles pour du jeu Grandeur Nature (GN), transformant le simple jeu en une pierre marquante dans l’édifice de construction de la figure du vampire. L’évolution du vampire en tant que créature citadine est clairement influencée par VtM (l’acronyme le plus utilisé pour le désigner), et ce jusque dans les dernières séries d’urban fantasy, qui mettent en scène des sociétés vampiriques structurées qui veillent à rester dans l’ombre.
Pour les joueurs comme pour les amateurs de littérature de l’imaginaire, Vampire : La Mascarade est un incontournable, auquel rend pleinement hommage cette édition anniversaire, aussi richement illustrées (mais avec davantage de couleur) que les précédentes. Un bémol néanmoins : l’absence (systématique depuis les débuts de la gamme) de scénario d’introduction dans le livre de base. Mais la gamme est vaste, qu’on puise dans les suppléments des éditions précédentes ou dans ceux qui ont été refondus à la suite de cet imposant livre de règles.