Ce qui me vient à l’esprit en premier, pour parler de ce bouquin, c’est de vous dire : si vous avez apprécié le film, lisez le livre. J’ai d’abord cru que ce serait un problème – je veux dire, de se détacher du film de Tomas Alfredson – parce que c’était vraiment un bon film (tout court) et un film de vampires totalement inédit… en bref, il m’a vraiment marquée et j’avais cette hantise de me retrouver à chercher la magie du film dans le livre et d’être très frustrée. J’attendais beaucoup du livre.
J’ai adoré le livre.
Peut-être qu’il y a une telle cohérence entre les deux supports parce que c’est à Lindqvist à qui on a confié le scénario, d’après ce que je lis sur la Wikipédia. Sans doute aussi parce qu’ils se complètent : alors que le film laisse en suspens quelques questions (comme celle du sexe mutilé d’Eli, vaguement entr’aperçu ou comme les détails de la relation d’Eli avec son compagnon plus âgé), le livre y apporte les réponses que le film n’a pu développer, pour des questions qui sont propres à son format et au point de vue adopté (celui d’Oskar).
C’est d’ailleurs un point que j’ai apprécié dans ce livre : le narrateur n’est pas simplement omniscient ; il offre plutôt un prisme des points de vue des personnages, dessinant la grille d’une réalité pourtant commune… avec quelque chose de pourri à l’intérieur.
Pour certains personnages, la pourriture est incarnée par Eli, qui se répand pourtant en toute innocence, pour d’autres, il s’agit de l’alcool (pour plusieurs personnages), d’une subversion (qui viendra physiquement se cristalliser sur la face du compagnon d’Eli, dont le visage est rongé par l’acide), la pisse de chat, la saleté ou les gosses prostitués, la violence entre gamins et la solitude. A vrai dire, c’est la cité elle-même, Blackeberg, qui semble rongée par le mal. Sans passé, la ville est construite à partir de rien, pour y loger une population déportée, sans horizon, pour y loger Eli, le vampire.
Il y a ce jeu entre les oppositions, le neuf et le pourri, le beau et le dangereux, l’innocence et la monstruosité, le féminin et le masculin, l’être et le non-être. Les camarades de classe d’Oskar incarnent l’innocence parce qu’ils sont jeunes, mais ils sont monstrueux… sans être vraiment coupables, car une fois confrontés à leur propre monstruosité (quand la bande du grand frère vient aider, voir la scène de la piscine), tout ne paraît plus si net. C’est bien entendu Eli qui incarne le plus d’oppositions, d’abord par essence, parce que le vampire est un non-mort, mais un non-vivant, ni l’un, ni l’autre. C’est Eli lui-même qui l’énonce de façon éloquente, quand Oskar lui dit qu’il est un vampire : « Je… me nourris de sang. Mais je ne suis pas… ça. » Il est quoi, au juste ? Même pas une fille, pas exactement… pas un enfant, pas un adulte. Eli est un vide entre deux bords à aggripper, deux planches à savon. Il adore pourtant les puzzle, coïncidence ? Eli et Oskar sont deux bords qui réussissent à combler un vide en se joignant, c’est en cela que Laisse-moi entrer est une histoire d’amour, un amour qui permet aux protagonistes d’exister, simplement ça. Le vampire n’est pas, c’est une exception, lié au sexe.
Et pourtant, il est intéressant de relever que le petit problème à propos du sexe d’Eli (n’en dévoilons pas trop) n’est pas inédit en littérature vampirique et les souvenirs lointains de méchants nobles qui torturent les enfants non plus. Cela m’a passablement troublée… il est très possible, à mon avis, que Lindqvist ait lu SP Somtow. Mais restons-en là, car l’exploitation de ces détails se fait de manière très différente selon les deux auteurs et si Lindqvist s’est inspiré de, le résultat obtenu ne me semble pas moins supérieur et surtout très différent.
Pour en terminer avec mes impressions sur le livre, j’ajoute que la touche gore, à laquelle il faut vous attendre, n’a pas été pour me déplaire et l’aspect fantastique m’a paru venir plus de cette facette que de la nature vampirique d’Eli, tellement cette incursion de pourriture sur pattes est incongrue dans la morne et glauque réalité artificielle de la cité.
Quant aux particularités des vampires, ils sont à l’évidence immortels. Ils entrent périodiquement en hibernation et sont très faibles quand ce repos prend fin, à tel point qu’Eli est incapable de se nourrir seul. L’Etat vampirique se transmet par simple morsure et le vampire doit liquider sa proie s’il ne veut pas voir le monde envahi par son engeance. Ce qui est transmis est un ver qui se loge dans le coeur de la victime. Si l’humain porteur du ver meurt autrement que par le pieu, la lumière ou le feu, le ver survit et prend le contrôle du corps, capable de survivre à des traitements extrêmes. Cette idée du ver fait penser à certaines traditions relatives aux revenants en corps d’Europe de l’Est où c’est parfois une mouche qui vient se loger dans le corps du non-mort.
C’est en bref un roman que je conseille sans restriction, aucune, à tous les amateurs de culture avec des dents et aussi aux autres.
Joli mois de Mars, entre le livre et le Blu-Ray français. Merci pour cette critique !
merci pour ta critique ! elle est très complète et me donne envie de lire le roman ! le film est quant à lui exceptionnel, rare d’avoir et de voir une telle beauté dans tout les sens du terme…
N’ayant pas encore lu le roman, je me doute que celui-ci est plus violent voir gore que le film ! j’espère qu’il garde intacte cette relation si particulière entre Eli et Oscar qu’on ressent dans le film !!!
Laisse-moi entrer est un excellent roman. La sortie du roman en français correspond à peu près avec la sortie en DVD de Morse , adapté du roman.
Une vision froide, loin des clichés Glam et édulcoré fréquents c’est derniers temps.
Je ne citerai rien…
Laisse-moi entrer de John Adjvide Lindqvist, éditions Milady (poche)
J’ai lu Laisse-moi entrer après avoir vu Morse, le premier film tiré du livre. Si le film m’avait touché, le livre va encore plus loin.
C’est l’histoire d’Oskar, tout jeune adolescent suédois, martyrisé constamment par ses « camarades » de classe et qui joue, tous les soirs, à mimer leur assassinat. A la nuit tombée, Eli, sa nouvelle voisine, le rejoint. Elle est différente et semble accepter Oskar pour ce qu’il est. Bientôt le garçon lui apprend le code Morse afin de communiquer lorsqu’ils sont chacun dans leurs chambres (d’où le titre du premier film), et s’aperçoit qu’Eli ne vit pas comme tous les enfants. Qu’elle n’est même pas un enfant.
Le vampirisme n’est mentionné que très tard, presque à la moitié du roman, mais pour les férus du genre (qui n’auraient été spoilés nulle part) on se rend compte très vite de quoi il retourne, malgré l’apposition « Thriller » sur la couverture de l’édition poche. Les origines d’Eli sont intéressantes d’un point de vue vampirique car le doute persiste longtemps sur son sexe. Si Oskar l’appelle « Elle » constamment, elle lui dit très vite qu’elle n’est pas vraiment une fille, le reste sera révélé par une série de flashbacks très bien menés qui aboutira sur le récit de la transformation d’Eli. Sa monstruosité découle directement de la monstruosité des hommes en général, c’est une victime, un hybride, un être fondamentalement seul plus qu’un énième vampire.
Le thème sous-jacent de l’inhumanité en chacun est aussi traité d’une manière assez neuve. Eli n’a pu s’approcher d’Oskar seulement parce qu’elle se reconnait en lui. Que lui aussi tuerait des gens s’il le pouvait. Qu’ils sont aussi seuls l’un que l’autre, malgré leurs natures différentes. Eli affirme même qu’elle est un être humain comme les autres, juste très malade.
La force du roman repose aussi sur ses seconds rôles, très affectés par la relation entre Oskar et Eli, le protecteur d’Eli, par exemple, pédophile à la dérive qui n’a plus vraiment sa place une fois qu’Eli « laisse entrer » Oskar dans sa vie. Les hommes et les femmes paumés de cette ville Suédois qui parait hors du temps, où tout semble figé, et qu’une vague de crimes vient secouer. Des scènes sont parfois insoutenables dans leur violence, leur cruauté, mais jamais gratuites : elles permettent toutes de mieux cerner un personnage en le montrant dans une scène déterminante pour la suite du récit.
Si l’on sent que l’auteur est très inspiré et a sûrement forgé sa propre culture vampirique, le résultat est purement inédit, autant pour le cadre (c’est vrai que la Suède où il fait nuit tout le temps, c’est bien pratique), que pour les personnages, et enfin – et surtout – pour son style incomparable et juste.
J’ai vu ce film il y a quelques semaines et il m’a scotché, et après des critiques aussi élogieuses je file acheter le roman. Car malheureusement je suis comme Eli ou Elias ni l’une ni l’autre et la vie est parfois compliquée.
Une question me trotte dans la tête …. Est-il intéressant de lire le livre si nous avons déjà vu le film ? Y a t-il des passages non mentionnés ou autre chose de nouveau par rapport au film ?
@Moka : je crois qu’en lisant la chronique, tu aurais totalement la réponse à ta question. Senhal, qui a vu les deux films et le livre détaille longuement ce qu’elle a trouvé en plus dans le roman original, par rapport aux deux versions cinéma.