Lord Byron, Percy Shelley, Mary Godwin (future Shelley) et Claire Clairmont, qui s’est éprise du sulfureux écrivain anglais. Byron est en outre accompagné par John Polidori, son médecin et souffre-douleur, qui se trouve rapidement pris en grippe par le reste du groupe. Polidori, jaloux des succès de son maître, découvre dans sa chambre une lettre, adressée par une femme qui se présente comme la triplée cachée et monstrueuse de deux comédiennes qu’a déjà croisées le médecin. Peu à peu, la correspondance qu’elle va lui adresser va révéler au futur auteur du Vampyre la teneur de sa monstruosité, tout en débouchant bientôt sur une proposition aux allures de pacte faustien.
J’avais été initialement attiré par la couverture du roman, qui représente le château de Chillon. Ayant avisé les termes Villa Diodati, Lord Byron et John Polidori sur la quatrième de couverture, je n’ai pas attendu bien longtemps pour mettre cette réédition au format poche (le roman est paru en grand format chez Métailié) dans mon escarcelle. Bien m’en a pris, car même s’il est relativement court (à peine 140 pages), ce roman de Federico Andahazi convoque l’une des scènes les plus importantes dans l’avènement du fantastique et de la SF moderne : la naissance du vampire de fiction, avec Le Vampyre de Polidori, et celle de Frankenstein, avec le roman éponyme de Shelley. Sous la plume d’un auteur argentin, qui plus est (ce que je ne découvris qu’au début de ma lecture, et ce qui a en général tendance à fortement me titiller, vu l’intérêt que je porte aux variations sur la figure du vampire que proposent les auteurs issus du sud du continent américain).
Le résultat en est ce roman aussi bref qu’intense. Un texte qui ne fait qu’effleurer le registre du fantastique, par le biais de la tératologie. De quoi justifier une première publication dans une maison d’édition plutôt habituée à la littérature dite « blanche » (mais avec des incartades régulières sur les terres du fantastique, comme le démontre leur publication de La Soif primordiale de Pablo de Santis, également repris en poche chez Folio SF). La narration rappelle certains des grands classiques de la littérature de genre : le discours à la troisième personne est entrecoupé de lettres et extraits de journaux. De quoi renvoyer à Dracula, mais surtout au Frankenstein de Shelley, dont la genèse traverse le récit (même si c’est davantage Polidori qui est au cœur de l’intrigue). L’ambiance pesante, les relations tendues entre les personnages jouent fortement sur le texte, établissant rapidement le rythme de la narration. L’ensemble est également une réflexion assez ingénieuse (à plusieurs niveaux) sur le désir de la création.
Impossible d’écarter du corpus sur la figure vampirique un roman qui prend comme personnage principal John Polidori, au moment où il s’apprête à écrire son Vampyre. Mais à travers le personnage d’Annette Legrand, la troisième sœur monstrueuse, Federico Andahazi propose un personnage d’obédience vampirique assez hors-norme. En effet, cette dernière a besoin de fluide vital (mais pas de sang) pour survivre, et permettre à ses sœurs de vivre. Les trois sœurs sont en effet reliées, si Annette dépérit ses deux sœurs dépérissent de la même manière. C’est ainsi pour assurer sa survie et la leur que la fratrie a eu l’idée d’un échange avec des tiers… qui a tous les atours du pacte faustien.
Un roman remarquable, qui s’intéresse à un véritable événement littéraire : la double genèse du fantastique moderne (par l’entremise du vampire) et de la science-fiction, par celle de Frankenstein. Sensuelle, macabre et diabolique, la trame imaginée par Federico Andahazi ne laissera indemne ni ses protagonistes ni son lecteur.