À 17 ans, Angie vit à Belleville avec son père, entourée de ses amis Matt et Camille. Après à une agression dans le métro, elle découvre qu’elle pourrait être marquée, et à ce titre condamnée à brève échéance par les services secrets. C’est alors que sa mère, la Duchesse des Noailles, refait son apparition dans sa vie, après plus de dix ans sans donner de nouvelles. Fille d’aristocrate, dans une société où la Révolution Française n’a pas eu lieu, il est en effet temps pour Angélique de faire son entrée dans le grand-monde. Alors que le roi Louis XXIV est sur le point de prendre sa place sur le trône, Angie, ayant choisi Clémence pour l’accompagner, participe donc à son premier bal à Versailles, et découvre ce monde dont elle ignorait tout jusque-là. Malheureusement, les choses vont rapidement prendre une tournure inattendue.
Si je suis les aventures éditoriales de l’entité bicéphale Ange (et ses variations G. E. Ranne et G.-Elton Ranne) depuis de nombreuses années, c’est essentiellement via leur implication dans le monde du jeu de rôle (In Nomine Satanis/Magna Veritas, Bloodlust) ou de la BD (les scénarios de Bloodline, Paradis perdu ou encore de La Geste des Chevaliers Dragons). Le duo a déjà de nombreux romans à son actif, depuis La Mâchoire du dragon en 1996, mais je n’avais pas encore eu l’occasion de me pencher sur cette partie-là de leur production. C’est donc chose faite avec cette uchronie jeunesse qui convoque la figure du vampire.
Qui dit uchronie dit d’emblée point de rupture. Si l’origine de celui-ci n’est révélée qu’à la fin du roman (qui s’achève sur un flashback très réussi), le lecteur comprend dès les premières lignes ce dont il retourne : la Révolution n’a pas eu lieu en 1789, et la France est donc encore une monarchie, qui s’apprête à couronner Louis XXIV. L’Église semble bien moins présente, la société se scindant essentiellement entre l’aristocratie et… ceux qui n’en font pas partie. Dès lors, les auteurs donnent corps à un monde où la ségrégation est impulsée par les descendants de la noblesse d’antan, qui ont conservé leurs privilèges. Ainsi certains bars s’organisent en zone VIP, certains réseaux de transports ne sont accessibles qu’aux nobles, etc. Les auteurs ont par ailleurs imaginé la confrontation entre deux mondes : celui de la royauté française, avec ses luttes de pouvoirs internes, et la société moderne, telle que nous la connaissons. De fait, en collant au plus près du réel, Ange réussitau mieux à crédibiliser son uchronie.
Si certains éléments du récit m’ont moins convaincu (la relation entre Philippe d’Orléans et Angie, la relation entre Angie et sa mère), et que le récit n’est pas sans quelques longueurs, j’avoue avoir plutôt apprécié ma lecture de Sang Maudit. Et si l’on peut hâtivement classer ce roman en bit-lit jeunesse, après tout l’héroïne ne manque pas d’aplomb et va apprendre à évoluer dans un monde moderne où le surnaturel est une réalité (même si pas forcément avéré aux yeux du grand public), la part uchronique est à mon sens la vraie réussite de l’ouvrage (et à ce titre sa vraie obédience). À ce niveau, les personnages sont intelligemment conçus, la mise en scène des privilèges de la noblesse tels qu’ils seraient aujourd’hui, bien amenés. Et du coup, si c’est la partie vampirique qui m’a amené à cette lecture, ce n’est pas forcément elle que je retiendrais, car trop classique à mon goût.
Parlons-en, des vampires. Au début du roman, on apprend que les secrets d’alcôves publiés par une ancienne employée de la Cour révèlent leur existence et détaillent certains aspects de leur vie. Un roman qui fait un tabac parmi la population, avide de ragots sur ce qui se passe à Versailles. Mais Angie découvrira, à travers son don de prescience dans un premier temps, que leur existence n’est pas là que pour faire frissonner le bas peuple. On apprendra dans le récit qu’il s’agit de créature très difficile à tuer, dont il faut séparer la tête et brûler cette dernière si on veut s’en débarrasser définitivement. Des créatures qui se nourrissent de sang, vivent très longtemps, et sont douées de certaines caractéristiques hors du commun (leur force et leur rapidité en tête). Pour autant, la dernière partie du récit permettra de découvrir qu’ils sont en nombre assez restreint, et quelle est leur origine.
Si la part vampirique de l’histoire a une importance non négligeable sur le récit, que ce soit en révélant à Angie une partie des secrets qui régissent la classe à laquelle elle appartient, et comment cette dernière a pu perdurer jusqu’à aujourd’hui, ce n’est pas elle qui domine le roman. Mais l’idée d’une uchronie montrant une France monarchique en 2017 est à mon sens aussi intéressante au niveau du pitch d’origine qu’une réussite après lecture. Le résultat, un livre qui ne ménage ni son lecteur ni ses personnages, malgré quelques facilités, et regorge de bonnes idées et de trouvailles intelligentes pour donner corps à la société mise en scène.