Dans ce livre particulièrement prenant, Paul Barber passe au crible des centaines d’années d’anecdotes et récits sur le mythe du vampire tel qu’il apparaît dans le folklore, et retrace de manière scientifique l’émergence de la légende des vampires. Depuis le conte du XVIe siècle consacré au cordonnier de Breslau dont le fantôme terrorisa toute la ville, au témoignage d’un docteur qui présida à l’exhumation et à la dissection d’un cimetière regorgeant de vampires serbes, l’auteur puise dans un volume impressionnant de sources pour mettre en parallèle les différentes conceptions du mythe, leurs ressemblances et dissemblances, tout en confrontant croyances et sciences.
Si j’avais connaissance depuis plusieurs années du livre de Paul Barber, considéré comme une véritable bible par les spécialistes et passionnés anglo-saxons du folklore vampirique, je n’avais à ce jour pas encore eu le temps ni l’occasion de me plonger dans sa lecture, et d’évaluer par moi-même l’intérêt de l’ouvrage. Car si les textes de Calmet, Ranft, voire ceux auxquels j’ai récemment eu accès via les éditions Jérôme Million et leur les Vampires : Aux origines du mythe sont un matériel de recherche aussi précieux qu’indispensable, rare sont les essais puisant dans ses sources qui parviennent réellement à tirer leur épingle du jeu. En effet, on se retrouve bien plus souvent face à une énumération des cas les plus connus (Paole et Plogojovitz pour les nommer), qu’à une réelle analyse scientifique de ces derniers.
Pour ceux qui maîtrisent la langue de Shakespeare, il y a pour autant un réel intérêt à s’immerger dans ce livre. D’abord parce que s’il s’appuie bien évidemment aussi sur les récits déjà connus, l’auteur en convoque un nombre impressionnant nettement moins cités, qu’il s’agisse de rapports officiels, de légendes, de contes et traditions locales, etc. Pour cela, il ne se contente pas de puiser chez les premiers anthologistes du genre (tel que l’incontournable Calmet), mais aussi dans de nombreux documents beaucoup plus obscurs (dont des comptes rendus d’époque) et certains ouvrages moins connus, comme celui de Cremene (qui lui permet de mettre en parallèle certaines légendes et la présentation que fait l’auteur roumain des différents types de vampires du folklore national). Ce faisant, il propose un passage en revue réellement complet des caractéristiques vampiriques occidentales (et la manière dont elles ont pu évoluer avec les époques et les lieux).
Si l’auteur (chargé de recherches au Musée Fowler de l’Histoire culturelle, à l’Université de Californie) s’intéresse avant toute chose au vampire tel qu’il s’est fait une place dans le folklore est-européen, il n’hésite pas à faire de nombreux parallèles entre les caractéristiques originales et la conception du vampire telle qu’elle s’est depuis propagée via la fiction, pointant ce qui a pu être repris à telle ou telle légende, ce qui a été grossi ou déformé, voire ce qui a disparu. À ce titre, alors que je pensais avoir à faire à un ouvrage dont le champ d’analyse se limiterait au folklore (et à la période pré-fictive des buveurs de sang), cet ouvrage s’avère également intéressant pour ma propre manière d’aborder le mythe, à travers son évolution dans les œuvres de fiction.
Doté d’une bibliographie particulièrement touffue, truffé d’annotations qui permettent à l’auteur de resituer chacune de ces références, l’ouvrage confirme aisément ses promesses, se posant d’emblée comme un incontournable sur le sujet (à noter que si l’édition originale date de 1988, l’auteur est revenu dessus en 2010 — et l’ouvrage a alors bénéficié d’une réédition —, avant de refermer ses recherches sur le sujet). Un vrai travail d’enquête, qui a demandé de fait le recours à de nombreux textes non traduits dans la langue de l’auteur (Cremene n’a ainsi jamais été traduit en anglais, à ma connaissance), qui montre un sens de la minutie assez poussé, le tout relié à une structuration de l’analyse très efficace. Chaudement recommandé.