Dans un futur où la surconsommation est devenue la règle, et où tous sont sponsorisés par des entreprises privées, Toshiba est un flic de la section des Crimes à la consommation. Sa vie est ainsi rythmée par les enquêtes qu’il mène avec Wallmart, son collègue et ami adepte de culturisme et de produits anabolisants. Mais Toshiba doit aussi perpétuellement veiller qu’il reste lui dans le droit chemin, et qu’il consomme autant qu’on peut l’attendre de quelqu’un avec son profil. Il a certes une femme androïde, laquelle est une intelligence artificielle destinée à lui faire plaisir, à entretenir, mais cela ne suffit pas. Ces temps-ci, Toshia sent un certain mal-être l’envahir, impression que l’enquête consacrée à un Netrunner, dans un premier temps simple témoin dans une affaire lambda, va peu à peu amplifier.
D’après les repères biographiques donnés par l’éditeur et par Dany-Robert Dufour, Jean Baret est avocat au barreau de Paris. Il signe avec Bonheur™ le premier volet d’une trilogie ambitieuse. Ancrée dans le cyberpunk, certes, mais aussi propice à la réflexion et à jouer, poussés à leurs extrêmes, sur les travers de la société actuelle. Imaginer que la consommation effrénée devienne davantage qu’une norme, mais bien la loi, avec ses quotas à respecter, met d’emblée le lecteur face à lses propres travers. Et lui fera refermer le texte avec une certaine amertume dans la bouche. Dans l’univers de Bonheur™, cette consommation, ainsi que le poids des entreprises privées sur le quotidien des humains est clairement au coeur de tout. Du lobbying croissant qu’on constate aujourd’hui, on passe ici à un sponsoring tout azimuth, qui s’infiltre jusque dans l’état-civil même des personnes. Des bienfaits qu’on leur vend comme la liberté la plus absolue, étant donné que tant qu’ils consomment, ils font ce qu’ils veulent. Mais à quelle fin ?
Le cyberpunk n’est pas le genre littéraire où on s’attend le plus à trouver des vampires, et pourtant. Dans le cirque des augmentations (corporelles, psychiques, etc.) que constitue l’humanité mise en scène ici, certains se prennent à vouloir pousser leur mimétisme envers les vampires jusqu’au bout. Jusqu’à se faire inoculer une forme de porphyrie, et faire évoluer leur métabolisme (canines, couleur de peau…), pour justifier leur demander d’être considérée comme une race à part par l’état civil, avec ses spécificités. De ses dires, le vampire en question appartient ainsi à un clan, qui a comme règle (notamment) que ses membres soient accompagnés de succubes. Mais ce n’est qu’un exemple parmi tant d’autres des possibilités offertes par la consommation à ceux qui aspirent à davantage.
Ça faisait un moment qu’un roman ne m’avait pas autant mis mal à l’aise. Par le train-train quotidien de son personnage central, entre le sexe que lui procure à la demande sa femme cyborg, ses soirées débauches avec Wallmart et ses enquêtes journalières, qui s’enfonce dans un marasme duquel rien ne semble à même de le faire sortir… jusqu’à ce qu’il mette le doigt dans l’engrenage, aux côtés de son collègue, bien plus mouton que lui. Et pourtant…
Inattendu, surprenant, malsain, répétitif (mais on finit par comprendre pourquoi). Mais pas inintéressant, loin s’en faut ! A la lisière de la fable philosophique, Bonheur™ nous plonge de manière glaçante dans les travers de notre mode de consommation.