Avec Chers Monstres, le journaliste, romancier et nouvelliste Stefano Benni propose vingt-cinq récits qui explorent la monstruosité tapie au coeur même du monde moderne. Des nouvelles aux longueurs variées qui mettent en scène les personnages face à leur propre monstruosité, et finissent bien souvent par démontrer que les mystères de notre monde recèle sont plus monstrueux qu’eux. Oligarque russe ivre de pouvoir, vampire rattrapé par la bureaucratie, enfants fans jusqu’à l’extrême, directeur de musée avide de retombées financières, exorciste brutal, tous laissent soit leur humanité être submergé par leurs appétits et instincts les plus vils, soit découvrent qu’il y a toujours plus cruel (et malin) qu’eux.
Je n’avais jusque-là pas eu l’occasion de me pencher sur la plume de l’auteur italien, pourtant déjà connu pour son appétence pour l’imaginaire. Car si la majorité de ses textes sont édités (chez Actes Sud) en littérature blanche, nombreux sont ceux qui sont marqués par le fantastique et la science-fiction, à l’instar de Terra! réédité récemment chez Mnémos. Ce recueil de nouvelles ne déroge pas à la règle. Car si certaines restent ancrées dans le réel, comme « Sonia et Sara », la majorité fait soit référence à des univers déjà balisés (la momie, le conte de fées – Hansel et Gretel -, le vampire, le diable), soit joue avec nos peurs profondes, souvent à la lisière du surnaturel, telles que « Le géant » ou « L’homme des tableaux».
Stefano Benni nous immerge dès le premier texte, « Qu’est-ce que tu es », dans un univers où l’étrangeté est à la lisière de notre champ de vision, prête à jaillir et à faire basculer le destin de ceux qui y prêtent attention. La plume est puissante, le style tantôt caustique, tantôt poétique, pour une constante commune : l’évident plaisir de jouer avec les codes, et de surprendre le lecteur là où ce dernier ne s’y attend pas.
C’est d’ailleurs très visible dans la nouvelle que l’auteur consacré à notre figure préférée, celle du vampire. En campant un Dracula (le personnage n’est jamais nommé, mais les références sont évidentes) aux prises avec le rouleau compresseur de l’Administration (les Impôts), ils confronte le monstre cruel et assoiffé de sang avec son avatar moderne le plus évident (Les Lumières n’ont-elles pas largement glosé sur le sujet ?). Jusqu’à cette chute préparée au fil de la nouvelle, qui montre toute la pitié que peut inspirer le monstre de conte de fée face à la monstruosité de la réalité, tout en continuant de jouer avec les caractéristiques de la figure du buveur de sang.
Ce recueil de Stefano Benni aura été celui de la découverte pour moi. Si j’ai trouvé très astucieuse la manière dont l’auteur s’attaque au thème du vampire, j’avoue néanmoins que ce n’est pas la nouvelle du recueil qui m’aura le plus enthousiasmé. « L’inspecteur Mitch », le texte le plus long du recueil (qui utilise lui aussi le mot vampire, mais dans un contexte de tueur en série), a sans nul doute ma préférence, récit félin oblige. Reste que l’ensemble déborde d’idées, est porté par une plume finement ciselée, et s’impose par son amour du genre comme de sa compréhension de ce que cachent les monstres, quels qu’ils soient.