Leon Visagie et Nazanin Amanpour appartiennent aux forces de police du Cap. Elsabe van der Merwe est paléoanthropologue, elle travaille à l’Origin Center de Johannesburg. Le duo d’enquêteur est affecté à une affaire étrange, un cadavre retrouvé sur la Table Mountain. La scientifique se retrouve quant à elle face à un cas de dégradation sur l’un des sites sur lesquels elle travaille. On finit par y exhumer un corps enterré, comme momifié. Subtilisant des échantillons, Elsabe identifie des particularités inattendues. Quand des crimes ont lieu dans la banlieue de Joburg, les personnages voient leurs chemins se croiser peu à peu, mettant au jour l’existence de créatures qui vivent depuis l’aube des temps en marge de l’humanité. Des êtres capables de prolonger leur vie au-delà du concevable.
Olivier Bérenval n’est pas un nouveau venu dans les littératures de l’imaginaire. Il a publié son premier roman, Ianos, singularité nue (Mnémos) en 2015. Jusque-là plutôt habitué à titiller la science-fiction et les frontières de l’espace, l’auteur signe avec Des Nuées son premier livre se déroulant à l’ère contemporaine. Il s’empare d’une figure emblématique de la littérature fantastique (le vampire), tout en lui opposant une dimension scientifique, la faisant sortir des poncifs gothiques.
Si les personnages évoluent sur de grandes distances, l’essentiel de l’intrigue se concentre en Afrique du Sud, entre le Cap et Johannesburg. L’auteur paraît avoir pris un soin certain à crédibiliser cet ancrage, et tire profit de cette société sur le fil du rasoir, sur laquelle l’ombre de l’Apartheid plane encore. Compte tenu de l’importance des découvertes faites en Afrique du Sud pour ce qui est des « origines » de l’humanité, le choix du pays n’est pas anodin. L’appétence de l’écrivain pour les questions de recherche transparaît, notamment dans les éléments scientifiques qui viennent étayer le raisonnement de ses protagonistes, dont Elspeth.
La construction de l’intrigue participe d’un certain morcellement, avec cette idée d’un fil narratif fractionné entre différents intervenants. Il n’y a pas de redites à ce niveau, simplement des directions indépendantes qui finissent par se fondre dans une trame unique. Chaque personnage est mû par ses propres convictions et objectifs, qui peuvent (ou pas) se recroiser. Ce choix est logique compte tenu de la façon dont les entités au cœur du livre parviennent à assurer leur longévité (en changeant de corps). Il y a ainsi l’histoire dont les humains sont les protagonistes, et le périple (les en fait) où ce sont ses créatures en marge de l’humanité qui se remémorent leur passé antédiluvien, où évoluent au présent. À l’image de ces points de vue multiple, le genre auquel se rattache le récit est protéiforme. Tantôt roman policier, tantôt préhistorique, tantôt scientifique…
Les entités présentées dans Des Nuées ont tout du vampire psychique. Elles ne paraissent pas appartenir à une branche distincte : il s’agit plutôt d’une sorte de mutation qui peut touche aussi bien Sapiens que Neandertal. Leurs différences leur confèrent des capacités hors du commun : ces créatures peuvent prolonger indéfiniment leur vie, ayant la possibilité de faire changer leur esprit de corps. Leurs pouvoirs leur permettent également de s’insinuer au sein de la psyché de leurs victimes, pour les réduire à néant ou déclencher de puissantes suggestions. Si elles peuvent régénérer leur enveloppe charnelle, cette capacité paraît diminuer avec le temps. Le contrôle mental est au cœur du quotidien de ces vampires d’un autre genre, mais l’absorption de sang est un rituel ponctuel dans leur existence. La régénération de leur organisme semble en dépendre. D’une certaine façon, on peut penser à l’Échiquier du Mal de Dan Simmons, sur les aspects psychiques, mais l’arrière-plan historique et scientifique lui permet de se détacher cette possible influence.
Un livre intéressant dans son approche, qui offre autant un ancrage scientifique que social, au cœur de l’Afrique du Sud contemporaine. Olivier Bérenval propose dans le même temps une relecture de ce qu’est la figure du vampire, faisant remonter celle-ci à l’aube de l’humanité. C’est plutôt bien vu dans l’idée que la longévité des vampires peut aussi être un problème : comment l’esprit peut-il gérer la mémoire sur une échelle de plusieurs milliers d’années ?