Au cœur d’un immeuble isolé, en pleine ville, une jeune femme sort de sa baignoire remplie de terre. Elle se douche, et après avoir regardé un documentaire sur les fauves, s’habille et se met en chasse. Car Héléna, puisque c’est son nom, n’est pas tout à fait humaine. Ce soir-là, elle croise la route de Marcus, cuisinier dans le bar où elle espère trouver une proie. Les événements prennent un tournant inattendu quand elle avise un autre membre de sa race, attablé. Excédé par cette présence sur son propre territoire, Héléna se lance à ses trousses, non sans bousculer Marcus, qui casse son briquet. Le lendemain, reconnaissant la jeune femme, il se décide à lui demander des excuses.
Danilo Beyruth est un dessinateur et scénariste de comics brésilien. Il publie son premier album en 2007, dans un premier temps sous la forme d’un fanzine. Il s’agit de l’acte de naissance de Necronauta, une super-héroïne qui lui ouvre rapidement des portes. Au fil des années, l’auteur a travaillé sur des séries comme Astronauta – Magnetar, basée sur les personnages d’un de ses compatriotes, Mauricio de Souza. Il a depuis fait son chemin sur le marché américain, avec des histoires éditées chez Image Comics, Dark Horse (Falling Skies) et Marvel (Deadpool v. Gambit, The Unbelievable Gwenpool).
Love Kills nous plonge au cœur d’une métropole contemporaine où sévit Héléna, une femme vampire qui vit isolée. De fait, il y’a d’emblée un niveau de lecture sur les interactions sociales, et la position très particulières du personnage vis-à-vis de ceux qu’elle fréquente. D’un côté elle limite les contacts avec ceux de son espèce (hormis Victor, qu’elle a transformé), de l’autre elle a besoin de frayer avec les humains pour se nourrir. L’album entier s’articule ainsi autour des sentiments du personnage, qui a appris à se couper du monde tout en évoluant au sein de celui-ci.
Le thème de la filiation est prégnant au fil du récit. Déjà dans l’idée du lien entre Victor et Héléna (où elle s’inverse, le jeune vampire donnant l’impression de materner sa créatrice). Mais dans le même temps, Marcus vit avec sa propre mère, avec qui il a développé une relation étrange, depuis sa transformation. Enfin, il y a cette idée qu’en tuant le créateur d’un vampire, les « enfants » de celui-ci peuvent retrouver leur vie humaine. Dès lors se pose la question de la place d’Héléna dans la hiérarchie des vampires qui s’attaquent à elle, particulièrement ce très vieux vampire qui se terre dans les égouts.
Graphiquement, Danilo Beyruth propose un noir et blanc qui rappelle d’autres spécialistes sud-américains dans le registre, comme Eduardo Risso. Mais il y a sans nul doute un dynamisme plus fort chez Beyruth, dont les scènes de combats sont très cinématographiques. Le style du dessinateur intègre à merveille ses personnages au sein de l’espace urbain, son architecture bétonnée et tentaculaire. Un lieu qui matérialise parfaitement les contradictions de notre époque. Enfin, un endroit idéal pour une histoire de vampire, par la place qu’y tiennent les addictions (notamment la drogue).
Les vampires de Danilo Beyruth doivent reposer dans la terre durant le jour (mais pas forcément leur terre natale, Héléna dormant dans une baignoire remplie de terre de jardinerie). Ce sont des créatures d’apparence humanoïde qui ont besoin de sang pour survivre, et doivent tuer pour cela. Elles vivent la nuit, ce qui s’accommode à merveille à la vie citadine. Elles disposent de certaines capacités, comme une force physique décuplée, une cicatrisation accélérée et maîtrisent l’hypnose. Pour autant, l’utilisation de ces capacités leur demande de puiser dans leurs réserves. Certains humains semblent en capacité de résister à leurs pouvoirs (c’est le cas de Marcus), et les vampires peuvent être tués si on leur enfonce un pieu en plein cœur où qu’on les expose au feu.
Un album très réussi, autant sur le plan graphique que de son scénario. L’auteur prend le temps de poser ses personnages avant de progressivement les faire basculer dans l’intrigue.