À l’appel de l’entité qui vit en lui, Dawn Ontario sort de l’ombre et échoue dans une petite ville de Bretagne, alors même que l’Amoco Cadiz vient de s’y échouer, déversant son mazout sur les plages. Dans l’hôtel où il finit par poser ses maigres bagages, Dawn fait la connaissance de Claire, de Laurent et de Raphaël, tous trois membres d’un groupe de rock en tournée dans la région. Entre Raphaël, le séduisant leader du groupe, et le survivant de la jungle vietnamienne, une étrange relation commence à se jouer.
L’Eau noire est le deuxième roman de Chloé Bourdon publiée par les éditions du Petit Caveau. Pour autant, si le premier texte de l’auteur, À l’ombre des falaises, avait su faire son petit effet (même s’il s’orientait vers une trame et une mise en scène du mythe relativement classiques), l’Eau noire est plus ambitieux, même si également plus difficile d’accès. La psychologie des personnages s’y fait plus complexe, de même que l’ambiance (plus contemporaine), sans même parler de la mythologie mise en place, qui sort résolument des sentiers battus. Et s’il faut plusieurs dizaines de pages avant de pouvoir s’immerger dans la narration, les personnages ne faisant pas d’efforts pour paraître attachants, le ton et les thèmes convoqués finissent par happer le lecteur, pour peu qu’il soit réceptif à ce qui flirte allègrement avec le splatterpunk d’une Poppy Z. Brite, centré autour d’un personnage bicéphale, scindé entre les besoins d’une entité sanguinaire et les hésitations d’un être qui n’a jamais su trouver sa place et s’assumer.
Dawn Ontario aurait dû mourir dans les marais vietnamiens. Pour autant, il survit grâce à l’entremise d’une entité qui pénètre en lui alors qu’il gît dans l’eau, les jambes arrachées. L’entité lui permettra ainsi de reconstituer ses membres déchiquetés et de revenir d’entre les morts, lui offrant une nouvelle vie. Pour autant, il doit désormais fournir à l’entité, qui habite depuis lors en lui, le sang suffisant pour qu’elle maintienne son corps en vie. Les pouvoirs de ce symbiote lui permettront de largement dépasser la longévité d’une vie humaine.
Un livre noir, sans concession, qui rompt avec le traitement auquel on a habituellement droit quand il s’agit de textes vampiriques modernes. Si Chloé Bourdon n’a pas encore la maîtrise d’une Morgane Caussarieu, elle démontre ici sans nul doute sa capacité à tordre le mythe pour se l’approprier, et ce autant sur le fond que sur la forme. Petit bémol (il en faut bien un) pour la couverture. Si j’apprécie en général ce que propose Alexandra V. Bach, je trouve que le visuel ne rend ici pas justice à l’aspect déviant du texte, restant somme toute assez classique.