Vivant isolé dans une maison d’où la lumière est proscrite, le narrateur observe par le fenêtre du grenier les gens qui se déplacent dans les rues, affublés de leurs ombres dont ils prennent grand soin. Car ces dernières sont en mesure de canaliser les maladies, virus et autres pathologies qui attaquent l’être humain au cours de sa vie. De quoi augmenter la longévité de la race humaine, qui vit désormais en symbiose avec ces parasites qu’elle a elle-même engendrés.
Fan de Brussolo depuis de nombreuses années, c’est toujours avec plaisir que je découvre un roman que je n’aurai pas encore lu. Et si toute la production du romancier est chaudement recommandé, il y a dans certains de ses titres (les plus anciens) une forme de poésie sombre qui s’est peu à peu effacé (même si l’absurde est toujours prégnant). C’est le cas de ce (court) roman qui plonge le lecteur au cœur d’un univers qu’on lui dévoile par petites touches. Si les premières pages donnent l’impression de se trouver pris dans les pensées étranges d’un jeune garçon, la suite nous emmène bien sur la piste d’un monde pas tout à fait comme le nôtre. Un monde où les hommes se font greffer des ombres pour se prémunir de la maladie… et s’assurer une longévité sans précédent. De fait, ceux qui ne disposent pas d’ombre sont condamnés à évoluer la nuit tombée, de manière à se protéger de toute infection.
Je pensais jusque-là que le thème du vampire n’avait jamais été abordé par Serge Brussolo dans son œuvre pharaonique (plus de 240 romans depuis Vue en coupe d’une ville malade, publié en 1981). Si Le château d’encre est tout sauf un roman fantastique classique, il n’en possède pas moins de nombreux liens avec la figure du buveur de vie.
Bien évidemment, ce sont ici les ombres qui sont à considérer comme des vampires. Ces entités artificielles vivent ainsi au crochet des humains, se nourrissant de tout ce qui peut attaquer l’intégrité physique de ces derniers, filtrant le mal à même le sang. Le couple ombre-homme finit par ne plus constituer qu’une seule et même entité, même si l’ombre peut survivre indéfiniment à la mort de son hôte. La dernière partie du récit, qui verra le narrateur rencontrer un homme ayant maîtrisé son ombre au point d’interagir avec celle-ci comme si elle avait sa propre conscience, offrira davantage de ramification avec la figure du vampire (le mot est particulièrement présent dans les derniers chapitres).
A l’image de la production de Brussolo, un roman surprenant qui mélange les genres, du fantastique à la SF en passant par le conte.