New York, 1978. Joey Peacock est un vampire transformé à l’âge de 15 ans, dans une Amérique alors en pleine Grande Dépression. Il a suivi Margaret, celle qui l’a transformé, jusque dans les méandres du métro. L’ancienne femme de chambre de ses parents a pris la tête de la communauté de vampires qui vit là, veillant à ce que les règles qui leur permettent de survivre sans attirer l’attention soient suivies à la lettre. Parmi les principales de ces règles, celle qui veut qu’on ne tue pas sa victime, première étape vers la transformation de cette dernière en une nouvelle créature de la nuit. Mais les choses vont commencer à déraper quand le petit groupe découvre que des enfants vampires écument leur territoire, doté d’une soif quasi insatiable et peu soucieux de laisser des traces.
Mémoires d’Outre-Mort, The Lesser Dead en VO, est le quatrième roman de Christopher Buehlman, romancier, auteur de pièce de théâtre, poète et comédien. Il s’agit de la première incursion de l’écrivain dans le thème du vampire, mais pas la dernière, car The Lesser Dead (sorti en 2014) a été suivi en 2016 par un roman dans le même univers : The Suicide Motor Club. À noter également que le présent roman a été sélectionné pour le Shirley Jackson Award en 2014, et a remporté le American Library Association Best Horror Novel of the Year en 2015.
Il s’agit d’un roman écrit à la première personne, par le personnage de Joey. Éternel adolescent de 15 ans, il présente progressivement au lecteur ce qu’il est, les conditions dans lesquelles il vit, avant de se remémorer sa transformation. C’est finalement à la suite de ce dernier souvenir que l’histoire va réellement débuter, au moment où le protagoniste croise la route d’un petit groupe d’enfants vampires. La sensation de narration quelque peu décousue qui émane des premiers chapitres peut dans un premier temps rebuter, mais cette mise en ambiance progressive colle bien à la personnalité du personnage et à son (éternel) manque de maturité. Malgré le cadre principal (la ville), on est très loin de l’urban fantasy habituelle. Joey, Margaret et le petit groupe qu’ils constituent sont des vampires marginaux, qui vivent au cœur des stations et tunnels désaffectés du métro new-yorkais. On flirte également avec une horreur assez franche, non dénuée de certains aspects gores et malsains, qui auraient tendance à me faire rattacher ce roman avec le splatterpunk d’un Poppy Z. Brite ou d’un Ray Garton (qui eux aussi ont tendance, dans leurs romans vampiriques, à s’intéresser aux bas-fonds et à la marginalité). Voire d’un John Skipp et d’un Craig Spector, d’autant que l’ancrage dans le métro new-yorkais rappelle d’emblée leur The Light at the End.
J’ai relativement apprécié ma lecture, une fois passés les premiers chapitres dont le rythme et les revirements sont parfois quelque peu déstabilisants. Le personnage principal, qui est aussi la voix du roman, finit cependant par capter l’attention du lecteur, même si son relatif détachement empêche tout processus d’identification. Pour autant, l’intrigue est intéressante, ne manque pas de rebondissements, et les personnages que côtoient Joey, à commencer par les membres du petit groupe qui (non-)vit sous la gouvernance de Margaret sont bien campés. Concernant le cadre, l’auteur a dit en interview avoir fait de nombreuses recherches sur l’époque. Si c’est difficile à juger pour ce qui est du New York de la surface (à quelques bâtiments près), sa description des tunnels du métro de l’époque semble particulièrement rigoureuse (notamment pour ce qui est des stations inaccessibles), même si cela a surtout pour effet de donner une certaine cohérence aux déplacements des personnages dans ce cadre.
Les vampires de Christopher Buehlman sont relativement fidèles à l’imagerie populaire. Ils craignent la lumière du soleil (ce qui explique que certains préfèrent vivre dans les sous-sols), et doivent se nourrir de sang pour survivre. Pour charmer leur victime, ils disposent d’une capacité d’hypnose puissante, qui lui permet d’imposer leur volonté à leur cible (c’est également cette capacité qui leur permet de se transformer à la vue des humains, voire d’empêcher ces derniers de remarquer leurs dents). Ils sont en mesure de créer de nouveaux vampires en réinjectant du sang à une personne mordue, mais ils évitent de donner vie à de nouvelles créatures de la nuit, comme ils évitent de tuer leurs proies, ce qu’ils appellent « peler ». Les symboles religieux ne leur posent problème que s’ils sont croyants.
Un roman efficace, au style assez nerveux, qui propose quelques bons moments pour les amateurs du genre. Le dernier chapitre remet également en perspective la totalité de la lecture, ce qui est surprenant, mais finalement assez en phase avec l’univers dans lequel évoluent les protagonistes. Pour autant, je n’ai pas été totalement convaincu par le roman, ce qui m’empêche de le considérer comme un texte coup de poing. À noter, enfin, un manque assez flagrant de relecture : les coquilles, mots manquants et autres scories grammaticales sont assez nombreux par moments, ce qui peut gâcher la lecture.