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Alors qu’elle se livre à des jeux pervers avec Marie, une jeune Hongroise elle aussi vampire, Élisabeth Bathory reçoit la visite d’Askew. Ce dernier, ambassadeur du puissant Ugarès vient informer la comtesse que son maître demande après elle. Non sans s’être au préalable livré à une orgie avec Askew, Élisabeth prend le chemin du château souterrain d’Estela, où sont établis Ugarès et ses suivants. Dans le même temps, le groupe de chasseurs de vampires composé du Professeur Crane, d’Honorio et de la médium Lucia est à la recherche d’un mystérieux cercueil et son possesseur. C’est justement parce qu’il s’inquiète du Varcolaci qui repose dans ce cercueil qu’Ugarès à besoin de l’aide de la comtesse.
Il y a quelques années, j’avais croisé le nom de Raulo Cáceres sur la série The Extinction Parade, dont il était le dessinateur (sur un scénario de Max Brooks). J’avais été relativement peu impressionné par la trame post-apo de cette mini série, et le dessin n’était pas franchement mis en valeur par la couleur informatisée. Avec Élisabeth Bathory, j’aborde la première œuvre d’importance du dessinateur, dont la publication remonte à 2002 (2007 pour la première version reliée). Je découvre dans le même temps un autre pan de la production du dessinateur-scénariste, celui qui a trait à la BD pornographique. Avec des titres comme Élisabeth Bathory, Justine y Juliette (VF : Justine et Juliette de Sade) ou encore Morbid Tales (VF : Légendes Perverses), Cáceres est un des grands noms du registre, dans le monde hispanophone.
La préface de José V. Galadi donne directement le ton de cette intégrale. On est au début des années 2000, à un moment où la pornographie se cherche une nouvelle voix dans les extrêmes. Une pornographie qui assume totalement de faire de la femme le réceptacle des fantasmes masculins les plus débridés. De son côté Cáceres profite davantage de son À-propos pour souligner qu’il s’agit là d’un récit de jeunesse, dont le dessin comme les dialogues ne représentent plus son style à l’heure actuelle. Ces deux textes d’ouverture ont le mérite de préparer le lecteur à ce qui y va suivre. Car dès la première planche, on comprend vite qu’Élisabeth Bathory est une œuvre sans limites. L’avidité sanguinaire de la comtesse s’accompagne d’un appétit sexuel aussi inextinguible, prétexte à des situations qui finissent immanquablement en bacchanales. Dans le même temps, l’auteur n’en oublie pas qu’il a choisi un personnage historique sulfureux comme protagoniste charnière. L’histoire de la comtesse sera bel et bien racontée durant l’album, sous la forme d’un récit enchâssé où la réalité rejoint la fiction. Matière à expliciter comment le personnage est devenu ce qu’il est, et d’où il tire ses obsessions.
Ce qui m’a sans doute le plus marqué dans cet album, c’est le dessin de Raulo Cáceres. Si certaines planches peuvent manquer d’homogénéité, difficile de nier que l’auteur a un sens du cadrage particulièrement dynamique. Quant au coup de crayon, passé ces fluctuations, il se fait de plus en plus maîtrisé. Le noir et blanc permet davantage d’apprécier les traits de l’illustrateur, où une approche réaliste se confond avec la démesure des situations (et des dimensions des organes sexuels masculins).
Autre point fort de l’album : l’auteur ne se limite pas à une unique figure vampirique. On y rencontre des Vircolaci, des Adze, des Moulos, des Langsuir… Cáceres choisit de donner une cohérence à l’ensemble des folklores vampiriques, chacun avec leurs caractéristiques, leur manière de voir le jour… mais aussi de se livrer à des orgies toujours plus jusqu’au-boutistes. Le vampire de fiction a de tout temps eu un sous-tendu sexuel, à commencer par l’idée de la morsure comme métaphore de la pénétration. Cáceres rompt avec cette approche, en présentant des vampires qui ne se cachent plus, et assument aussi bien leur Éros que leur Tanathos. Elisabeth Bathory en est la figure de proue, elle qui cherchait déjà un certain accomplissement dans les pratiques sadomasochistes – voire nécrophiles – alors qu’elle n’était encore qu’humaine.
Un album à ne pas mettre entre toutes les mains, en cela qu’il ne fait montre d’aucune retenue dans son appropriation du personnage de la Comtesse. La perversion est le maître mot, la plupart des scènes se trouvant sur la lame du rasoir entre gore et sexualité sans limites. Et pourtant, au milieu de tout ça, il y a un travail manifeste effectué sur le folklore vampirique, sur l’histoire et ses rebondissements, voire sur le dessin.