En mai 1962 sortait le premier numéro de la revue Midi-Minuit Fantastique, publiée par Éric Losfeld et dont le dernier numéro paraîtra en 1971. Neuf ans d’existence pour une publication devenue aujourd’hui mythique, réalisée sous la houlette de Michel Caen, Jean-Claude Romer et Jean Boulet, et auxquels des spécialistes et invités prestigieux comme Francis Lacassin, Tony Faivre, Yves Boisset, Christopher Lee vinrent s’ajouter.
Durant ses 24 numéros d’existence, aujourd’hui recherchés par les collectionneurs, Midi-Minuit Fantastique se fit le héraut du cinéma de genre, participant pour beaucoup à l’évolution du regard porté sur ce dernier par les médias généralistes et le grand public. Un parti-pris sans contraintes, des articles de fond autant que des review de films, sans compter une iconographie bien remplie, un peu de littérature (le numéro spécial Dracula intégrait ni plus ni moins que le roman de Stoker), bref une assez grosse densité culturelle pour les amateurs d’avant-gardisme et d’objets cultes.
Pour ce premier volet des intégrales de la revue (qui devrait en compter quatre), l’amateur de beaux livres ne peut qu’être ébahi par l’épaisseur et le soin accordé à l’objet livre. 670 pages papier glacé, avec photos couleurs et noir et blanc qui proposent non seulement une récollection des 6 premiers numéros de la revue (avec en bonus plus une sorte de numéro inédit conçu spécialement pour cette première intégrale, L’Entracte du Midi-Minuit) mais également quelques savoureux bonus (interview notamment), sans même parler du DVD qui accompagne le livre, et propose autant des courts-métrages d’époque que des entretiens, voire une version radiophonique de Dracula, lue par Jean Rochefort (sic). Le tout sous une couverture rigide qui reproduit en couleurs le premier numéro de la revue.
Côté vampire, il y a largement de quoi faire. À commencer par le numéro spécial Dracula, qui incorporait le roman de Stoker (devenu difficile à trouver à l’époque) dans sa traduction par Eve et Lucie Paul-Marguerite. Une traduction datée de 1919 qui a depuis été rendue obsolète par celles de Lucienne Molitor (elle-même lourdement critiquée et critiquable), Jacques Finné et dernièrement par celle de Jacques Sirgent. Les auteurs ont choisi de ne pas conserver cette version poussiéreuse du roman, de manière à mieux mettre en valeur le reste de ce numéro spécial, qui se voit pour la présente doté d’une version longue d’un article de Tony Faivre. Un roman-photo du Dracula de Browning, une lettre de Christopher Lee et des articles de Tony Faivre et Jean-Claude Romer sur les adaptations du roman à l’écran et les liens entretenus entre le personnage historique et son avatar de fiction (avant que McNally et Florescu ne se penchent sur la question, donc), largement de quoi contenter l’amateur de contenus mordants.
D’autant qu’entre articles sur la vamp (cette femme prédatrice qui hante le cinéma des années folles) et surtout un premier numéro intégralement consacré à Terence Fisher, à qui on doit les deux premiers volets de la série des Dracula de la Hammer (mettant en scène l’antagonisme Lee / Cushing), il y a de quoi faire. On y parle donc surtout des vampires de la Hammer mais également de ceux de la Universal, sans omettre quelques raretés anglophones, voire francophones. Et de quoi puiser certaines références devenus méconnues voire au-delà (le Fantasmagories de Patrice Molinard, court-métrage français de 37 minutes que Nicolas Stanzick a eu l’occasion de voir en présence d’Edith Scob – actrice du film – et Agnès Molinard, fille du réalisateur).
Midi-Minuit Fantastique était une revue devenue culte, autant pour ceux qui l’ont découverte à l’époque de sa parution que pour ceux qui n’y ont eu accès que par des références et autres mentions. De quoi mettre l’eau à la bouche, surtout que les couvertures, qui reproduisent des scènes et interprétation phares des films de genre de l’époque mettent vite l’eau à la bouche. Devant la difficulté de trouver certains numéros, cette réédition luxueuse est donc du vrai pain béni, surtout que le paratexte et les bonus complètent avec goût et souci de montrer l’influence de la publication sur les générations à venir.
Michel Caen (l’un des auteurs de la revue) et Nicolas Stanzick (dont le travail sur la Hammer dans son précédent ouvrage avait déjà de quoi forcer le respect) proposent donc avec cette première intégrale un ouvrage indispensable pour tout cinéphile (et vampirologue ne serait-ce qu’amateur) digne de ce nom. Totalement indispensable.