Le Traité sur les apparitions des esprits et sur les vampires ou les revenants de Hongrie, de Moravie, etc. (1751) ou sous son titre original Dissertations sur les apparitions des anges, des démons et des esprits, et sur les revenants et vampires de Hongrie, de Bohême, de Moravie et de Silésie (1746) est un livre fondamental quand on s’intéresse à la croyance en l’existence des vampires. Publié quelques années après l’irruption du mot dans la langue française, le texte de Dom Augustin Calmet explore son propos sous les angles théologiques, historiques et philosophiques. C’est d’ailleurs cette approche que pose l’auteur au travers de la préface.
J’avais précédemment chroniqué l’édition disponible chez Jérôme Million, qui comme cette version se focalise uniquement sur la deuxième partie du traité. Reste que l’ouvrage présent a un intérêt supplémentaire, car il bénéficie d’une longue introduction et de notes additionnelles (nombreuses) rédigées par Philippe Charlier. Docteur ès médecine, ès lettres et ès sciences, celui-ci donne un éclairage contemporain et informé sur le texte de Calmet. Ces précisions et commentaires viennent en complément de ceux de la version d’origine, qui ne sont pas sacrifiés pour autant. L’ensemble donne matière à souligner que Calmet est un compilateur de génie, capable de convoquer la Bible, la vie des saints, des rapports médicaux comme ceux de Flückinger, des anecdotes transmises par des tiers… Dans le même temps, cette profusion s’oppose au projet initial de l’auteur, car la masse de recensions auxquelles il se livre tend à amoindrir sa conclusion sur l’inexistence des vampires.
Au sein d’une préface longue et documentée, Philippe Charlier fait du vampire un messager entre les mondes. Il rappelle aussi le contexte historique, indispensable pour poser le cadre de publication du traité de Calmet. La volonté de l’Église au XVIIIe siècle semble vouloir pour séparer les affaires religieuses de la superstition et des escroqueries, comme le signale également Charlier. Mais il est nécessaire de garder en mémoire que les vampires viennent à cette époque à la suite des sorcières, et cristallisent à leur tour des fantasmes mortifères. Enfin, il faut avoir en tête que l’hystérie vampirique prend forme sur fond de confrontation entre les empires Habsbourg et Ottoman. Ces différents éléments de contextes sont au cœur de la préface, et offrent ainsi au lecteur une prise de hauteur préalable.
On l’a dit, Calmet rassemble un volume de source imposant pour construire son analyse. Il s’appuie bien évidemment sur sa connaissance des textes et récits religieux. Mais il s’intéresse aussi à d’autres publications (Ranft, Rohr et d’autres sont mentionnés, et le contenu de leurs ouvrages passé au crible), voire à des événements qui lui sont relatés par des tiers. L’auteur ne se borne pas uniquement à investiguer des affaires vampiriques, il ouvre son propos à d’autres formes de vie post-mortem, comme des cas de résurrection, de mort apparente, etc. Il s’essaie ainsi à catégoriser les anecdotes recensées, et à interroger leur véracité. Mais la profusion d’épisodes et la multiplicité des sources rend compliqué son travail de synthèse, et le livre s’apparente au final plus à un catalogue qu’à une analyse objective. Ce n’est en effet pas la timide et courte conclusion où Calmet présente les affaires qui lui ont été soumises comme des illusions, comme une fuite de l’imagination, qui parviendra à contrebalancer cette impression.
L’apport de Philippe Charlier au Traité de Calmet est indéniable. On l’a vu plus haut, sa préface replace dans un premier temps la publication du Traité dans on contexte historique et religieux (principalement). Les notes de bas de page qu’il ajoute ne sont pas en reste. Le chercheur nous propose en continu des repères biographiques sur un nombre important de personnages qui sont mentionnés au fil du texte, depuis l’antiquité grecque jusqu’aux contemporains de Calmet. Ensuite, ses multiples compétences lui permettent de montrer les failles dans les assertions et théories du religieux, voire de pousser plus loin les analyses de celui-ci. Ainsi il convoque la médecine légale pour donner un avis éclairé sur les rapports post-mortem produits par l’auteur. Il porte aussi un regard ethnologique sur les pratiques destinées à protéger des vampires, ou lutter contre ceux-ci. Il n’oublie pas d’investiguer la dimension religieuse, revenant sur les différences entre orthodoxes et catholiques quant à la perception de la conservation des corps.
À son époque, le livre de Calmet est déjà une synthèse censée démystifier la croyance en l’existence des vampires. Aujourd’hui, difficile également de nier son influence sur la construction du vampire de fiction. On sait ainsi que l’ouvrage a été exploité par Sheridan Le Fanu pour son Carmilla (il y exploite directement une des anecdotes), et qu’il figure parmi les références utilisées par Bram Stoker lors de la rédaction de Dracula. De fait, aussi partiale et chaotique que soit l’approche du bénédictin, son traité est une lecture indispensable pour qui entend explorer l’histoire du vampire. Si le texte est disponible gratuitement sur Gallica, et qu’au moins une autre édition française existe, cette édition qui bénéficie du regard informé de Philippe Charlier permet une prise de hauteur aussi attendue que judicieuse. Seul bémol : la préface aurait peut-être gagné à passer en revue les contradicteurs de Calmet, et détailler les différences entres les différentes versions du texte (le présent ouvrage se basant sur le livre 2 de l’édition de 1751).
D’autres éditions du texte existe en français, cela a été mentionné plus haut. Chez Jérôme Millon, il existe ainsi une version sortie en 1998 présentée par Roland Villeneuve. Elle permet de disposer du texte de 1751 et des notes originales, mais ne propose rien d’autres. Chez le même éditeur, il existe une nouvelle version datée de 2020, qui bénéficie d’une préface et des notes de Gilles Banderier, déjà directeur d’ouvrage sur Les Vampires, aux origines du mythe. La version proposée par Philippe Charlier s’impose sans hésitations face à celle de 1998. Comparativement à celle bénéficiant des commentaires et notes de Gilles Banderier, je ne peux en juger, ne l’ayant pas (encore) lue.