À Bordeaux et dans les environs, une série de meurtres sanglants défraient la chronique. On ne cesse de retrouver des corps exsangues. Le duo en charge de l’enquête remonte le fil jusqu’à la masure des Macaire, en rase campagne. Mais il n’y a là qu’une jeune asiatique et un chien imposant, le suspect est absent. Quelques kilomètres plus loin, la fille de l’inspecteur Baron, Lily, fait le mur pour se rendre à une soirée au Bathory. Elle y croise le regard de Damian, maillon du petit groupe que JF Macaire forme avec Seiko et Gabriel, l’enfant vampire. Sans le savoir, Lily vient de mettre les pieds dans une spirale descendante de folie, de violence de sang et de sexe. Car n’en déplaise aux porteurs de fausses canines, les vampires n’ont rien de dandys bon chic bon genre. Ce sont des créatures vicieuses et manipulatrices qui n’ont qu’un seul but : nourrir le mal qui les ronge.
Dans tes veines et une nouvelle mouture du premier roman de Morgane Caussarieu, Dans les veines, sorti en 2012 aux éditions Mnémos. J’ai beau avoir lu plusieurs des livres de l’autrice, à commencer par Je suis ton Ombre, je n’avais encore jamais pris le temps de me plonger dans sa première œuvre. C’est sans nul doute son récit le plus sombre et sans concession, porteur d’un nihilisme jusqu’au-boutiste. Pour moi, Dans tes veines est déjà une histoire qui transpire le mal-être adolescent, à l’image de Lily son « héroïne ». Un roman dont les protagonistes s’affranchissent du carcan d’une société dans laquelle ils ne trouvent pas — ou plus — leur place. C’est un texte noir, qui n’épargne ni son lecteur ni ses personnages, lesquels paraissent construits sur des traumatismes. C’est ainsi le cas pour Damian, pour Seiko et pour Lily, moins pour JF et Gabriel. C’est également un livre où la chair est régulièrement mise à vif, premier jalon d’un fil rouge dans l’œuvre de Morgane. L’autrice le révèle en postface, Dans tes veines est un roman qu’elle portait en elle depuis des années. Les références qui parsèment la trame, les idées et noms des personnages sont comme autant de liens tissés avec cette matière qui irrigue toute la production de Morgane. Si on peut y voir l’hommage maladroit d’une fan à ses sources d’inspirations, j’y perçois avant tout un manifeste à tout un pan du récit et de la culture vampirique, un aveu de passion viscéral qui semble ne pas vouloir s’éteindre.
La figure du vampire est bien évidemment au cœur de Dans tes veines. Si le roman a été présenté comme un anti-Twilight, c’est à mon sens plus dans la manière dont sont mis en scène les vampires que dans la trame. Alors oui, il y a le parallèle possible dans les relations entre Damian et Lily d’un côté, Bela et Edward de l’autre. Pour autant, l’essentiel du livre — pour ce qui est de la figure du vampire — n’est pas là.
Les buveurs de sang sont ici des créatures malades, dont les corps ont muté suite à la transmission d’une bactérie. Dès lors, leurs enveloppes charnelles rejettent les principaux organes, ne conservant que le cœur, l’estomac et les veines. Ils n’ont en effet plus qu’un besoin : ingérer du sang. Se nourrir paraît être, pour eux — à mi-chemin entre l’acte sexuel et la consommation de drogue. Ils voient dès lors leurs victimes comme des réceptacles (les définissant en fonction de la quantité de sang), n’hésitant pas à se nourrir de l’ensemble de leurs fluides : sueur, sperme, cyprine, larmes… L’âge leur donne quelques pouvoirs supplémentaires, comme celui d’influencer l’esprit humain, voire celle de lire dans les pensées. Ils développent après transformation une certaine photosensibilité, et sont relativement difficiles à tuer, car le sang leur offre des capacités de régénérations hors-normes. Le roman met également en scène la communauté vampyres, ces passionnés qui ont érigé une société autour de leur vision du vampire. Jusqu’à aller procéder à des échanges de sang consentis. Au niveau des références, l’auteur cite textuellement Âmes Perdues de Poppy Z. Brite et Vampire Junction de S.P. Somtow. Deux œuvres appartenant au courant splatterpunk, dont se revendique Morgane.
Dans tes veines est un coup de poing, un livre appelé à marquer au fer rouge l’esprit du lecteur par son besoin constant de repousser les extrêmes. Le roman n’épargne rien à ses personnages, jouant également sur la place du monstre. Oui, les vampires sont des monstres, vicieux et obsessionnels dans leur quête de sang. Mais l’homme n’est-il pas autrement plus monstrueux, lui qui n’a même pas toujours l’excuse de la survie pour justifier ses exactions ? Le texte de Morgane Caussarieu renoue avec une caractérisation viscérale du vampire. Ce sont des créatures qui sont au cœur du récit et qui s’expriment, incarnation extrême de la dualité humaine. On est bien dans l’après Anne-Rice, mais les vampires de Morgane sont plus proches ne sont pas des émules de Louis ou de Lestat. Pour ceux qui ont lu la première mouture, Dans les veines, l’autrice présente cette nouvelle mouture comme un Director’s Cut. Compte tenu de la place de ce texte dans sa genèse d’écrivain, pour elle il y avait une certaine logique à y revenir après toutes ces années. L’occasion de corriger certains écueils que sa jeune plume n’avait pas réussi à dompter. Et de tirer profit des récits parus ultérieurement dans le même univers, veillant ainsi à la cohérence globale de son œuvre. Avec ce premier roman, que ne fait que confirmer cette nouvelle mouture, elle s’affirme d’emblée comme une des plumes maîtresses du vampire francophone.