Faruk vit depuis des décennies dans le Tenderloin, quartier interlope de San Francisco. En tant que vampire, il y trouve facilement des victimes pour se nourrir, sans pour autant que ces dernières n’attirent trop l’attention de la police. Jusqu’au jour où on lui demande d’assurer la protection de Barbie, une jeune orpheline qui vit avec son parrain, Abraham, et Mama, une adepte du vaudou. Si la première émissaire qui vient faire cette proposition à Faruk finit vidée de son sang, le second, Abraham lui-même, arrive à convaincre le vampire. Qui va devoir retourner au lycée pour approcher de plus près l’adolescente.
Les amateurs de vampires connaissent bien Morgane Caussarieu, a qui on doit déjà un essai, Vampires et Bayous, et deux romans sur le sujet : Dans les veines, et Je suis ton ombre, sans parler d’une poignée de nouvelles. Avec Rouge Toxic, elle revient donc à ses premières amours (son précédent livre, Cheloïdes, étant une fiction sur un couple de punk marginaux). La couverture comme le pitch de ce nouvel opus apparaissent en rupture avec l’approche de ses deux romans vampiriques : il a tout d’une fiction Young Adult. Pour autant, dès les premières pages de Rouge Toxic, l’autrice annonce la couleur : si elle choisit un cadre susceptible de faire du pied aux lecteurs de Vampire Academy et autre Comment se débarrasser d’un vampire amoureux, elle conserve sa noirceur habituelle, et cet appel du pied prend rapidement la forme d’un bon coup de santiag dans les genoux.
Morgane Caussarieu fait également le choix d’alterner les points de vue. Si c’est bien Faruk qui ouvre le bal, il cède de manière régulière la parole à Barbie, permettant à l’autrice de faire avancer son intrigue par le biais des narrations successives de ses personnages. Faruk a beau avoir plusieurs raisons de suivre les directives d’Abe, il n’en reste pas moins un vampire, doté d’un passé sanglant et susceptible de succomber à tout moment à ses instincts de prédateur. De fait, sa surveillance ne se fera pas sans mal, et donne le la à toute la première partie du récit. Barbie, quant à elle, de jeune fille solitaire protégée par sa nourrice et son parrain, s’ouvrira, grâce à Faruk, avant de découvrir ce qu’on lui a caché depuis des années.
L’ensemble repose donc sur des éléments classiques, mais la plume de Morgane insuffle une forte personnalité au roman: une touche d’humour (grinçante), une connaissance réelle des lieux où se déroule l’intrigue et un vrai amour pour son sujet, qui transparaît autant dans les aspects du mythe utilisé que dans sa manière de mettre en scène ses vampires. Et la romance qui se met en place entre les deux protagonistes principaux n’a rien de mièvre ni de simpliste. Le tout s’avère enfin intelligent aussi bien dans son approche du genre que dans certains éléments du réel qu’il intègre (Wouter Basson).
À noter que ceux qui suivent Morgane depuis le début apprécieront de retrouver certains de ses personnages emblématiques, tels que JF Macaire. De quoi nous rappeler qu’elle a le chic pour nous rendre autant antipathiques et détestables ses protagonistes que nous faire accrocher à ces derniers.
En ce qui concerne la figure du buveur de sang, Morgane imagine ici des procédés chimiques permettant aux vampires de supporter la lumière du soleil et de refréner leurs besoins en hémoglobine. Pour autant, ils restent tributaires des impondérables de leur statut, comme l’impossibilité de pénétrer un endroit si celui-ci a été magiquement protégé. Mais elle fait aussi un pied de nez aux vampyres, en permettant à Faruk de se constituer une communauté de donneurs de sang, regroupant des wanabee vampires. Chez Morgane, les vampires peuvent vivre durant des siècles, mais finissent par en oublier ce qui a fait leur passé. Enfin, à mon sens l’un des grands intérêts de ce roman est d’offrir une relecture vampirique de certaines figures du vaudou. Sans même oublier des clins d’œil à des univers comme celui de Buffy, pour toute la partie du récit qui se déroule dans les laboratoires (l’Initiative n’est pas loin).
Une nouvelle réussite dans la production de Morgane Caussarieu, qui reprend son univers, continue de l’étendre par petites touches et s’amuse à jouer des codes du Young Adult pour mieux les pervertir. Si d’un point de vue mythologie le roman n’en appelle pas forcément aux mêmes références que ses deux prédécesseurs, il démontre sans hésitation que l’autrice en a sous le pied, et qu’elle n’a pas perdu son mordant. Jouissif !